Procédure devant la Cour :
Par un recours et un mémoire enregistrés les 15 février et 7 juin 2018, le ministre de l'action et des comptes publics demande à la Cour :
1°) d'annuler l'article 1er du jugement n° 1619171/1-2 du 7 novembre 2017 du Tribunal administratif de Paris ;
2°) de remettre à la charge de la société Joubert Groupe les rappels d'imposition dont les premiers juges ont prononcé la décharge.
Il soutient que :
- le jugement attaqué est insuffisamment motivé et entaché de contradiction de motifs ;
- c'est au prix d'une erreur de qualification juridique et d'une erreur de droit que les premiers juges ont prononcé la décharge litigieuse ;
- au sens des dispositions de l'article 223 septies du code général des impôts, concernant l'imposition forfaitaire annuelle, le chiffre d'affaires s'entend de l'ensemble des opérations réalisées par l'entreprises avec les tiers dans l'exercice de son activité normale, majoré des produits financiers ; il en va de même au sens du I de l'article 1586 ter et de l'article 1586 quater dudit code concernant la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises ;
- la société Joubert Groupe exerçait une activité de commissionnaire opaque agissant pour son propre compte et non une activité d'intermédiaire transparent ;
- elle ne peut utilement invoquer la notion de produit net bancaire, dès lors qu'elle n'est pas un établissement de crédit ;
- elle ne peut davantage utilement invoquer les règles de détermination des recettes applicables en matière de taxe sur la valeur ajoutée, qui ne sont pas transposables aux impôts litigieux.
Par un mémoire en défense enregistré le 13 avril 2018, la société Joubert Groupe, représentée par Me A...Gascon Rétoré, conclut au rejet du recours du ministre et demande à la Cour, par la voie de l'appel incident, de réformer le jugement attaqué en ce qu'il a rejeté le surplus de ses conclusions et de porter " de 1 000 euros à 3 000 euros la somme visée à l'article L. 761-1 du code de justice administrative ".
Elle soutient que :
- aucun des moyens de la requête n'est fondé ;
- c'est à tort que le tribunal a considéré que le chiffre d'affaires relatif aux opérations sur l'or était constitué du montant total de ce chiffre d'affaires.
Par ordonnance du 29 novembre 2018, la clôture d'instruction a été fixée au
14 décembre 2018 à 12 heures.
Un mémoire a été transmis à la Cour le 14 décembre 2018 à 12h33, après clôture, pour la société Joubert Groupe.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code monétaire et financier,
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales,
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Appèche,
- les conclusions de M. Cheylan, rapporteur public,
- et les observations de Me Gascon Rétoré, avocat de la société Joubert Groupe.
Considérant ce qui suit :
1. La société par actions simplifiée (SAS) Joubert Groupe exerce une activité de change manuel de devises et une activité d'achat et revente d'or et d'argent, sous forme de lingots, pièces cotées et non cotées. A l'issue d'une vérification de comptabilité ayant porté sur la période du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2012, ont été mis à sa charge au titre des exercices clos en 2011 et 2012, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés, des rappels de droits d'imposition forfaitaire annuelle assortis d'intérêt de retard et d'une majoration de 5% et des rappels de cotisations sur la valeur ajoutée des entreprises assortis d'intérêt de retard. Saisi par la SAS Joubert Groupe, le Tribunal administratif de Paris a, par un jugement n° 1619171/1-2 du 7 novembre 2017, partiellement fait droit à sa demande, tendant à la décharge de ces suppléments d'imposition et majorations y afférentes.
2. Le ministre de l'action et des comptes publics relève, dans cette mesure, appel de ce jugement. En effet, dans son recours, le ministre de l'action et des comptes publics indique expressément que le litige porté devant la Cour porte sur la décharge accordée, selon lui à tort, par le Tribunal administratif de Paris et dont il précise qu'elle concerne, d'une part, les suppléments d'imposition forfaitaire annuelle afférents à l'année 2011 et d'autre part, le rappel de cotisations sur la valeur ajoutée des entreprises assorti d'intérêt de retard, opéré au titre de l'année 2012. Si le ministre, à la fin de son recours mentionne la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises de l'année 2011 et non celle de l'année 2012, il s'agit d'une simple erreur de plume et le ministre ne peut être regardé, eu égard aux conclusions expresses de sa requête, comme ne demandant pas le rétablissement, à la charge de la société Joubert Groupe, de la cotisation afférente à l'année 2012.
3. La société Joubert Groupe, par la voie de l'appel incident, demande à la Cour de lui accorder la décharge des suppléments d'imposition contestés devant le tribunal et maintenus à sa charge après l'intervention du jugement susmentionné.
Sur la régularité du jugement :
4. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ".
5. Dans le jugement attaqué, les premiers juges, après avoir cité les textes selon eux applicables, ont exposé que les opérations de change consistent en un échange d'instruments de paiement, dans lequel l'intervention de l'intermédiaire ne peut être regardée que comme une prestation de service, dont la rémunération est constituée par la commission perçue et le profit de change réalisé. En revanche, concernant les opérations d'achat et de revente d'or et d'argent réalisées par la société Joubert Groupe, ils ont, après avoir rappelé les conditions dans lesquelles celles-ci intervenaient, indiqué que la société n'agissait pas au nom d'un commettant et que les seuils de chiffre d'affaires prévus par les dispositions du code général des impôts devaient être appréciés en retenant la totalité du chiffre d'affaires et non les seules commissions perçues. Ainsi, et dès lors que la régularité du jugement et notamment le caractère suffisant de sa motivation ne dépend pas du bien-fondé de ses motifs, le moyen invoqué par le ministre, tiré de ce que le jugement serait entaché d'irrégularité en raison d'une insuffisance de motivation et d'une contradiction de motifs, doit être écarté comme non fondé.
Sur le bien-fondé du jugement :
6. Le b du I de l'article 219 du code général des impôts prévoit, s'agissant de l'impôt sur les sociétés que : " Par exception au deuxième alinéa du présent I et au premier alinéa du a, pour les redevables ayant réalisé un chiffre d'affaires de moins de 7 630 000 euros au cours de l'exercice ou de la période d'imposition, ramené s'il y a lieu à douze mois, le taux de l'impôt applicable au bénéfice imposable est fixé, dans la limite de 38 120 euros de bénéfice imposable par période de douze mois, à 25 % pour les exercices ouverts en 2001 et à 15 % pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2002.(...) ".
7. Aux termes de l'article 223 septies du même code: " Les personnes morales passibles de l'impôt sur les sociétés sont assujetties à une imposition forfaitaire annuelle d'un montant fixé à :(...) /20 500 euros pour les personnes morales dont le chiffre d'affaires majoré des produits financiers est compris entre 15 000 000 euros et 75 000 000 euros ;/32 750 euros pour les personnes morales dont le chiffre d'affaires majoré des produits financiers est compris entre 75 000 000 euros et 500 000 000 euros ;/110 000 euros pour les personnes morales dont le chiffre d'affaires majoré des produits financiers est égal ou supérieur à 500 000 000 euros./Le chiffre d'affaires à prendre en considération s'entend du chiffre d'affaires hors taxes du dernier exercice clos ".
8. Aux termes du I de l'article 1586 ter dudit code : " Les personnes physiques ou morales (...) qui exercent une activité dans les conditions fixées aux articles 1447 et 1447 bis et dont le chiffre d'affaires est supérieur à 152 500 sont soumises à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises.(...) ". Le I de l'article 1586 sexies précise que : " I.-Pour la généralité des entreprises, à l'exception des entreprises visées aux II à VI : 1. 1. Le chiffre d'affaires est égal à la somme : -des ventes de produits fabriqués, prestations de services et marchandises ; -des redevances pour concessions, brevets, licences, marques, procédés, logiciels, droits et valeurs similaires ; -des plus-values de cession d'immobilisations corporelles et incorporelles, lorsqu'elles se rapportent à une activité normale et courante ; - des refacturations de frais inscrites au compte de transfert de charges (...) ". L'article 1586 quater du même code prévoit que : " I.-Les entreprises bénéficient d'un dégrèvement de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises. Il est égal à la différence entre le montant de cette cotisation et l'application à la valeur ajoutée mentionnée au 1 du II de l'article 1586 ter d'un taux calculé de la manière suivante : a) Pour les entreprises dont le chiffre d'affaires est inférieur à 500 000 , le taux est nul ;/b) Pour les entreprises dont le chiffre d'affaires est compris entre 500 000 et
3 000 000 , le taux est égal à :/0,5 % × (montant du chiffre d'affaires-500 000 )/2 500 000 ;/c) Pour les entreprises dont le chiffre d'affaires est compris entre 3 000 000 et 10 000 000 , le taux est égal à :/0,5 % + 0,9 % × (montant du chiffre d'affaires-3 000 000 )/7 000 000 ;/d) Pour les entreprises dont le chiffre d'affaires est compris entre 10 000 000 et 50 000 000 , le taux est égal à :/1,4 % + 0,1 % × (montant du chiffre d'affaires-10 000 000 )/40 000 000 ;/e) Pour les entreprises dont le chiffre d'affaires est supérieur à 50 000 000 , à 1,5 %.(...) Pour l'application du présent article, le chiffre d'affaires s'entend de celui mentionné au 1 du Il de l'article 1586 ter ".
9. Il résulte de l'instruction que la société Joubert Groupe exerce une activité d'achat et de vente de devises, ainsi que d'or et d'argent, sous forme de lingots et de pièces, cotées et non cotées. Durant la période vérifiée, une partie de son activité a consisté à acheter à des fournisseurs des biens, devises, or ou argent, qui sont devenus sa propriété et qu'elle a comptabilisés en stocks, et à revendre à des clients souhaitant acquérir de petites quantités de devises, or ou argent, les biens demandés et dont elle disposait dans ses stocks. L'autre partie de son activité est exercée en qualité d'intermédiaire. Les clients de la société Joubert Groupe lui adressent des ordres d'achats de devises, or ou argent, ainsi que des chèques qui sont établis au moment de la commande pour des montants qui sont calculés selon la dernière cotation de référence avec application d'un taux de commission de 1,5% mais ne sont pas encaissés immédiatement. En effet, la société Joubert Groupe passe ensuite des commandes, en son nom propre et de manière globale à ses fournisseurs pour, d'une part, pouvoir honorer les commandes susmentionnées de ses clients et d'autre part, alimenter son propre stock. Les fournisseurs de la société Joubert Groupe n'entrent ainsi jamais en relation avec les clients de la société, dont d'ailleurs ils ignorent l'identité, la société Joubert Groupe se chargeant, à réception des quantités globales de devises, or ou agent en provenance de ses fournisseurs, de les répartir en paquets individualisés et scellés, qui ne sont pas comptabilisés en stock et sont destinés à chacun de ses clients, une régularisation du règlement étant opérée au moment de la livraison effective pour prendre en compte la différence entre le paiement effectué au moment de l'ordre et le prix réel lors de l'achat. Dans ces conditions, la société Joubert Groupe ne peut être considérée comme agissant en simple commissionnaire, n'ayant pas de mandat lui permettant d'agir au nom et pour le compte de ses clients, n'ayant pas comptabilisé ses factures dans un compte de tiers de passage et n'ayant d'ailleurs jamais sur ses factures de ventes mentionné un quelconque commettant ou fait apparaître qu'elle aurait agi au nom et pour le compte d'autrui.
En ce qui concerne l'appel du ministre :
10. Si, d'une part, le code monétaire et financier énonce au I. de son article L. 524-1 que : " Constitue une opération de change manuel l'échange immédiat de billets ou monnaies libellés en devises différentes. Constitue également une opération de change manuel le fait d'accepter, en échange des espèces délivrées à un client, un règlement par un autre moyen de paiement, sous réserve que celui-ci soit libellé dans une devise différente. II. - Les changeurs manuels sont des personnes physiques ou morales, autres que les établissements de crédit, les sociétés de financement, les établissements de monnaie électronique, les établissements de paiement et les institutions et services mentionnés à l'article L. 518-1, qui effectuent à titre de profession habituelle des opérations de change manuel.(...) " et si d'autre part, l'article 256 du code général des impôts applicable à la taxe sur la valeur ajoutée mais non aux impositions en cause dans le présent litige prévoit que : " Sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel. (....) /2° Sont également considérées comme des prestations de services : a) Les opérations, y compris la négociation, portant sur les devises, les billets de banque et les monnaies qui sont des moyens de paiement légaux à l'exception des monnaies et billets de collection. /Le chiffre d'affaires afférent à ces opérations est constitué par le montant des profits et autres rémunérations. ", ces dispositions ne sauraient faire obstacle à ce que le chiffre d'affaires de la société Joubert Groupe, laquelle ainsi qu'il est dit au point précédent agit en son nom propre dans ses opérations d'achats et de ventes de biens, y compris de devises, corresponde, pour l'application des dispositions énoncées ci-dessus aux points 6 à 8, à la totalité du prix de ventes des biens vendus et non à ses seules commissions.
11. La société Joubert Groupe, en se bornant à faire valoir que " l'opération de change s'effectue directement entre deux co-échangistes, en dehors de tout mandat et de l'intervention d'un tiers et qu'il n'existe pas de contrat de commission au sens de l'article 198-1 du code civil ou de l'article L. 132-1 du code de commerce, sans produire aucun justificatif à l'appui de ses affirmations, tel que les copies des contrats signés avec ses clients d'une part, et ses fournisseurs d'autre part, et/ou les conditions générales de vente et d'achat correspondantes, ne conteste pas utilement les modalités d'exercice de son activité décrite ci-dessus et ne saurait prétendre n'avoir agi qu'en qualité d'intermédiaire dit transparent.
12. Il résulte de ce qui précède que le ministre est fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont estimé que l'administration ne pouvait retenir comme chiffre d'affaires pour les opérations de change de la société Joubert Groupe, le montant total des opérations et non la seule commission perçue et a accordé à la société la décharge correspondante.
En ce qui concerne l'appel incident de la société Joubert Groupe :
13. Eu égard aux conditions, décrites ci-dessus au point 9, dans lesquelles la société Joubert Groupe exerce son activité d'achat et de ventes de biens et notamment d'or et d'argent, elle n'est pas fondée à soutenir qu'elle se bornait à transmettre à son fournisseur les ordres de ses clients et qu'elle intervenait simplement comme un intermédiaire dit transparent, agissant au nom et pour le compte de ses clients donneurs d'ordre. La société ne peut utilement, à cet égard, se prévaloir de ce qu'elle avait l'obligation de tenir un registre des achats, ventes, réceptions et livraisons sur l'or en vertu des dispositions de l'article 537 du code général des impôts et de conserver les documents permettant d'identifier ses clients, en vertu de l'article 298 sexdecies E1 dudit code.
14. Par suite, c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé que, s'agissant des opérations d'achats et ventes d'or et d'argent, il y avait lieu, pour l'application des dispositions rappelées aux points 6 à 8, de retenir comme chiffre d'affaires, le montant total des opérations d'achat et revente d'or réalisées et non le seul montant des commissions réalisées.
15. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'action et des comptes publics est fondé à obtenir l'annulation de l'article 1er du jugement attaqué et le rétablissement des impositions et majorations dont le tribunal a prononcé à tort la décharge, et que les conclusions en décharge présentées par la voie de l'appel incident par la société Joubert Groupe doivent être rejetées, ainsi que, par voie de conséquence, celles présentées par elle sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, l'Etat n'ayant pas, dans la présente instance, la qualité de partie perdante.
DECIDE :
Article 1er : L'article 1er du jugement n° 1619171/1-2 du 7 novembre 2017 du Tribunal administratif de Paris est annulé.
Article 2 : Les impositions dont le tribunal a, par le jugement mentionné à l'article 1er, prononcé la décharge en droits et majorations, sont remises à la charge de la société Joubert Groupe.
Article 3 : Les conclusions présentées devant la Cour par la société Joubert Groupe sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'action et des comptes publics et à la SAS Joubert Groupe.
Délibéré après l'audience du 9 janvier 2019, à laquelle siégeaient :
- Mme Brotons, président de chambre,
- Mme Appèche, président assesseur,
- Mme Jimenez, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 23 janvier 2019.
Le rapporteur,
S. APPECHELe président,
I. BROTONS
Le greffier,
S. DALL'AVA
La République mande et ordonne au ministre de l'action et des comptes publics en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 18PA00541