Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 5 décembre 2017 et un mémoire enregistré le 17 janvier 2018, la commune de Metz, représentée par MeD..., demande à la cour de réformer la mission confiée à l'expert par l'ordonnance du 17 novembre 2017 du juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg.
Elle soutient que :
- la mission confiée à l'expert ne présente pas de caractère utile ;
- une demande indemnitaire de la société Betom Ingénierie fondée sur la résiliation du marché dont elle était titulaire serait tardive devant le juge du fond dès lors que l'article 1er du décret du 2 novembre 2016, applicable depuis le 1er janvier 2017, a supprimé la dérogation dont bénéficiaient les demandes indemnitaires en matière de travaux publics ;
- le délai de recours contre la décision de résiliation court à compter de la date à laquelle l'entrepreneur en a été informé, et ce même en l'absence de la mention des voies et délais de recours ;
- la résiliation contestée était fondée ;
- le blocage du chantier résulte d'un différend entre membres du groupement de maitrise d'oeuvre qui doit échapper au maître d'ouvrage et qui ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative ;
- la mesure confiée à l'expert destinée à obtenir son avis sur les motifs de la résiliation est donc dépourvue d'utilité ;
- la mission de l'expert doit être réformée pour se limiter à la seule problématique des descentes de charges.
Par des mémoires en intervention, enregistrés les 22 décembre 2017 et 16 janvier 2018, la SARL Ropa Architecture, représentée par MeE..., demande à la cour :
1°) de recevoir l'appel de la commune de Metz ;
2°) d'annuler l'ordonnance du 17 novembre 2017 du juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg ;
3°) de mettre à la charge de la société Betom Ingénierie une somme de 1 200 euros à lui verser au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
4°) à titre subsidiaire, en cas de confirmation de l'ordonnance attaquée, d'ordonner l'extension des opérations d'expertise à la société Zurich Insurance PLC, assureur décennal et responsabilité civile de la société Betom Ingénierie.
Elle soutient que :
- la société Betom Ingénierie qui devait établir les plans d'exécution des lots techniques et faire la synthèse des études détenait tous les éléments pour accomplir sa mission ;
- les bureaux d'études qui ont pallié la défaillance de la société Betom Ingénierie n'ont eu aucune difficulté à élaborer les plans d'exécution pour les besoins du chantier ;
- la demande d'expertise est prématurée dans la mesure où le maître d'ouvrage n'a pas notifié le décompte final du marché à la maîtrise d'oeuvre.
Par un mémoire en défense enregistré le 3 janvier 2018, la société Betom Ingénierie, représentée par MeH..., demande à la cour de rejeter la requête d'appel de la commune de Metz et de confirmer l'ordonnance déférée en toutes ses dispositions :
Elle soutient que :
- les dispositions de l'article R. 421-1 du code de justice administrative en matière de délais ne trouvent pas à s'appliquer en matière de travaux publics ;
- la décision de résiliation partielle et de substitution du marché ne mentionnait pas les délais de recours qui ne lui sont, dès lors, pas opposables ;
- une action au fond a déjà été introduite ;
- les parties au litige sont en désaccord sur des sujets de nature technique et non juridique, d'où la nécessité de recueillir l'avis d'un technicien ;
- le troisième point de la mission confiée à l'expert est destiné à fournir au juge du fond des données techniques utiles à sa future décision eu au bien-fondé de ses demandes.
Par un mémoire en défense, enregistré le 16 février 2018, M.C..., représenté l'AARPI Lorraine Avocats, demande à la cour :
1°) de rejeter l'appel de la commune de Metz ;
2°) de confirmer l'ordonnance du 17 novembre 2017 du juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg en toutes ses dispositions ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Metz le versement d'une somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la société Betom lui a sous-traité ses contrats de prestation intellectuelle qui ont fait l'objet d'une déclaration de sous-traitance auprès de la commune de Metz ;
- la commune de Metz s'est opposée au paiement direct de certaines de ses factures d'honoraires visées par le titulaire du marché, au motif que les acomptes produits n'avaient pas fait l'objet d'une validation du mandataire de l'opération ;
- il est inexact d'indiquer qu'il n'aurait pas réalisé les prestations dont il avait la charge alors même que le retard provient de l'inertie et de l'incompétence du mandataire de la maîtrise d'oeuvre ;
- la société Ropa Architecture a refusé le paiement direct de ses prestations sans aucun motif ;
- les mesures d'expertise sollicitées par la société Betom sont utiles au règlement des litiges opposant la commune de Metz à cette entreprise mais également à lui-même ;
- l'expertise permettra de déterminer et d'apprécier techniquement si chacune des parties a accompli les tâches et diligences qui lui étaient dévolues conformément aux règles de l'art et à leurs obligations contractuelles.
Par un mémoire en défense, enregistré le 8 mars 2018, la société Demathieu Bard Construction, venant aux droits de la société Demathieu et Bard, représentée par MeB..., demande à la cour :
1°) d'annuler en toutes ses dispositions l'ordonnance du 17 novembre 2017 du juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg ;
2°) de dire et juger n'y avoir lieu à une mesure d'expertise ;
3°) de débouter toutes les autres parties de toutes leurs demandes, fins et conclusions contraires aux présentes écritures.
Elle soutient que :
- elle s'est opposée dans ses écritures de première instance à la demande d'expertise ;
- les différends évoqués par la société Bétom Ingénierie ne concernent que ses rapports avec la maîtrise d'ouvrage et la société Ropa Architecture ;
- elle n'a pas à intervenir dans le litige qui oppose les membres de la maîtrise d'oeuvre ;
- la société Betom Ingénierie est en mesure de produire tous les documents utiles à la résolution du litige ;
- toute demande au fond présentée par la société Betom Ingénierie serait irrecevable ;
- la mesure d'expertise sollicitée ne présente donc pas un caractère utile, même en ce qui concerne la seule problématique des descentes de charges.
Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'ordonnance était susceptible d'être fondée sur un moyen soulevé d'office, tiré de l'irrecevabilité des conclusions de la société Ropa Architecture en tant qu'elle demande à attraire aux opérations d'expertise la société Zurich Insurance PLC, assureur de la société Betom Ingénierie.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
-le code des relations entre le public et l'administration ;
-le code de justice administrative.
Par décision du 2 mai 2017, la présidente de la cour a désigné M. Kolbert, premier vice-président de la cour, comme juge de référés en application des dispositions de l'article L. 511-2 du code de justice administrative.
Considérant ce qui suit :
1. Par marché du 3 mai 2013, la commune de Metz a confié à un groupement composé de la société Ropa Architecture, mandataire, du BET Betom Ingénierie, de l'acousticien J.M. G... et du bureau d'études HQE Cap Terre, une mission de maîtrise d'oeuvre pour la construction d'un médiathèque-centre social à Metz Patrotte. Les plans d'exécution des différents lots devaient être fournis avant le 21 mars 2016 par le BET Betom Ingénierie qui n'a présenté les premiers d'entre eux qu'en avril 2016 et n'a pas pu, en dépit d'une mise en sous-traitance partielle, honorer le reste de ses engagements. Après avoir vainement mis le mandataire du groupement en demeure, le 22 décembre 2016, de lui adresser la totalité des plans d'exécution, la commune a, par courrier du 16 janvier 2017, notifié à ce dernier sa décision de résilier partiellement le marché et de passer des marchés de substitution s'agissant des études EXE des lots n°1 et 3, qu'elle a effectivement confiés aux titulaires de ces lots, respectivement les entreprises Demathieu et Bard et Lorry-Sodel. Par avenant n° 6 du 8 février 2017, elle a en outre attribué à la société Ropa Architecture la charge de récupérer les missions EXE des lots 2, 4 et 5 restant à réaliser, ainsi que les missions DET et AOR .
2. Par courrier du 10 avril 2017, la société Betom Ingénierie a adressé au maître d'ouvrage un mémoire de réclamation par lequel elle demandait une indemnisation de 129 246,56 euros en réparation du préjudice qu'elle impute à une résiliation irrégulière outre une somme de 100 000 euros au titre de son préjudice d'image. Elle a ensuite, le 27 septembre 2017, saisi le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg d'une demande tendant à l'organisation d'une mesure d'expertise et par ordonnance de référé du 17 novembre 2017, M. I..., architecte, a été désigné comme expert. Cette ordonnance a donné pour mission à l'expert, en particulier, de déterminer si, compte-tenu des circonstances de l'espèce, des données techniques disponibles et de ses compétences propres, chaque partie a accompli les tâches et diligences qui lui étaient dévolues, conformément aux règles de l'art et à ses obligations contractuelles et dans le cas où des manquements auraient été commis, déterminer la part imputable à chacun et estimer le préjudice qui en est résulté. La commune de Metz interjette appel de cette ordonnance et demande la réformation de la mission confiée à l'expert.
Sur l'utilité de la mesure d'expertise :
3. Aux termes de l'article R. 532-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, sur simple requête et même en l'absence de décision administrative préalable, prescrire toute mesure utile d'expertise ou d'instruction. (...).
4. La commune de Metz conteste, en premier lieu, l'utilité de la mesure d'expertise ordonnée par le premier juge en soutenant que les prétentions indemnitaires de la société Betom Ingénierie devraient, en tout état de cause, être déclarées irrecevables devant le juge du fond.
5. D'une part, il ne ressort pas de l'instruction qu'à la date de la saisine du juge des référés, la société Bétom Ingénierie entendait alors contester la validité de la résiliation devant le juge du contrat afin d'obtenir de ce dernier qu'il prescrive la reprise des relations contractuelles alors qu'il lui était loisible de limiter sa demande à l'allocation d'une indemnité en réparation du préjudice qu'elle impute à l'irrégularité ou au caractère infondé de la résiliation. La commune de Metz ne peut donc utilement se prévaloir de l'expiration du délai de deux mois imparti au contractant de l'administration qui entend contester la mesure de résiliation dont il a fait l'objet afin d'obtenir la reprise des relations contractuelles.
6. D'autre part, il n'est pas davantage établi que la commune de Metz ait accusé réception de la demande indemnitaire qui lui a été adressée par la société Betom Ingénierie dans le cadre de son mémoire en réclamation ni à plus forte raison qu'elle lui aurait, à cette occasion, précisé les conditions dans lesquelles elle pourrait contester la décision implicite de rejet éventuellement née de son silence, conformément aux dispositions de l'article L. 112-3 du code des relations entre le public et l'administration. Dans ces conditions, seule la notification d'une décision expresse, assortie de la mention des délais et voies de recours, était de nature à faire courir le délai de recours contentieux prévu aux articles R. 421-1 et R.421-5 du code de justice administrative.
7. Il résulte de ce qui précède que la commune de Metz n'est pas fondée à soutenir la mesure d'expertise sollicitée par la société Betom Ingénierie serait inutile au motif qu'elle serait formulée à l'appui de prétentions qui seraient irrecevables.
8. La commune de Metz, tout comme les sociétés ROPA Architecture et Demathieu Bard Construction, contestent également l'utilité, en tout ou en partie, de la mesure d'expertise qui a été prescrite à la demande de la société Betom Ingénierie, en ce qu'elle porterait notamment sur des éléments de fait déjà connus, à savoir le retard du groupement de maîtrise d'oeuvre à remettre les plans EXE ainsi que les erreurs dont ils auraient été entachés, qui seraient imputables à la seule société Betom Ingénierie. Dès lors que cette dernière soutient au contraire que son cotraitant, la société ROPA Architecture serait, à raison de ses propres manquements, à l'origine de ces retards et erreurs, ce différend de nature technique implique que soit vérifié, par un homme de l'art, que les éléments fournis par l'une permettaient à l'autre de satisfaire correctement et en temps utile à ses obligations. Si en outre, il apparaît effectivement que ce différend opposait, dans un premier temps, deux membres de la même équipe de maîtrise d'oeuvre, il est constant qu'il a ensuite rejailli, du fait de l'arrêt du chantier qu'il a provoqué, sur les relations entre cette équipe et le maître d'ouvrage lequel a décidé, après avoir partiellement résilié le marché, de confier certaines missions antérieurement dévolues à la société Betom Ingénierie à la société Demathieu et Bard. Dans ces conditions, les réponses qui seront apportées aux questions posées à l'expert ne peuvent être regardées comme dépourvues de toute utilité s'agissant de la solution aux litiges susceptibles de survenir entre les différents acteurs de cette séquence, lesquels sont tous impliqués dans une même opération de travaux publics. Il s'en suit et nonobstant la circonstance que n'ait pas encore été notifié le décompte du marché de maîtrise d'oeuvre, incluant les conséquences de la résiliation partielle prononcée par le maître d'ouvrage, les appelantes ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg ait prescrit la mesure d'expertise critiquée ou n'en ait pas limité les contours aux erreurs commises dans les plans.
Sur l'appel en cause :
9. La société ROPA Architecture demande, à titre subsidiaire, que la Zurich Insurance PLC, assureur de la société Betom Ingénierie, soit appelée en la cause. Ces conclusions sont nouvelles en appel et comme telles, sont irrecevables.
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
10. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions des parties présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
ORDONNE :
Article 1er : La requête de la commune de Metz et l'ensemble des conclusions des parties sont rejetés.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à la commune de Metz, aux sociétés Betom Ingénierie, Ropa Architecture, Demathieu Bard Construction et à M. A...C.... Copie en sera adressée à M. F...I..., expert.
Fait à Nancy, le 26 avril 2018
Le juge des référés
Signé : Eric Kolbert
La République mande et ordonne au préfet de la Moselle, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.
Pour expédition conforme
Le Greffier,
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17NC2928