Par une requête et un mémoire, enregistrés les 14 septembre 2015 et 11 mars 2016, Mme C..., représentée par Me Launay, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Caen du 16 juillet 2015 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 20 août 2014 du préfet du Calvados ;
3°) d'enjoindre au préfet du Calvados de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour renouvelable en vue de ses démarches d'admission au statut de réfugiée, ou subsidiairement , de réexaminer sa situation administrative, en toute hypothèse dans un délai de 8 jours à compter de la notification du jugement et sous astreinte de 75 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Launay d'une somme de 1 500 euros au titre des dispositions des articles L.761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- les dispositions de l'article R. 741-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ont été méconnues, la seule circonstance que la requérante a apposé sa signature sur la première page des deux brochures d'information, ne peut suffire à établir l'effectivité du droit à l'information ;
-les dispositions de l'article 5 du règlement UE du 26 juin 2013 ont été également méconnues ;
- le préfet a manqué à son obligation d'examen de sa situation personnelle ; la cour administrative d'appel de Nantes a en effet, par un arrêt n°14NT02861 du 13 juillet 2015, annulé les décisions du préfet de la Manche décidant sa remise aux autorités polonaises et l'assignant à résidence ; sa fille, Rosa Batsieva, sollicite l'asile en France et son gendre, M.B..., a obtenu l'asile par décision de la Cour nationale du droit d'asile du 8 octobre 2014.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 5 novembre 2015 et 24 mars 2016, le préfet du Calvados, conclut au rejet de la requête en se rapportant à ses écritures de première instance.
Mme C...a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 16 mars 2016.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.
A été entendu au cours de l'audience publique ;
- le rapport de Mme Loirat, président-assesseur.
1. Considérant que MmeC..., ressortissante russe, déclare être entrée en France le 8 juillet 2014 ; que, le 20 août 2014, elle a déposé une demande d'asile ; que le relevé décadactylaire de l'intéressée, transmis à l'unité centrale Eurodac, a fait apparaître que ses empreintes digitales avaient été enregistrées en Pologne le 16 juin 2014 ; que les autorités polonaises, saisies d'une demande de reprise en charge, ont donné leur accord le 22 août 2014 ; que, par l'arrêté contesté du 20 août 2014, le préfet du Calvados a refusé de l'admettre au séjour provisoire en qualité de demandeur d'asile en application des dispositions des articles L. 741-1 et suivants du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; que par la présente requête, l'intéressée relève appel du jugement du 16 juillet 2015 par lequel le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté du 20 août 2014 ;
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Considérant qu'aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, l'Etat membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. 2. L'entretien individuel peut ne pas avoir lieu lorsque : a) le demandeur a pris la fuite ; ou b) après avoir reçu les informations visées à l'article 4, le demandeur a déjà fourni par d'autres moyens les informations pertinentes pour déterminer l'Etat membre responsable. L'Etat membre qui se dispense de mener cet entretien donne au demandeur la possibilité de fournir toutes les autres informations pertinentes pour déterminer correctement l'Etat membre responsable avant qu'une décision de transfert du demandeur vers l'Etat membre responsable soit prise conformément à l'article 26, paragraphe 1. 3. L'entretien individuel a lieu en temps utile et, en tout cas avant qu'une décision de transfert du demandeur vers l'Etat membre responsable soit prise conformément à l'article 26, paragraphe 1. 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les Etats membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. 5. L'entretien a lieu dans les conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. 6. L'Etat membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. L'Etat membre veille à ce que le demandeur et/ou le conseil juridique ou un autre conseiller qui représente le demandeur ait accès en temps utile au résumé " ; qu'il résulte de ces dispositions que les autorités de l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat membre responsable doivent, afin d'en faciliter la détermination et de vérifier que le demandeur d'asile a bien reçu et compris les informations prévues par l'article 4 du même règlement, mener un entretien individuel avec le demandeur ; qu'il ne peut être dérogé à cette obligation que dans les cas limitativement énumérés au 2 de l'article 5 précité ;
3. Considérant que si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d'une procédure administrative préalable n'est de nature à entacher d'illégalité la décision prise que s'il ressort des pièces du dossier qu'il a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou s'il a privé les intéressés d'une garantie ; que la tenue d'un entretien par l'Etat membre prévue par les dispositions précitées constituant pour le demandeur d'asile une garantie, il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi du moyen tiré de l'absence d'un tel entretien ou des irrégularités affectant le déroulement de cet entretien à l'appui de conclusions dirigées contre un refus d'admission au séjour provisoire ou une décision de remise, d'apprécier si l'intéressé a été, en l'espèce, privé de cette garantie ou, à défaut, si cette irrégularité a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de cette décision ;
4. Considérant que, sous réserve des cas où la loi attribue la charge de la preuve à l'une des parties, il appartient au juge administratif, au vu des pièces du dossier et compte tenu, le cas échéant, de l'abstention de l'une des parties à produire les éléments qu'elle est seule en mesure d'apporter et qui ne sauraient être réclamés qu'à elle-même, d'apprécier si l'administration a satisfait à l'obligation qui lui incombe en application des dispositions précitées ; que, dans un premier temps, seul le préfet est en mesure d'apporter les éléments relatifs à la tenue d'un entretien tel que prévu à l'article 5 du règlement précité et dans les conditions prévues par ce même article ;
5. Considérant que le préfet du Calvados a soutenu devant les premiers juges que Mme C...a bénéficié d'un entretien individuel le 20 août 2014, lorsqu'elle s'est présentée à la préfecture du Calvados pour y déposer une demande d'asile, au cours duquel elle a reçu communication de l'ensemble des informations prévues par les dispositions précitées de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ; que, toutefois, la production d'un formulaire comportant une rubrique " entretien individuel " partiellement renseignée, sans que soient consignées sous quelque forme que ce soit les informations fournies au demandeur conformément à l'article 4. 2, ni même cochée la case " le guide du demandeur d'asile et l'information sur les règlements communautaires m'ont été remis ", et sans précision de la qualité de l'agent qui aurait mené cet entretien, ne suffit pas à établir que les obligations fixées par l'article 5 du règlement auraient été satisfaites, dès lors que l'entretien individuel prévu par ces dispositions ne saurait se réduire aux réponses écrites par l'étranger intéressé lui-même aux questions figurant dans le formulaire avec leur traduction ; que, dans ces conditions, Mme C... a été privée de la garantie procédurale prévue à l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ; que l'arrêté du 20 août 2014, refusant à Mme C...l'autorisation provisoire de séjour au titre de l'asile, est dès lors intervenu au terme d'une procédure irrégulière et est, pour ce motif, entaché d'illégalité ;
6. Considérant qu'il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête, que Mme C...est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande ;
Sur les conclusions à fin d'injonction :
7. Considérant que l'annulation du refus d'admission provisoire au séjour au titre de l'asile en raison de l'irrégularité de la procédure suivie n'implique pas nécessairement que le juge enjoigne de délivrer une autorisation provisoire de séjour en vertu de l'article L. 911-1 du code de justice administrative ; que Mme C...est dès lors seulement fondée à demander qu'il soit enjoint au préfet du Calvados de réexaminer sa demande tendant à son admission provisoire au séjour au titre de l'asile ; qu'il y a lieu de lui adresser une injonction en ce sens ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 :
8. Considérant que Mme C...a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle ; que, par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 susvisée ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Launay, son avocat, renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros ;
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n°1401911 du 16 juillet 2015 du tribunal administratif de Caen et l'arrêté du préfet du Calvados du 20 août 2014 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet du Calvados de réexaminer la situation de Mme C...dans le délai d'un mois suivant la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Me Launay, avocat de MmeC..., la somme de 1 200 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 sous réserve que celui-ci renonce au bénéfice de l'aide juridictionnelle.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme C...est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A...C...et au ministre de l'intérieur. Une copie en sera transmise pour information au préfet du Calvados.
Délibéré après l'audience du 7 juin 2016, à laquelle siégeaient :
- M. Lainé, président de chambre,
- Mme Loirat, président assesseur,
- Mme Rimeu, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 28 juin 2016.
Le rapporteur,
C. LOIRATLe président,
L. LAINÉ
Le greffier,
V. DESBOUILLONS
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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