Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés le 11 février 2019 et le 6 septembre 2019, la société de Folle Anse, représentée par Me D..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de la Guadeloupe du 13 décembre 2018 ;
2°) d'annuler la décision du 5 janvier 2017 ;
3°) d'enjoindre à l'Etat de lui délivrer un titre de propriété pour la parcelle AB3/AB95 située à Grand-Bourg dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement est irrégulier dès lors que les premiers juges n'ont pas examiné les moyens qu'elle soulevait ;
- la parcelle en litige ne relève pas du domaine public artificiel, mais du domaine public maritime de l'Etat ; en effet, le transfert de propriété du port de la Folle Anse au port autonome de la Guadeloupe n'est pas établi ; cette parcelle ne concourt ni au fonctionnement d'ensemble du port autonome de la Guadeloupe, ni à assurer la sécurité et la facilité de navigation dans ce port ; elle relève de la zone des cinquante pas géométriques ;
- la cession de la parcelle était légale, dès lors qu'elle fait partie du domaine public maritime de l'Etat et qu'elle y a fait édifier des constructions à usage professionnel pour son activité commerciale ;
- l'annulation de la décision de refus de cession du 25 juin 2003 par le tribunal administratif de Basse-Terre a eu pour effet de replacer les parties dans la situation antérieure, où la cession lui avait été accordée par une décision du 13 janvier 2003 ;
- l'auteur de la décision du 5 janvier 2017 était incompétent ;
- la décision en litige n'est pas suffisamment motivée ;
- cette décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation dès lors que la vente est parfaite selon l'article 1583 du code civil ;
- la décision du 9 novembre 2015 par laquelle le directeur de l'environnement, de l'aménagement et du logement de Guadeloupe a consenti à la vente de la parcelle cadastrée AB3/AB95 est créatrice de droits ; par suite, la décision du 5 janvier 2017, intervenue plus de quatre mois suivant la prise de cette décision ne pouvait la retirer.
Par des mémoires en défense enregistrés les 6 août 2019 et le 11 février 2020, le grand port maritime de la Guadeloupe, représenté par la SCP Richer et Associés droit public, conclut au rejet de la requête et demande de mettre à la charge de la société de Folle Anse la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que :
- le recours initial était irrecevable dès lors que le courrier du 5 janvier 2017 ne fait, par lui-même, pas grief à la société de Folle Anse, dès lors qu'il se borne à tirer les conséquences de l'impossibilité de transférer à cette société la propriété de la parcelle litigieuse ;
- les moyens de la société de Folle Anse ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code général de la propriété des personnes publiques ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 65-491 du 29 juin 1965 ;
- la loi n° 2008-660 du 4 juillet 2008 ;
- le décret n° 55-885 du 30 juin 1955 ;
- le décret n° 74-373 du 6 mai 1974 ;
- le décret n° 2012-1103 du 1er octobre 2012 ;
- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 et notamment son article 5 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B... A...,
- les conclusions de M. Romain Roussel, rapporteur public,
- et les observations de Me C..., représentant le grand port maritime de la Guadeloupe.
Considérant ce qui suit :
1. La société de Folle Anse a sollicité la cession de la parcelle cadastrée AB3/AB95, située au lieudit " Folle Anse " de la commune de Grand-Bourg, sur le fondement de l'article L. 5112-5 du code général de la propriété des personnes publiques. Par une décision du 13 janvier 2003, le préfet de la Guadeloupe a informé la société qu'une suite favorable était réservée à sa demande. Toutefois, par une décision du 25 juin 2003, le préfet a retiré cette décision et a rejeté la demande de la société au motif que les parcelles étaient incluses dans le périmètre portuaire de la circonscription du port autonome de la Guadeloupe. Cette décision a été annulée par un jugement du tribunal administratif de Basse-Terre au motif qu'elle avait été signée par une autorité incompétente. Par une nouvelle décision du 9 novembre 2015, le directeur de l'environnement, de l'aménagement et du logement de la Guadeloupe a consenti à vendre les parcelles en cause à la société de Folle Anse. Par un courrier du 5 janvier 2017, l'administration fiscale a cependant informé la société que la procédure dans laquelle l'Etat s'était engagé ne pouvait se poursuivre au motif que la parcelle en question était incluse dans la circonscription portuaire du grand port maritime de la Guadeloupe et que les sommes qu'elle avaient versées pour l'achat du terrain lui seraient remboursées. La société de Folle Anse relève appel du jugement du 13 décembre 2018 par lequel le tribunal administratif de la Guadeloupe a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 5 janvier 2017.
Sur la régularité du jugement :
2. Il ressort des motifs exposés au point 5 du jugement attaqué que les premiers juges ont considéré que les moyens soulevés par la société de Folle Anse étaient inopérants dès lors que l'administration était en situation de compétence liée, et se sont ainsi prononcés sur ces moyens. Par suite, le tribunal n'a pas omis de répondre aux moyens soulevés, contrairement à ce que soutient la requérante, et son jugement n'est pas entaché d'irrégularité.
Sur le bien-fondé :
3. Aux termes de l'article 3 du décret du 30 juin 1955 relatif à l'introduction dans les départements de la Guadeloupe, de la Guyane française, de la Martinique et de la Réunion, de la législation et de la réglementation métropolitaines concernant le domaine public maritime et l'exécution des travaux mixtes, et modifiant le statut de la zone dite "des cinquante pas géométriques" existant dans ces départements : " La réserve domaniale dite "des cinquante pas géométriques" est constituée par une bande de terrain déjà délimitée dans le département de la Réunion et présentant, dans les départements de la Guadeloupe, de la Guyane française et de la Martinique, une largeur de 81,20 m comptée à partir de la limite du rivage de la mer tel qu'il aura été délimité en application de la législation et de la réglementation visées à l'article 1er. ". Aux termes de l'article 7 de ce même décret : " Toute décision d'incorporation au domaine public ou au domaine forestier de l'Etat, toute affectation à un service public de l'Etat, toute aliénation feront perdre définitivement aux immeubles qui en feront l'objet le caractère de dépendance de la zone des cinquante pas géométriques. ". Par ailleurs, aux termes de l'article 1er du décret n° 74-373 du 6 mai 1974 créant un port autonome dans le département de la Guadeloupe et portant adaptation, dans ledit département, des conditions et modalités d'application de la loi n° 65-491 du 29 juin 1965 sur les ports autonomes : " (...) Le port autonome de la Guadeloupe est soumis aux dispositions de la loi du 29 juin 1965 et des décrets du 8 novembre 1965 susvisés, sous réserve des adaptations ci-après. (...) ". Enfin, l'article 1er de la loi du 29 juin 1965 sur les ports maritimes autonomes dispose : " (...) Les ports autonomes sont des établissements publics de l'Etat, dotés d'une personnalité civile et de l'autonomie financière (...) ". Et selon l'article 2 de cette loi : " Le port autonome est chargé, à l'intérieur des limites de sa circonscription et dans les conditions définies ci-après, des travaux d'extension, d'amélioration, de renouvellement et de reconstruction ainsi que de l'exploitation, de l'entretien et de la police, au sens des dispositions du livre III du code des ports maritimes, du port et de ses dépendances et de la gestion du domaine immobilier qui lui est affecté. / Il peut être autorisé, dans le cadre de la réglementation en vigueur, à se charger de la création et de l'aménagement de zones industrielles portuaires ou à participer à une telle création ou à un tel aménagement. (...) ".
4. Il est constant que les parcelles en litige faisaient partie de la zone des cinquante pas géométriques telle que définie par l'article 3 du décret du 30 juin 1955 cité ci-dessus jusqu'en juillet 1978. Il ressort des pièces du dossier que par un procès-verbal du 3 juillet 1978, le directeur des services fiscaux chargé des affaires foncières et domaniales au département de la Guadeloupe a remis au directeur du port autonome de la Guadeloupe l'administration et la jouissance des surfaces d'eaux, terrains et bâtiments dépendant de l'Etat figurant sur les plans de l'annexe II, où apparaît le terrain sur lequel sont situées les parcelles AB3 et AB95 occupées par la société de Folle Anse. Ce transfert de gestion a nécessairement eu pour effet d'affecter ces parcelles à un service public de l'Etat, au regard des missions dévolues au port autonome de la Guadeloupe et définies à l'article 2 de la loi du 29 juin 1965 sur les ports maritimes autonomes. Ainsi, en vertu des dispositions de l'article 7 du décret du 30 juin 1955 citées ci-dessus, ce transfert a définitivement fait perdre aux parcelles en cause leur caractère de dépendance de la zone des cinquante pas géométriques. Par l'effet de l'article 15 de la loi du 4 juillet 2008 portant réforme portuaire selon lequel " Les biens de l'Etat affectés aux ports autonomes maritimes existant à la date de publication de la présente loi, y compris les voies navigables dont l'exploitation concourt au développement du transport fluvial et qui sont gérées par les ports autonomes pour le compte de l'Etat, leur sont remis en pleine propriété, à l'exception de ceux relevant du domaine public maritime naturel ou du domaine public fluvial naturel ", la propriété des parcelles AB3 / AB95 est revenue au port autonome de la Guadeloupe, qui a été transformé en grand port maritime de la Guadeloupe en vertu de l'article 1er du décret du 1er octobre 2012 instituant le grand port maritime de la Guadeloupe. Par conséquent, à la date du 9 novembre 2015, à laquelle le directeur de l'environnement, de l'aménagement et du logement de la Guadeloupe a consenti à vendre les parcelles AB3/AB95 à la société de Folle Anse, ces parcelles appartenaient au grand port maritime de la Guadeloupe.
5. Par ailleurs, aux termes de l'article 1599 du code civil : " La vente de la chose d'autrui est nulle (...) ".
6. La décision du 9 novembre 2015 par laquelle le directeur de l'environnement, de l'aménagement et du logement de la Guadeloupe a consenti à vendre les parcelles AB3/AB95 à la société de Folle Anse concernait un terrain dont l'Etat n'était pas propriétaire, ainsi qu'il a été dit au point 4, ce qu'il ne pouvait faire en application des dispositions l'article 1599 du code civil citées-ci-dessus. Cette décision était par conséquent nulle et non avenue et n'a donc pu créer aucun droit au profit de la société de Folle Anse, contrairement à ce qu'elle soutient. Ainsi, la vente des parcelles AB3/AB95 conclue entre l'Etat et la société était nulle, et ce alors même que la société s'est acquittée, les 18 et 20 juillet 2016, de la somme de 130 344 euros en règlement de l'avis de payer émis par la direction régionale des finances publiques le 22 juin 2016.
7. Dans ces conditions, l'administration, qui n'a fait que tirer les conséquences du caractère nul et non avenu de la décision du 9 novembre 2015, était tenue de refuser de délivrer le titre de propriété demandé par la société de Folle Anse, ainsi qu'elle l'a fait par la décision du 5 janvier 2017. Par conséquent, les moyens tirés de l'incompétence de l'auteur de cette décision, de son insuffisance de motivation et de l'erreur manifeste d'appréciation qui l'entacherait sont inopérants.
8. Enfin, la société ne peut utilement se prévaloir du jugement du 23 décembre 2010 par lequel le tribunal administratif de la Guadeloupe a annulé pour incompétence la décision du 23 juin 2003 retirant la décision du 13 janvier 2003, dès lors que cette dernière décision, qui ne fixait pas de prix pour la vente des parcelles en cause, n'a créé aucun droit au profit de la société de Folle Anse.
9. Il résulte de ce qui précède que la société de Folle Anse n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Guadeloupe a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 5 janvier 2017.
Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :
10. Le présent arrêt, qui confirme le jugement du tribunal administratif de la Guadeloupe en tant qu'il rejette les conclusions tendant à l'annulation de la décision du 5 janvier 2017, n'implique aucune mesure particulière d'exécution. Par suite, les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte doivent être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la société de Folle Anse demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société de Folle Anse une somme 1 500 euros à verser au grand port maritime de la Guadeloupe, en application de ces dispositions.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la société de Folle Anse est rejetée.
Article 2 : La société de Folle Anse versera au grand port maritime de la Guadeloupe une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société de Folle Anse, au ministre de l'action et des comptes publics et au grand port maritime de la Guadeloupe.
Copie en sera adressée au ministre de la mer et au ministre des outre-mer.
Délibéré après l'audience du 4 mars 2021 à laquelle siégeaient :
Mme Marianne Hardy, présidente,
M. Didier Salvi, président-assesseur,
Mme B... A..., première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 1er avril 2021.
La présidente,
Marianne Hardy
La République mande et ordonne au ministre de l'action et des comptes publics en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N° 19BX00651 2