Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 27 juin 2019, Mme B..., représentée par la SCP d'avocats Breillat- Dieumegard-D..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Poitiers du 29 mai 2019 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 10 janvier 2019 par lequel le préfet de la Vienne a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle serait reconduite ;
3°) d'enjoindre au préfet de lui délivrer un titre de séjour temporaire dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard passé ce délai, subsidiairement, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans un délai de 15 jours et de réexaminer sa demande dans un délai d'un mois, sous la même astreinte, passé ces délais ;
4°) de mettre à la charge de l'État le paiement de la somme de 1 500 euros à verser à son conseil en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- l'arrêté pris dans son ensemble est entaché d'un vice d'incompétence ;
En ce qui concerne le refus de délivrance d'un titre de séjour :
- le préfet n'a pas suffisamment motivé sa décision ;
- le préfet n'a pas procédé à un examen particulier de sa situation ;
- le préfet a porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale, en méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors notamment que les documents qu'elle produit établissent qu'elle est arrivée en France à l'âge de 16 ans et qu'elle bénéficie d'un contrat jeune majeur lui permettant de poursuivre sa formation professionnelle, de l'aider à prendre son autonomie et de l'accompagner dans sa parentalité ;
- la décision est entachée d'un vice de procédure en l'absence d'avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration ;
En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :
- l'illégalité du refus de titre de séjour prive de base légale l'obligation de quitter le territoire français ;
- le préfet a méconnu l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- la décision entraine des conséquences d'une exceptionnelle gravité et méconnaît le 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi :
- la décision est insuffisamment motivée ;
- l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français prive de base légale la décision fixant le pays de renvoi ;
- le préfet a méconnu l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense, enregistré le 19 septembre 2019, le préfet de la Vienne conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par Mme B... ne sont pas fondés.
Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 3 octobre 2019.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 2015-1740 du 24 décembre 2015 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. C... A... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., ressortissante guinéenne, née le 6 février 2000 et entrée en France le 24 avril 2016, a été confiée au service de l'aide sociale à l'enfance par un jugement du 25 mai 2016. Le 30 mai 2018, elle a sollicité la délivrance d'un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " mais, par un arrêté du 10 janvier 2019, le préfet de la Vienne a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle serait reconduite à l'issue de ce délai. Mme B... relève appel du jugement du 29 mai 2019 par lequel le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur le bien-fondé du jugement :
2. D'une part, aux termes de l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. (...) ". Aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil (...) des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". Aux termes de l'article 1er du décret du 24 décembre 2015 relatif aux modalités de vérification d'un acte de l'état civil étranger : " Lorsque, en cas de doute sur l'authenticité ou l'exactitude d'un acte de l'état civil étranger, l'autorité administrative saisie d'une demande d'établissement ou de délivrance d'un acte ou de titre procède ou fait procéder, en application de l'article 47 du code civil, aux vérifications utiles auprès de l'autorité étrangère compétente, le silence gardé pendant huit mois vaut décision de rejet ".
3. Il résulte de la combinaison de ces dispositions qu'en cas de doute sur l'authenticité ou l'exactitude d'un acte de l'état civil étranger et pour écarter la présomption d'authenticité dont bénéficie un tel acte, l'autorité administrative procède aux vérifications utiles ou y fait procéder auprès de l'autorité étrangère compétente. L'article 47 du code civil précité pose une présomption de validité des actes d'état civil établis par une autorité étrangère dans les formes usitées dans ce pays. Il incombe à l'administration de renverser cette présomption en apportant la preuve du caractère irrégulier, falsifié ou non conforme à la réalité des actes en question. En revanche, l'administration française n'est pas tenue de solliciter nécessairement et systématiquement les autorités d'un autre État afin d'établir qu'un acte d'état civil présenté comme émanant de cet État est dépourvu d'authenticité, en particulier lorsque l'acte est, compte tenu de sa forme et des informations dont dispose l'administration française sur la forme habituelle du document en question, manifestement falsifié.
4. D'autre part, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...). Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" est délivrée de plein droit : (...) 7° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l'article L. 311-7 soit exigée. L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République (...) ".
5. Pour refuser de délivrer un titre de séjour à Mme B..., le préfet de la Vienne s'est fondé sur la circonstance que l'intéressée était âgée non de 16 ans lorsqu'elle est entrée en France, mais de 27 ans, après consultation du traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé Visabio prévu à l'article R. 611-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, au regard de l'identité que Mme B... avait présentée lorsqu'elle avait tenté initialement d'obtenir en vain un visa le 31 mars 2014. Mme B... a toutefois produit à l'instance un passeport délivré le 27 août 2017 par les autorités consulaires guinéennes et dont l'authenticité n'est pas contestée ainsi qu'un extrait du registre de l'état civil de la République de Guinée du 15 mars 2016 et un jugement supplétif du tribunal de première instance de Boké du 14 mars 2016 qui mentionnent tous une date de naissance au 6 février 2000. Dans ces conditions, la seule circonstance que Mme B... ait menti lors de sa demande initiale de visa n'est pas de nature à démontrer qu'elle était majeure lors de son accueil en avril 2016 par les services de l'aide sociale à l'enfance, lesquels ont, à l'inverse, conclu à l'absence de tout doute sur sa minorité lors de son arrivée en France, laquelle a de surcroît été retenue tant par le juge des enfants que par le juge des tutelles. Par ailleurs, il ressort des pièces du dossier que Mme B..., qui a été prise en charge au titre de l'aide sociale à l'enfance pendant deux ans et qui a ensuite bénéficié d'un contrat jeune majeur, a poursuivi sa scolarité à l'issue de laquelle elle a obtenu, le 2 juillet 2018, le certificat d'aptitude professionnelle agricole dans la spécialité " service aux personnes et vente en espace rural " avec la mention bien, alors même qu'elle avait accouché de son premier enfant le 22 mai 2018. A la date de l'arrêté litigieux, elle était dans l'attente d'une admission à l'institut de formation des aides-soignants du centre hospitalier universitaire de Poitiers, qui a d'ailleurs postérieurement été acquise puisque, classée initialement 9ème sur la liste complémentaire d'admission avec une note finale de 12/20, Mme B... a reçu en définitive une proposition d'admission à la suite d'un désistement. Dans ces conditions très particulières, compte tenu notamment des conditions d'insertion de l'intéressée en France, et alors même qu'elle a de la famille en Guinée, le préfet a, en refusant de lui délivrer un titre de séjour temporaire, porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs de ce refus et a, par suite, méconnu les stipulations et dispositions précitées.
6. Il résulte de ce qui précède que Mme B... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande.
Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :
7. Le présent arrêt, eu égard à ses motifs, implique nécessairement que le préfet de la Vienne délivre à Mme B... un titre de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ". Il y a donc lieu d'enjoindre au préfet, en application de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, de délivrer un tel titre dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a, en revanche, pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
8. Mme B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me D..., avocate de Mme B..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de l'État le versement à Me D... de la somme de 1 200 euros.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Poitiers est annulé.
Article 2 : L'arrêté du préfet de la Vienne du 10 janvier 2019 est annulé.
Article 3 : Il est enjoint au préfet de la Vienne de délivrer à Mme B... un titre de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à Me D... une somme de 1 200 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve qu'elle renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État au titre de l'aide juridictionnelle.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E... B..., au ministre de l'intérieur et à Me D....
Copie en sera transmise, pour information, au préfet de la Vienne.
Délibéré après l'audience du 21 novembre 2019 à laquelle siégeaient :
Mme Marianne Hardy, président,
M. C... A..., président-assesseur,
M. David Terme, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 19 décembre 2019.
Le rapporteur,
Didier A...
Le président,
Marianne HardyLe greffier,
Sophie Lecarpentier
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 19BX02471