Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 15 février 2016, MmeA..., représentée par Me Bertin, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Besançon du 19 mai 2015 ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet du Doubs du 14 novembre 2014 ;
3°) d'enjoindre au préfet du Doubs de lui délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de huit jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation administrative et de lui délivrer pendant cet examen une autorisation provisoire de séjour dans le même délai et sous astreinte de 50 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, à verser à Me Bertin, en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 modifiée relative à l'aide juridique.
Elle soutient que :
- le préfet ne pouvait pas, en application des dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, porter une appréciation différente de celle faite par le médecin de l'agence régionale de santé dans son avis du 24 juin 2014 et estimer qu'elle pouvait bénéficier de soins appropriés dans son pays d'origine ;
- le préfet ne démontre pas l'existence d'un traitement approprié en Albanie en produisant un avis émanant d'une personne partiale, un rapport de l'Organisation internationale pour les migrations ne contenant que des informations générales et un document rédigé en anglais et en faisant état d'une liste de médicaments qu'il ne verse pas aux débats ;
- la décision fixant l'Albanie comme pays de destination de son éloignement méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense, enregistré le 23 mars 2016, le préfet du Doubs conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par Mme A...ne sont pas fondés.
Mme A...a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 7 janvier 2016.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de Mme Dhiver a été entendu au cours de l'audience publique.
1. Considérant que MmeA..., ressortissante albanaise née le 22 mai 1975, est, selon ses déclarations, entrée en France en décembre 2012 ; que, par un arrêté du 14 novembre 2014, le préfet du Doubs a refusé de lui délivrer le titre de séjour qu'elle avait sollicité en raison de son état de santé ; qu'il a assorti sa décision d'une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel l'intéressée pourrait être éloignée à l'issue de ce délai ; que Mme A...relève appel du jugement du 19 mai 2015 par lequel le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté ;
Sur la légalité de l'arrêté du 14 novembre 2014 :
2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction applicable à l'espèce : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" est délivrée de plein droit : (...) 11° A l'étranger résidant habituellement en France dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve de l'absence d'un traitement approprié dans le pays dont il est originaire, sauf circonstance humanitaire exceptionnelle appréciée par l'autorité administrative après avis du directeur général de l'agence régionale de santé, sans que la condition prévue à l'article L. 311-7 soit exigée. La décision de délivrer la carte de séjour est prise par l'autorité administrative, après avis du médecin de l'agence régionale de santé de la région de résidence de l'intéressé, désigné par le directeur général de l'agence (...). Le médecin de l'agence régionale de santé (...) peut convoquer le demandeur pour une consultation médicale devant une commission médicale régionale dont la composition est fixée par décret en Conseil d'Etat " ;
3. Considérant que, contrairement à ce que soutient la requérante, l'autorité administrative n'est pas liée par l'avis rendu par le médecin de l'agence régionale de santé ; qu'il résulte des dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qu'il lui appartient, lorsqu'elle envisage de refuser la délivrance d'un titre de séjour à un étranger qui en fait la demande sur le fondement des dispositions du 11° de l'article L. 313-11, de vérifier, au vu de l'avis émis par le médecin mentionné à l'article R. 313-22 précité, que cette décision ne peut avoir des conséquences d'une exceptionnelle gravité sur l'état de santé de l'intéressé et, en particulier, d'apprécier, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, la nature et la gravité des risques qu'entraînerait un défaut de prise en charge médicale dans le pays dont l'étranger est originaire ; que lorsque le défaut de prise en charge risque d'avoir des conséquences d'une exceptionnelle gravité sur la santé de l'intéressé, l'autorité administrative ne peut légalement refuser le titre de séjour sollicité que s'il existe des possibilités de traitement approprié de l'affection en cause dans le pays dont l'étranger est originaire ;
4. Considérant que sous réserve des cas où la loi attribue la charge de la preuve à l'une des parties, il appartient au juge administratif, au vu des pièces du dossier, et compte tenu, le cas échéant, de l'abstention d'une des parties à produire les éléments qu'elle est seule en mesure d'apporter et qui ne sauraient être réclamés qu'à elle-même, d'apprécier si l'état de santé d'un étranger nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve de l'absence d'un traitement approprié dans le pays de renvoi, sauf circonstance humanitaire exceptionnelle ;
5. Considérant que la partie qui justifie d'un avis du médecin de l'agence régionale de santé qui lui est favorable doit être regardée comme apportant des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence ou l'absence d'un état de santé de nature à justifier la délivrance ou le refus d'un titre de séjour ; que, dans ce cas, il appartient à l'autre partie, dans le respect des règles relatives au secret médical, de produire tous éléments permettant d'apprécier l'état de santé de l'étranger et, le cas échéant, l'existence ou l'absence d'un traitement approprié dans le pays de renvoi ; que la conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si l'état de santé d'un étranger justifie la délivrance d'un titre de séjour dans les conditions ci-dessus rappelées, se détermine au vu de ces échanges contradictoires ; qu'en cas de doute, il lui appartient de compléter ces échanges en ordonnant toute mesure d'instruction utile ;
6. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que Mme A...souffre de graves troubles respiratoires en relation avec une très importante déviation de la colonne vertébrale depuis la naissance, pour laquelle elle a été opérée dans son pays en 1989 ; qu'elle bénéficie d'une prise en charge pneumologique au centre hospitalier universitaire de Besançon ; qu'elle souffre également d'un syndrome algique lié à sa malformation et de troubles anxio-dépressifs associés ; que, dans son avis du 24 juin 2014, le médecin de l'agence régionale de santé de Franche-Comté a estimé que l'état de santé de Mme A...nécessitait une prise en charge médicale dont le défaut pouvait entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qu'il n'existait pas de traitement approprié en Albanie ;
7. Considérant que pour remettre en cause la présomption d'indisponibilité des soins résultant de cet avis, le préfet produit un courriel émanant du médecin, conseiller santé auprès du directeur général des étrangers en France, qui indique que les traitements médicamenteux prescrits à Mme A...sont disponibles en Albanie et se réfère à une liste des médicaments disponibles établie par les autorités albanaises ; que toutefois, le préfet, qui mentionne aussi cette liste de médicaments dans son arrêté, n'a pas produit ce document, ainsi que le relève Mme A... ; qu'en outre, si le conseiller santé du ministère de l'intérieur souligne que la malformation dont souffre la requérante est ancienne, cette circonstance ne suffit pas à elle seule à établir que l'intéressée pourrait bénéficier d'une prise en charge appropriée à son état en Albanie alors même que, ainsi que le précise un chirurgien de l'hôpital militaire de Tirana où Mme A...a été opérée, ses troubles pneumologiques sont postérieurs à la malformation de sa colonne vertébrale et que, selon l'attestation établie par ce médecin le 22 novembre 2014, elle ne peut bénéficier d'aucun traitement en Albanie ; que le préfet ne donne aucune précision sur les éléments qui lui ont été transmis le 9 septembre 2014 par l'ambassade de France en Albanie ; qu'enfin, s'il produit un rapport de l'Organisation internationale pour les migrations du 6 avril 2009 ainsi qu'un rapport émanant du ministère de l'intérieur britannique, ces documents, de portée générale, ne permettent pas de démontrer que les soins nécessaires à Mme A...sont disponibles en Albanie ; que, par suite, le préfet du Doubs a méconnu les dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; que l'arrêté litigieux refusant à Mme A...la délivrance d'un titre de séjour doit donc être annulé ;
8. Considérant qu'il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme A...est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande ;
Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :
9. Considérant qu'aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution " ; qu'aux termes de l'article L. 911-2 du même code : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé " ;
10. Considérant que dans la mesure où l'avis du médecin de l'agence régionale de santé du 24 juin 2014 ne prévoit une prise en charge médicale que pour une période de douze mois, le présent arrêt n'implique pas nécessairement qu'un titre de séjour soit délivré à MmeA... ; qu'en revanche, il y a lieu d'enjoindre au préfet du Doubs de réexaminer la situation de la requérante, après avoir sollicité un nouvel avis du médecin de l'agence régionale de santé, dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à venir, et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans l'attente de ce réexamen ; qu'il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte ;
Sur les conclusions présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
11. Considérant que Mme A...a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale ; que, par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Bertin, avocat de MmeA..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Bertin de la somme de 1 000 euros qu'elle demande ;
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 1500362 du tribunal administratif de Besançon du 19 mai 2015 et l'arrêté du préfet du Doubs du 14 novembre 2014 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet du Doubs de réexaminer la demande de Mme A...dans les conditions fixées au paragraphe 10 du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Me Bertin, avocat de MmeA..., une somme de 1 000 (mille) euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Bertin renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B...A...et au ministre de l'intérieur
Copie en sera adressée au préfet du Doubs et au procureur de la République près le tribunal de grande instance de Besançon.
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N° 16NC00279