Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 9 novembre 2016, la société Ryanair Designated Activity Company, venant aux droits de la société Ryanair Limited, (ci-après la société Ryanair) et la société Airport Marketing Services Limited (ci-après la société AMS), représentées par Mes Guiheux et Vahida, demandent au juge d'appel des référés :
1°) d'annuler cette ordonnance du tribunal administratif de Poitiers du 25 octobre 2016 ;
2°) de rejeter les conclusions du syndicat mixte des aéroports de Charente présentées devant le premier juge ;
3°) de condamner le syndicat mixte des aéroports de Charente au paiement de la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que :
- la créance est sérieusement contestable dans son bien-fondé compte tenu du caractère non définitif de la décision de la Commission du 23 juillet 2014, qu'elles ont contestée devant le Tribunal de l'Union dans les délais prévus à l'article 263 du traité de fonctionnement de l'Union européenne et des vices entachant la décision ; 1° la décision de la Commission omet de vérifier si les charges aéroportuaires appliquées dans les contrats avec la société Ryanair étaient comparables au niveau du marché pour des aéroports comparables ; 2° elle méconnaît les éléments qualitatifs de l'analyse des coûts et bénéfices de la desserte de l'aéroport par ses services ; 3° la Commission considère à tort que la société Ryanair n'est pas un partenaire fiable des aéroports et a commis une erreur en n'attribuant pas de valeur finale aux contrats ; la Commission a mal analysé l'imputabilité des mesures à l'Etat et commis une erreur de droit en considérant que la chambre de commerce et d'industrie d'Angoulême n'était qu'une composante de l'administration publique ; en qualité de gestionnaire de l'aéroport, la chambre de commerce et d'industrie est une entreprise, ce que confirme la décision de la Commission qui la regarde comme bénéficiaire d'une aide d'Etat ; la Commission n'a pas établi que l'Etat exerçait un contrôle sur les décisions du SMAC et que celui-ci était une entreprise publique agissant sans aucune autonomie ; 4° les droits procéduraux des sociétés n'ont pas été respectés, en l'absence de réponse à la demande d'audition et d'accès au dossier de la société Ryanair, ce qui méconnaît l'article 41 paragraphes 1 et 2 de la charte des droits fondamentaux ;
- elles ont déjà acquitté le montant de la créance en litige, compte tenu de la somme que le SMAC leur devait en exécution de la sentence du Tribunal arbitral de Londres du 18 juin 2012 imputé par compensation sur une partie de l'aide à rembourser à hauteur de 512 431,66 euros, et du versement du solde de l'aide à rembourser le 5 mai 2016 à hauteur de 510 137,71 euros ;
- la créance est contestable dans son montant ; 1° la Commission n'a procédé qu'à une évaluation indicative du montant, au surplus erronée car rien n'établit que l'avantage reçu par la société Ryanair n'aurait pas été répercuté sur les passagers ; 2° le SMAC n'a pas ajusté le montant seulement indicatif de l'aide fixé par la Commission en se fondant sur les flux réels de paiements et de recettes alors qu'une estimation à partir des flux réels aurait permis de fixer l'aide à rembourser à un montant inférieur au montant réclamé.
Par un mémoire en défense, enregistré le 10 janvier 2017, le SMAC, représenté par la SELARL d'avocats Cornet-Vincent-Ségurel, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 5 000 euros soit mise à la charge des sociétés Ryanair et AMS au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que :
- le recours contre la décision de la Commission n'est pas suspensif et le juge européen est le seul juge de la légalité de cette décision : l'exception d'illégalité de la décision ne peut qu'être écartée ;
- le mécanisme de compensation ne joue pas en faveur des débiteurs des personnes publiques ;
- remettre en cause la méthode de calcul mise en oeuvre par la Commission européenne reviendrait à apprécier la légalité de ladite décision, pouvoir qui n'appartient pas au juge national ; de plus, les sociétés requérantes n'établissent pas la part de l'aide illégale qui aurait été effectivement répercutée sur les passagers ; il est contradictoire de soutenir que le montant de sa créance est contestable faute d'avoir été calculé avec exactitude, et de s'en tenir à ce même montant pour opérer le remboursement de l'aide avec une compensation.
Par un mémoire en réplique, enregistré le 20 janvier 2017, les sociétés Ryanair et AMS concluent à l'annulation de l'ordonnance attaquée par les mêmes moyens et demandent au juge du référé-provision de surseoir à statuer dans l'attente de la décision des juridictions de l'Union européenne quant à la validité de la décision de la Commission du 23 juillet 2014 sur laquelle se fonde le titre exécutoire litigieux.
Elles ajoutent qu'au regard du droit européen des aides d'Etat, une compensation peut être acceptée si le mécanisme de compensation est prévu et accepté, si la créance est certaine et exigible et si les preuves sont transparentes ; ces conditions sont satisfaites en l'espèce, et la compensation opérée en l'espèce concourt à l'efficacité du droit communautaire ; le principe de non-compensation des créances publiques ne peut lui être opposé car il méconnaît l'article 1er du 1er protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales au titre duquel toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens.
Vu :
- l'ordonnance attaquée ;
- les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et le 1er protocole additionnel à cette convention ;
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- le règlement (CE) n°659/1999 du Conseil du 22 mars 1999 ;
- le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique ;
- le code de justice administrative.
Le président de la cour a désigné M. Philippe Pouzoulet, président de chambre, comme juge des référés en application des dispositions du livre V du code de justice administrative.
Considérant ce qui suit :
1. Par une décision en date du 23 juillet 2014, la Commission européenne, ayant estimé que le syndicat mixte des aéroports de Charente (SMAC) avait accordé à la société Ryanair Ltd et à la société Airport Marketing Services Ltd, dans le cadre de contrats de services aéroportuaires et de services de marketing, des aides d'Etat incompatibles avec le marché intérieur, en a prescrit la récupération immédiate et effective. A cette fin, le SMAC a émis le 9 octobre 2014 un titre exécutoire d'un montant de 1 001 431,27 euros pour avoir recouvrement de ces aides auprès des deux sociétés. Ces dernières ont introduit un recours en annulation contre la décision de la Commission européenne devant le Tribunal de l'Union européenne et ont formé opposition à ce titre exécutoire devant le Tribunal administratif de Poitiers.
2. Par ailleurs, les deux sociétés ont obtenu du Tribunal d'arbitrage international de Londres une sentence condamnant le SMAC à leur payer la somme de 425 887,24 euros dans le cadre de deux litiges les opposant au SMAC à propos des conditions de résiliation des contrats susmentionnés.
3. Les sociétés ont alors estimé pouvoir acquitter le remboursement complet des aides, intérêts compris, en opérant seulement, par compensation, un versement de 510 137,71 euros et en imputant ainsi le montant de la créance qu'elles détenaient sur le SMAC en vertu de la sentence arbitrale sur le montant total de l'aide à rembourser.
4. Le SMAC, sur le fondement de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Poitiers en vue d'obtenir la condamnation solidaire de la société Ryanair Ltd et de la société Airport Marketing Services Ltd à lui verser une provision pour la récupération intégrale de l'aide, déduction faite de la somme déjà versée.
5. La société Ryanair Designated Activity Company, venant aux droits de la société Ryanair Ltd (ci-après la société Ryanair) et la société Airport Marketing Services Ltd (ci-après la société AMS) relèvent appel de l'ordonnance du 25 octobre 2016 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Poitiers a fait droit à la demande du SMAC et les a condamnées solidairement à verser à ce dernier une provision de 512 431,66 euros.
Sur la demande de provision :
6. Aux termes de l'article R. 541-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Il peut, même d'office, subordonner le versement de la provision à la constitution d'une garantie. ". Il résulte de ces dispositions que pour regarder une obligation comme non sérieusement contestable, il appartient au juge des référés de s'assurer que les éléments qui lui sont soumis par les parties sont de nature à en établir l'existence avec un degré suffisant de certitude.
7. En premier lieu, ainsi qu'il a été rappelé, les sociétés Ryanair et AMC ont demandé au Tribunal de l'Union européenne d'annuler la décision de la Commission du 23 juillet 2014. Toutefois, ce recours n'est pas suspensif en vertu de l'article 278 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. De plus, il ne résulte pas de l'instruction que les sociétés aurait saisi le Tribunal de l'Union européenne d'une demande de sursis à exécution en vue de faire valoir devant le juge européen le caractère sérieux de leurs moyens d'annulation et l'existence d'une urgence imposant de suspendre le remboursement de l'aide. L'urgence et les conséquences difficilement réparables qui résulteraient de l'obligation d'avoir à rembourser les aides en litige ne sont au demeurant pas plus justifiées devant la cour. Par suite, la décision de la Commission demeure exécutoire à la date du présent arrêt et il n'y a pas lieu de surseoir à statuer sur la demande de provision du SMAC ni non plus de prononcer le sursis à exécution de l'ordonnance attaquée.
8. En deuxième lieu, si les sociétés requérantes soutiennent que les créances dont se prévaut le SMAC sont sérieusement contestables dans leur bien-fondé comme dans leur montant, il n'appartient pas à la cour d'apprécier le bien-fondé de la décision de la Commission européenne sur le fondement de laquelle elles sont établies et chiffrées par les autorités françaises. Et si ces sociétés soutiennent que le montant des provisions demandées par le SMAC serait erroné dès lors que ce dernier se serait contenté de reprendre le montant indicatif de la Commission, elles ont toutefois disposé d'un chiffrage précis notifié avec le titre exécutoire qui a été établi par la direction générale des finances publiques en se fondant sur les données figurant dans la décision de la Commission, et elles n'assortissent le moyen d'aucune précision chiffrée susceptible d'établir que le SMAC aurait commis des erreurs dans l'estimation des aides à récupérer et la complète exécution de la décision de la Commission.
9. En troisième lieu, la condamnation du SMAC à payer une somme aux sociétés requérantes en vertu d'une sentence arbitrale relative aux conditions de résiliation des contrats conclus entre les parties au litige est, en application du principe de non-compensation des créances publiques, sans incidence sur le droit du SMAC de recouvrer intégralement les aides dont le remboursement a été prescrit par la Commission européenne.
10. En outre, le recouvrement intégral des aides en litige, outre qu'il garantit l'efficacité du droit européen de la concurrence, n'affecte pas le droit des sociétés requérantes au paiement par le SMAC des sommes qui leur sont dues en exécution de la sentence du tribunal arbitral de Londres. Par suite, c'est sans avoir méconnu les stipulations de l'article 1er du 1er protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales que le premier juge a fait droit à la demande de provision du SMAC.
11. Il résulte de tout ce qui précède que les sociétés Ryanair et AMC ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Poitiers les a solidairement condamnées à verser au SMAC une provision de 512 431,66 euros.
Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
12. Le SMAC n'étant pas la partie perdante à l'instance, les conclusions des sociétés requérantes tendant au paiement des frais de procès ne peuvent qu'être rejetées. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge solidaire des sociétés Ryanair et AMC une somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
ORDONNE :
Article 1er : La requête des sociétés Ryanair Designated Activity Company et Airport Marketing Services Limited est rejetée.
Article 2 : Les sociétés Ryanair Designated Activity Company et Airport Marketing Services Limited verseront solidairement au syndicat mixte des aéroports de Charente une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Ryanair Designated Activity Company, à la société Airport Marketing Services Limited et au syndicat mixte des aéroports de Charente.
Copie en sera délivrée au secrétariat général des affaires européennes et au préfet de la région Nouvelle-Aquitaine.
Fait à Bordeaux, le 14 février 2017.
Le juge d'appel des référés,
Philippe Pouzoulet
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.
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N° 16BX03597