Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 22 mai 2015, et un mémoire en réplique enregistré le 9 mars 2016, La Poste, représentée par la SELARL Pelletier et associés, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 24 mars 2015 ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. A...devant ce tribunal ;
3°) de mettre à la charge de l'intimé une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La Poste soutient que :
- la décision contestée a été prise par une autorité compétente ;
- l'annulation d'une précédente sanction par un arrêt de la cour administrative d'appel de Nancy du 10 avril 2014 ne faisait pas obstacle à ce que le conseil de discipline se prononce sur la sanction envisagée ;
- l'administration n'a pas méconnu le principe " non bis in idem " ;
- les faits reprochés sont établis ;
- la sanction litigieuse, qui doit faire l'objet d'un contrôle restreint, n'est pas entachée d'erreur manifeste au regard de ces faits ;
- l'autorité de chose jugée ne fait pas obstacle au prononcé d'une nouvelle sanction à l'encontre de M.A... ;
- les faits de harcèlement moral dont se plaint l'intimé ne sont pas établis ;
- la sanction litigieuse n'est pas disproportionnée, eu égard à la gravité des faits reprochés et aux états de service antérieurs de l'intéressé ;
- elle n'est entachée d'aucun détournement de pouvoir.
Par un mémoire en défense enregistré le 19 octobre 2015, M. B... A..., représenté par Me C..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 500 euros soit mise à la charge de La Poste au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
M. A...fait valoir que :
- il fait l'objet d'un harcèlement moral depuis plusieurs années dès lors que son poste n'a pas été aménagé afin de tenir compte de ses problèmes de santé, qu'il a déjà été menacé d'une sanction disciplinaire, que l'administration a tenté de le prendre en défaut dans la gestion de ses congés de maladie, qu'elle a fait obstacle à sa réintégration à la suite de l'annulation de la première sanction de révocation, qu'elle ne lui a pas versé les traitements afférents à la période d'éviction illégale, qu'un poste adapté à sa situation médicale ne lui a été attribué que le 30 juin 2015 et que le directeur du centre de tri à l'origine du harcèlement a été muté ;
- le harcèlement dont il est victime, sa fragilité psychologique et la circonstance que le directeur du centre de tri a provoqué l'incident du 12 septembre 2011 ne permettent pas de regarder les faits qui lui sont reprochés comme fautifs ;
- la décision contestée est entachée de détournement de pouvoir dès lors qu'elle vise à l'évincer irrégulièrement du service, qu'elle exprime la volonté de ne pas désavouer un personnel d'encadrement et qu'elle permet à l'administration de se soustraire à son obligation d'aménager son poste de travail et d'exécuter l'arrêt de la cour administrative d'appel de Nancy du 10 avril 2014 annulant la sanction de révocation ;
- l'arrêt de la cour administrative d'appel de Nancy du 10 avril 2014, qui annule la sanction de révocation en raison du harcèlement dont il est victime, est revêtu de l'autorité de chose jugée ;
- le pourvoi présenté par La Poste tendant à obtenir la cassation de cet arrêt ne permettait pas de regarder l'annulation de la première sanction comme définitive et, par suite, faisait obstacle à l'ouverture d'une nouvelle procédure disciplinaire, à la consultation du conseil de discipline et au prononcé d'une nouvelle sanction.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 ;
- le décret n° 90-1111 du 12 décembre 1990 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Guérin-Lebacq,
- et les conclusions de M. Collier, rapporteur public.
1. Considérant que M.A..., né le 17 décembre 1958, a été recruté par La Poste le 4 septembre 1980 pour exercer les fonctions de facteur ; que l'intéressé, auquel il était reproché de n'avoir assuré qu'une partie de son service le 20 avril 2011, de s'être absenté le lendemain sans justifier immédiatement de cette absence et d'avoir agressé physiquement et verbalement son supérieur hiérarchique le 12 septembre 2011, a fait l'objet, le 20 février 2012, d'une sanction de révocation, annulée par un arrêt de la cour administrative d'appel de Nancy du 10 avril 2014 ; qu'à la suite de cette annulation, La Poste a, par une décision du 6 août 2014, sanctionné M. A...à raison des mêmes faits en prononçant son exclusion temporaire de fonctions pour une durée de deux ans ; que La Poste relève appel du jugement du 24 mars 2015 par lequel le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a annulé la décision du 6 août 2014 ;
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Considérant qu'aux termes de l'article 66 de la loi susvisée du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat, applicable aux agents titulaires de La Poste en vertu de l'article 29 de la loi du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public de La Poste et à France Télécom : " Les sanctions disciplinaires sont réparties en quatre groupes. / Premier groupe : - l'avertissement - le blâme. / Deuxième groupe : - la radiation du tableau d'avancement ; - l'abaissement d'échelon ; - l'exclusion temporaire de fonctions pour une durée maximale de quinze jours ; - le déplacement d'office. /Troisième groupe : - la rétrogradation ; - l'exclusion temporaire de fonctions pour une durée de trois mois à deux ans. / Quatrième groupe : - la mise à la retraite d'office ; - la révocation. (...) " ; qu'il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes ;
3. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M.A..., qui exerce ses fonctions auprès de la plateforme de préparation et de distribution du courrier de Chaumont, a omis de procéder, le 20 avril 2011, à la distribution de l'intégralité du courrier dont l'acheminement lui incombait et n'a pas justifié en temps utile de son absence du 21 avril 2011 ; qu'en outre, il ressort des nombreux témoignages recueillis par l'administration que M.A..., qui participait à une réunion au sein du service le 12 septembre 2011, a insulté le directeur d'établissement, lui a donné plusieurs coups de poing au niveau du visage et l'a menacé de mort ; qu'en raison de cette agression, l'intéressé a été condamné par un jugement du tribunal correctionnel de Chaumont du 11 octobre 2012 à une amende de 1 000 euros, cette peine ayant été assortie d'un sursis ; que les faits reprochés à M. A...par La Poste doivent être regardés comme établis et présentent le caractère d'une faute de nature à justifier une sanction disciplinaire ;
4. Considérant, toutefois, qu'aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel (...) " ;
5. Considérant, d'une part, qu'il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement ; qu'il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement ; que la conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile ; que, d'autre part, pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral ;
6. Considérant que M. A...produit de nombreuses attestations de ses collègues dont il ressort que le directeur d'établissement est, depuis sa nomination au cours de l'année 2007, à l'origine d'un climat social délétère au sein du service, en exerçant notamment une pression constante sur le personnel ; qu'il ressort en outre de ces attestations et des éléments médicaux également produits par M. A...que, par ses propos et son comportement méprisant, ce supérieur hiérarchique a contribué à la dégradation des conditions de travail de l'intimé et à l'altération de sa santé mentale ; qu'ainsi, ce dernier apporte des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un harcèlement moral à son encontre ; que si, pour contredire ces éléments de fait, La Poste se prévaut des évaluations favorables du directeur d'établissement, ces évaluations ont été établies par des personnes extérieures à la plateforme de Chaumont ; que la circonstance, également invoquée par la requérante, que les faits allégués par M. A...n'auraient donné lieu à aucune plainte ne permet pas, par elle-même, d'établir que les agissements décrits dans les attestations précitées seraient restés dans les limites normales de l'exercice du pouvoir hiérarchique ; qu'ainsi, La Poste ne produit aucun élément de nature à démontrer que les faits dénoncés par M. A... seraient justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement ; que par ailleurs, l'agression dont M.A... s'est rendu coupable sur la personne de son supérieur hiérarchique est intervenue au cours d'une réunion sur les risques psychosociaux en milieu professionnel, organisée le 12 septembre 2011 afin de répondre au sentiment de malaise exprimé par les agents du service ; que dans ces conditions, la situation de harcèlement dont l'intimé soutient avoir été victime doit être regardée comme établie ;
7. Considérant, en outre, qu'il ressort encore des pièces du dossier que M. A...souffre de troubles dépressifs qui se sont aggravés à compter de 2008 en raison de la souffrance éprouvée par l'intéressé dans le cadre de son travail, le conduisant d'ailleurs à attenter à ses jours ; que de tels troubles psychiatriques sont au nombre des éléments qu'il appartient à l'administration de prendre en compte pour apprécier la gravité des faits reprochés et déterminer la sanction qui doit être infligée à raison de ces faits ; que si, en l'espèce, il n'est pas établi que M. A... aurait été privé de tout discernement lorsqu'il a agressé le directeur d'établissement le 12 septembre 2011, et pour inadmissible que soit cette agression, l'intéressé, en situation de fragilité psychologique et alors qu'il faisait l'objet d'une première procédure disciplinaire à raison des faits survenus les 20 et 21 avril 2011, a ressenti comme une provocation le comportement de son supérieur qui tenait à lui serrer la main au début de la réunion et, après refus de sa part, lui a adressé des commentaires défavorables sur son attitude ;
8. Considérant, enfin, qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que M.A..., qui exerce les fonctions de facteur depuis le 4 septembre 1980, aurait fait l'objet, avant 2008, de reproches sur sa manière de servir susceptibles de justifier une sanction disciplinaire ; que dans les circonstances de l'espèce, eu égard à la faible gravité des manquements relevés à l'encontre de l'intéressé dans son service les 20 et 21 avril 2011 et compte tenu du contexte de harcèlement moral dans lequel l'altercation a eu lieu le 12 septembre 2011 et des troubles psychiatriques dont souffrait alors M. A..., La Poste a, en lui infligeant une sanction d'exclusion temporaire de fonctions d'une durée de deux ans, entaché sa décision d'une erreur d'appréciation ;
9. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que La Poste n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a annulé sa décision en date du 6 août 2014 ;
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
10. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M.A..., qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme dont La Poste demande le versement au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; qu'il y a lieu en revanche de mettre à la charge de La Poste une somme de 1 500 euros à verser à M.A... sur le fondement des mêmes dispositions ;
D E C I D E :
Article 1er : La requête de La Poste est rejetée.
Article 2 : La Poste versera à M. A...une somme de 1 500 (mille cinq cents) euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à La Poste et à M. B... A....
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N° 15NC01062