Procédure devant la cour :
Par une requête et deux mémoires en communication de pièces enregistrés les 19 avril 2018, 16 mai 2018 et 6 août 2018, M.D..., représenté par Me Canadas, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulouse du 24 janvier 2018 ;
2°) d'annuler l'arrêté susmentionné du préfet de la Haute-Garonne ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Haute-Garonne de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " étranger malade " ou " vie privée et familiale " dans un délai de 15 jours à compter de la notification de la décision à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;
4°) d'enjoindre au préfet de la Haute-Garonne de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans un délai de 72 heures à compter de la notification de la décision à intervenir et de procéder au réexamen de sa situation administrative ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 800 euros au bénéfice de son conseil sur le fondement des dispositions combinées de l'article L.761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 alinéa 2 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
En ce qui concerne la décision portant refus de titre de séjour :
- elle est entachée d'incompétence de son signataire ;
- elle est entachée d'un défaut de motivation en fait ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de la réalité de sa pathologie
et méconnaît l'article 6 (7°) de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :
- elle est entachée d'incompétence du signataire ;
- elle est dépourvue de base légale en raison de l'illégalité de la décision refusant de l'admettre au séjour ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi :
- elle est dépourvue de base légale en raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français.
Par un mémoire en défense, enregistré le 17 août 2018, le préfet de la Haute-Garonne conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par M. D...ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 19 juin 2018, la clôture d'instruction a été fixée au 20 août 2018 à 12 heures.
M. D...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 22 mars 2018.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le code de justice administrative.
Par décision du 1er septembre 2018, le président de la cour a désigné Mme Déborah de Paz pour exercer temporairement les fonctions de rapporteur public en application des articles R. 222-24 et R. 222-32 du code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Le rapport de Mme Marianne Pouget a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B...D..., né le 27 mars 1978 à Blida (Algérie), de nationalité algérienne, est entré en France le 21 décembre 2012 sous couvert d'un passeport revêtu d'un visa de court séjour. Le 22 août 2016, M. D...a sollicité la délivrance d'un titre de séjour en qualité d'étranger malade, au titre de l'article 6 (7°) de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968. Par un arrêté en date du 27 juin 2017, le préfet de la Haute-Garonne a refusé de lui délivrer le titre de séjour sollicité, l'a obligé à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination. M. D... relève appel du jugement du 24 janvier 2018 par lequel le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Aux termes de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié : " Le certificat de résidence d'un an portant la mention " vie privée et familiale " est délivré de plein droit : / (...) ; / 7) au ressortissant algérien, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve qu'il ne puisse pas effectivement bénéficier d'un traitement approprié dans son pays (...). ". Aux termes de l'article R. 313-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, applicable aux demandes de certificats de résidence formées par les ressortissants algériens en application des stipulations précitées de l'accord franco-algérien, dans sa rédaction applicable aux faits du litige : " (...) le préfet délivre la carte de séjour temporaire au vu d'un avis émis par le médecin de l'agence régionale de santé compétente au regard du lieu de résidence de l'intéressé, désigné par le directeur général. (...). / L'avis est émis dans les conditions fixées par arrêté du ministre chargé de l'immigration et du ministre chargé de la santé au vu, d'une part, d'un rapport médical établi par un médecin agréé ou un médecin praticien hospitalier et, d'autre part, des informations disponibles sur l'existence d'un traitement dans le pays d'origine de l'intéressé. (...). ".
3. Il appartient à l'autorité administrative, lorsqu'elle envisage de refuser la délivrance d'un titre de séjour à un ressortissant algérien qui en fait la demande au titre des stipulations du 7° de l'article 6 de l'accord franco-algérien, de vérifier, au vu de l'avis émis par le médecin mentionné à l'article R. 313-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que cette décision ne peut avoir des conséquences d'une exceptionnelle gravité sur l'état de santé de l'intéressé et, en particulier, d'apprécier la nature et la gravité des risques qu'entraînerait un défaut de prise en charge médicale dans son pays d'origine. Lorsque le défaut de prise en charge risque d'avoir des conséquences d'une exceptionnelle gravité sur la santé de l'intéressé, l'autorité administrative ne peut légalement refuser le titre de séjour sollicité que s'il existe des possibilités de traitement approprié de l'affection en cause en Algérie. Si de telles possibilités existent mais que l'étranger fait valoir qu'il ne peut pas en bénéficier, soit parce qu'elles ne sont pas accessibles à la généralité de la population, eu égard notamment au coût du traitement ou à l'absence de mode de prise en charge adapté, soit parce qu'en dépit de leur accessibilité, des circonstances exceptionnelles tirées des particularités de sa situation personnelle l'empêcheraient d'y accéder effectivement, il appartient à cette même autorité, au vu de l'ensemble des informations dont elle dispose, d'apprécier si l'intéressé peut ou non bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans son pays d'origine.
4. Sous réserve des cas où la loi attribue la charge de la preuve à l'une des parties, il appartient au juge administratif, au vu des pièces du dossier, et compte-tenu, le cas échéant, de l'abstention d'une des parties à produire les éléments qu'elle est seule en mesure d'apporter et qui ne sauraient être réclamés qu'à elle-même, d'apprécier si l'état de santé d'un étranger nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve de l'absence d'un traitement approprié dans le pays de renvoi, sauf circonstance humanitaire exceptionnelle.
5. La partie qui justifie d'un avis du médecin de l'agence régionale de santé qui lui est favorable doit être regardée comme apportant des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence ou l'absence d'un état de santé de nature à justifier la délivrance ou le refus d'un titre de séjour. Dans ce cas, il appartient à l'autre partie, dans le respect des règles relatives au secret médical, de produire tous éléments permettant d'apprécier l'état de santé de l'étranger et, le cas échéant, l'existence ou l'absence d'un traitement approprié dans le pays de renvoi. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si l'état de santé d'un étranger justifie la délivrance d'un titre de séjour dans les conditions ci-dessus rappelées, se détermine au vu de ces échanges contradictoires. En cas de doute, il lui appartient de compléter ces échanges en ordonnant toute mesure d'instruction utile.
6. Si le préfet n'est pas lié par l'appréciation du médecin de l'agence régionale de santé, dont l'avis n'est que consultatif, il lui appartient néanmoins, lorsque ce médecin a estimé que l'état de santé de l'étranger nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qu'il n'existe pas de traitement approprié dans le pays dont il est originaire, de justifier des éléments qui l'ont conduit à considérer, nonobstant cet avis médical, que les conditions de délivrance d'un certificat de résidence sur le fondement des stipulations de l'article 6-7 de l'accord franco-algérien n'étaient pas remplies.
7. Dans son avis du 16 décembre 2016, le médecin de l'agence régionale de santé Midi-Pyrénées a estimé que l'état de santé de M. D...nécessitait une prise en charge médicale dont le défaut pouvait entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, qu'il n'existait pas en Algérie de traitement approprié pour sa prise en charge médicale et que les soins nécessités par son état de santé devraient, en l'état actuel, être poursuivis pendant un an. Cependant, pour refuser le séjour à l'intéressé, le préfet de la Haute-Garonne s'est appuyé sur l'avis rendu le 8 janvier 2017 par le médecin conseil du consulat de France à Oran selon lequel il existe en Algérie un traitement médicamenteux approprié et accessible. Toutefois, il ressort du certificat médical en date du 21 juillet 2016 établi par le DrA..., psychiatre et confirmés par deux autres certificats des 22 septembre 2017 et 11 avril 2018, postérieurs à l'arrêté attaqué mais relatifs aux pathologies dont souffrait M. D...antérieurement à cet arrêté, que ce dernier est suivi depuis février 2016 en raison de troubles psychopathologiques évoluant dans le cadre d'une décompensation dépressive sévère qui nécessitent non seulement un traitement psychotrope mais également un suivi médico-psychologique régulier. Par ailleurs, il ressort du dernier de ces certificats médicaux et d'un certificat établi par le Dr C...en date du 8 avril 2018, que l'intervention bariatrique subie par l'intéressé en novembre 2016, soit antérieurement à l'arrêté attaqué, a donné lieu à des complications nécessitant deux nouvelles interventions chirurgicales et ayant entraîné une perte de poids de 74 kg en 15 mois. Du fait de ces complications, M. D...est en phase de dénutrition sévère nécessitant une prise en charge spécialisée et un suivi régulier dont le Dr C...indique qu'ils ne sont pas disponibles en Algérie. Or, le préfet qui se borne à faire valoir qu'il existe en Algérie des praticiens compétents pour la prise en charge de l'obésité et le suivi spécifique des suites d'une intervention en chirurgie bariatrique et qui produit des documents à caractère général sur la lutte contre l'obésité en Algérie, n'établit pas que l'intéressé pourra effectivement disposer d'une prise en charge adaptée à son état de santé. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce qu'en rejetant la demande de titre de séjour de l'intéressé, le préfet, qui n'a pu légalement s'écarter de l'avis émis par le médecin de l'agence régionale de santé, a méconnu les dispositions du 7° de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 ne peut qu'être accueilli. L'illégalité de cette décision entraîne, par voie de conséquence, l'annulation de la mesure d'éloignement et de la décision fixant le pays de renvoi.
8. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. D...est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté contesté du 27 juin 2017.
Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :
9. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. ".
10. Eu égard au motif de l'annulation ci-dessus prononcée, il y a lieu d'enjoindre au préfet de la Haute-Garonne de délivrer à M. D...un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
11. M. D...bénéficie de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros à Me Canadas, sous réserve que ce dernier renonce au versement de l'aide juridictionnelle.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1704255 du 24 janvier 2018 du tribunal administratif de Toulouse et l'arrêté du préfet de la Haute-Garonne du 27 juin 2017 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Haute-Garonne de délivrer à M. D...un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai de deux mois suivant la notification du présent arrêt.
Article 3 : En application du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, l'Etat versera à Me Canadas, avocat de M.D..., la somme de 1 500 euros sous réserve qu'il renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. D...est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B...D..., au ministre de l'intérieur, à Me Canadas et au préfet de la Haute-Garonne.
Délibéré après l'audience du 26 octobre 2018 à laquelle siégeaient :
Mme Marianne Pouget, président,
M. Paul-André Braud, premier-conseiller,
Mme Sabrina Ladoire, premier-conseiller.
Lu en audience publique, le 22 novembre 2018.
Le premier-conseiller,
Paul-André BraudLe président-rapporteur,
Marianne Pouget
Le greffier,
Florence Faure
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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No 18BX01598