Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 12 mai 2014, la société Stone, la société Genefim, la société HSBC Real Estate leasing, la société CMCIC Lease, la société Cicobail, la société Finamur et la société Natiocrédimurs demandent à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1221338/7-3 du 13 mars 2014 ;
2°) d'interpréter la clause de loyer du bail emphytéotique conclu le 8 octobre 1997 entre la ville de Paris et la fédération française de judo, jujitsu, kendo et disciplines associées et de décider si :
- la valeur de référence, seuil de déclenchement de la part variable du loyer, doit évoluer chaque année ou rester fixe ;
- l'indexation du loyer doit être regardée comme ne visant que la part fixe ou également la part variable.
Elles soutiennent que :
- tant la société Stone, demandeur de première instance, que les autres sociétés, membres du groupement des crédits bailleurs, ont intérêt au paiement correct du loyer et sont recevables à faire appel ;
- le jugement est irrégulier car le tribunal leur a donné un délai trop court pour répondre au moyen soulevé d'office ;
- le jugement est irrégulier car il ne vise pas deux des mémoires de la société Stone ;
- le jugement est irrégulier car il n'a visé qu'une partie des conclusions de première instance ;
- la clause dont l'interprétation est demandée est obscure et ambigüe ;
- le juge administratif est seul compétent pour interpréter cette clause ;
- il existe un litige né et actuel relevant du juge administratif ;
- la clause devrait être interprétée en ce sens que le seuil de déclenchement de la part variable du loyer doit être réévalué dans le temps tandis que seule la part fixe du loyer, et non la part variable, doit être indexée.
Par un mémoire en défense et appel incident enregistré le 14 septembre 2015, la ville de Paris, représentée par Me Falala, conclut à ce que la cour :
1°) annule l'article 1er du jugement n° 1221338/7-3 du 13 mars 2014 qui a admis l'intervention des sociétés Genefim, HSBC Real Estate leasing, CMCIC Lease, Cicobail, Finamur et Natiocrédimurs et déclare irrecevable leur intervention ;
2°) rejette la requête d'appel ;
3°) mette à la charge solidaire des sociétés Stone, Genefim, HSBC Real Estate leasing, CMCIC Lease, Cicobail, Finamur et Natiocrédimurs la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir :
- les sociétés intervenantes de première instance ne démontrent pas que le rejet de la requête en interprétation de la société Stone préjudicie à leurs droits ; elles n'ont pas qualité pour faire appel ;
- le moyen tiré de ce que la demande d'interprétation ne se rattachait pas à un litige relevant de la juridiction administrative, déjà soulevé dans les écritures, a été communiqué avec un délai suffisant, comme les deux autres moyens que le tribunal n'a pas retenus ;
- il appartient à la cour de vérifier que le jugement comporte une analyse suffisante des mémoires et des conclusions ;
- le litige dont il est fait état, opposant les sociétés Stone et Accor, ne relève pas du juge administratif ; il n'y a pas de litige impliquant la ville de Paris ;
- le contrat dont l'interprétation est demandée est un contrat de droit privé.
- l'irrecevabilité de la demande de première instance entrainait l'irrecevabilité des interventions présentées à son soutien.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Pellissier, présidente,
- les conclusions de M. Romnicianu, rapporteur public,
- les observations de Me Zimmer, avocat de la société Stone et autres requérantes,
- et les observations de Me Falala, avocat de la ville de Paris.
Considérant ce qui suit :
1. La société Stone, preneur d'un crédit bail souscrit auprès d'un ensemble de sociétés dont le mandataire est la société Genefim, a acquis en 2009 le " pôle hôtelier " construit, porte de Chatillon, sur un terrain cédé à bail pour 70 ans par la ville de Paris à la fédération française de judo aux termes d'un bail emphytéotique conclu le 8 octobre 1997, modifié le 7 septembre 1999, partiellement cédé à Genefim en 2002. La société Stone loue ce pôle hôtelier au groupe Accor, aux termes d'un bail commercial conclu le 15 octobre 2009. En décembre 2012, arguant d'un litige qui existerait entre elle et la société Accor au sujet du calcul de la charge payable par ce locataire que constitue, selon le bail commercial, le loyer du terrain facturé par la ville de Paris, elle a demandé au tribunal administratif de Paris d'interpréter la " clause de loyer ", selon elle obscure, figurant dans le bail emphytéotique du 8 octobre 1997 modifié. Le tribunal administratif, par le jugement litigieux du 13 mars 2014, a admis l'intervention de la société Genefim et autres sociétés de financement et rejeté la demande d'interprétation comme irrecevable au motif que le seul litige né et actuel relevait du juge judiciaire.
Sur la régularité du jugement :
En ce qui concerne le visa des mémoires et l'analyse des conclusions :
2. L'article R. 741-2 du code de justice administrative dispose : " La décision contient (...) l'analyse des conclusions et mémoires (...) ".
3. D'une part, il résulte de l'examen de la minute du jugement attaqué que celui-ci n'a pas omis de viser et d'analyser les mémoires présentés par la société Stone les 14 et 19 février 2014 en réponse à la communication par le tribunal de moyens qu'il était susceptible de soulever d'office.
4. D'autre part, si le tribunal, dans son analyse de la requête enregistrée le 12 décembre 2012 et des mémoires des 14 et 19 février 2014, ne reprend pas intégralement les écritures de la société Stone, les demandes de celles-ci tendant à ce que le tribunal " qualifie le bail de bail emphytéotique administratif ", " constate qu'il est un contrat administratif ", " dise que le juge administratif est compétent pour l'interpréter ", " dise le recours direct en interprétation bien fondé " ou " déclare le recours en interprétation recevable " ne constituent pas des conclusions au sens de l'article R. 741-2 précité mais des moyens qui sont d'ailleurs visés dans la minute du jugement litigieux. La société Stone n'ayant pas conclu à l'interprétation de la clause litigieuse du bail dans un sens déterminé, le tribunal n'a commis aucune irrégularité en se bornant à indiquer qu'elle en demandait l'interprétation.
5. Il résulte de ce qui précède que la société Stone et les autres requérantes ne sont pas fondées à soutenir que le jugement serait irrégulier pour avoir omis de viser des mémoires ou insuffisamment analysé leurs conclusions.
En ce qui concerne le respect du principe du contradictoire :
6. L'article R. 611-7 du code de justice administrative dispose : " Lorsque la décision lui paraît susceptible d'être fondée sur un moyen relevé d'office, le président de la formation de jugement (...) en informe les parties avant la séance de jugement et fixe le délai dans lequel elles peuvent, sans qu'y fasse obstacle la clôture éventuelle de l'instruction, présenter leurs observations sur le moyen communiqué ".
7. Par un courrier du 18 février 2014, soit deux jours avant l'audience du 20 février suivant, le président de la formation de jugement a indiqué aux parties que celle-ci était susceptible de déclarer irrecevable la demande directe d'interprétation de la clause contractuelle litigieuse au motif que le litige dont la résolution était subordonnée à cette interprétation relevait de la compétence du seul juge judiciaire et les a invitées à faire connaitre leurs observations jusqu'à la date de l'audience. La société Stone soutient qu'elle n'a pas disposé d'un délai suffisant pour répondre à ce moyen relevé d'office et qui a été retenu par la formation de jugement pour fonder le jugement litigieux.
8. Il résulte cependant de l'instruction qu'un moyen similaire avait déjà été soulevé d'office, par courrier du 5 février 2014, à l'encontre de la demande d'interprétation de " l'acte détachable " de la clause de loyer litigieuse que constituait, selon la requérante, la délibération du conseil de Paris autorisant la signature de cette clause et que la société Stone y avait répondu le 14 février précédent. De plus, la société Stone a produit le 19 février 2014 un mémoire en réponse au courrier du 18 février 2014, exposant pourquoi, selon elle, l'irrecevabilité évoquée ne pouvait être opposée à sa demande. Dans ces circonstances, il ne résulte pas de l'instruction que le jugement serait intervenu dans des conditions méconnaissant le principe du contradictoire et serait, de ce fait, irrégulier.
Sur la recevabilité de la demande d'interprétation :
9. Le juge administratif peut être saisi d'un recours direct en interprétation d'un acte administratif s'il existe entre l'administration et le requérant un litige né et actuel relevant de sa compétence dont la résolution est subordonnée à l'interprétation demandée.
10. Les requérantes soutiennent qu'il existe entre la société Stone et son locataire, le groupe Accor, un litige concernant le paiement de la charge que constitue, selon le bail commercial qui les lie, le loyer payé par Genefim à la ville de Paris au titre du droit au bail du terrain sur lequel est bâti l'ensemble hôtelier et que la résolution de ce litige suppose d'interpréter la " clause de loyer du pôle commercial " figurant dans le bail emphytéotique conclu le 8 octobre 1997 entre la ville de Paris et la fédération française de judo et modifié le 7 septembre 1999. Quelle que soit l'interprétation retenue par la ville de Paris pour facturer ce droit au bail, les requérantes ne font état d'aucun litige né et actuel entre elles-mêmes et l'administration et il appartiendra au juge judiciaire éventuellement saisi, s'il estime que la résolution du litige opposant les sociétés Stone et Accor implique l'interprétation d'un acte administratif obscur, d'en demander l'interprétation à la juridiction administrative par voie de question préjudicielle. Dans ces circonstances, le recours en interprétation adressé directement au juge administratif n'est pas recevable.
11. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la recevabilité de la requête d'appel en tant qu'elle émane des sociétés financières, que les sociétés requérantes ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que, par le jugement contesté, le tribunal administratif de Paris a rejeté la demande d'interprétation de la société Stone comme irrecevable.
Sur l'appel incident de la ville de Paris :
12. Une intervention présentée au soutien d'une requête n'est recevable que si la requête est elle-même recevable. Comme dit précédemment, le tribunal administratif a rejeté, à bon droit, la requête de la société Stone comme irrecevable. Il ne pouvait dès lors, par l'article 1er du même jugement, admettre l'intervention des sociétés Genefim, HSBC Real Estate leasing, CMCIC Lease, Cicobail, Finamur et Natiocrédimurs au soutien de cette requête.
13. Il résulte de ce qui précède que la ville de Paris est fondée à demander, par la voie de l'appel incident, l'annulation de l'article 1er du jugement du tribunal administratif de Paris et le rejet de l'intervention des sociétés précitées.
Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
14. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge solidaire des sociétés requérantes, partie perdante, la somme de 1 500 euros à verser à la ville de Paris en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société Stone, la société Genefim, la société HSBC Real Estate leasing, la société CMCIC Lease, la société Cicobail, la société Finamur et la société Natiocrédimurs est rejetée.
Article 2 : L'article 1er du jugement du tribunal administratif de Paris du 13 mars 2014 est annulé.
Article 3 : L'intervention des sociétés Genefim, HSBC Real Estate leasing, CMCIC Lease, Cicobail, Finamur et Natiocrédimurs devant le tribunal administratif de Paris n'est pas admise.
Article 4 : La société Stone, la société Genefim, la société HSBC Real Estate leasing, la société CMCIC Lease, la société Cicobail, la société Finamur et la société Natiocrédimurs verseront solidairement une somme de 1 500 euros à la ville de Paris en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société Stone, à la société Genefim, à la société HSBC Real Estate leasing, à la société CMCIC Lease, à la société Cicobail, à la société Finamur, à la société Natiocrédimurs et à la ville de Paris.
Délibéré après l'audience du 23 juin 2016, à laquelle siégeaient :
- Mme Pellissier, présidente de chambre,
- M. Diémert, président-assesseur,
- Mme Amat, premier conseiller.
Lu en audience publique le 7 juillet 2016.
Le président-assesseur,
S. DIÉMERTLe président de chambre,
rapporteur,
S. PELLISSIER
La greffière,
A. LOUNIS
La République mande et ordonne au préfet de la région Ile de France, préfet de Paris en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 14PA02164