Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 7 juillet 2016, M. B...D..., représenté par MeC..., demande à la cour :
1°) de réformer le jugement n° 1600827 du tribunal administratif de Toulouse du 4 mai 2016 ;
2°) d'annuler le refus de séjour contenu dans l'arrêté du préfet de la Haute-Garonne du 22 décembre 2015 ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Haute-Garonne de lui délivrer un titre de séjour " vie privée et familiale " dans le délai d'un mois à compter de la décision à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros en application du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le tribunal n'a pas répondu au moyen de légalité externe soulevé devant lui tiré de ce que le préfet n'aurait pas procédé à un examen sérieux de sa demande de renouvellement de titre de séjour " étranger malade ". De même, les premiers juges n'ont pas non plus répondu ni au moyen tiré du fait que le préfet a produit un rapport incomplet commandé aux services de police dans le cadre du renouvellement de son titre de séjour, ni à celui tiré de l'erreur manifeste d'appréciation sur l'application des dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- cette demande révèle qu'il se prévalait de l'impossibilité d'avoir accès aux soins nécessaires à son état de santé. Alors qu'il présentait des motifs humanitaires exceptionnels liés à la durée de son séjour régulier en France, où se situe désormais sa vie privée et familiale, à la gravité de son état de santé, laquelle n'a pas été contestée par le médecin de l'agence régionale de santé, et aux risques d'une dégradation de son état de santé en cas de retour en République démocratique du Congo, le préfet n'a pas déféré à sa demande de saisine du directeur de l'agence régionale de santé. Ce défaut d'examen sérieux de sa situation est en outre révélé par la mesure d'éloignement prise à son encontre alors qu'il en était manifestement protégé au regard de la durée de sa présence en France par application du 4° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et qui a été ultérieurement retirée ;
- le préfet a méconnu le 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans la mesure où d'une part, il a bénéficié de titres de séjour en raison de son état de santé depuis l'année 2005 et où le médecin de l'ARS a reconnu que l'absence de poursuite des soins risquaient d'entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité sur son état de santé et où, d'autre part, il présentait des motifs humanitaires exceptionnels nécessitant la saisine du directeur de l'ARS, ce dont le préfet s'est abstenu malgré sa demande ;
- la décision portant refus de séjour a méconnu les dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors qu'il vit régulièrement en France depuis plus de dix ans et que ses principales attaches familiales se trouvent en France en la personne de ses deux enfants, nés sur le territoire français de sa relation avec une compatriote titulaire d'une carte de résident en qualité de réfugiée. Le préfet ne pouvait se fonder sur un rapport incomplet reposant sur des allégations non fondées, et qui ne pouvait ni démontrer la réalité des conflits allégués avec sa compagne, ni utilement contester l'ensemble des éléments qu'il a produits attestant de sa participation à l'entretien et à l'éducation de ses deux enfants mineurs. Le préfet ne saurait lui opposer ni la présence en République Démocratique du Congo de ses parents, de son épouse et de son fils âgé de 24 ans qu'il n'a plus revu depuis plus de 14 ans et avec lesquels il n'a pas gardé de contact, ni le caractère précaire de son séjour en France, alors qu'il justifie avoir occupé des emplois ou suivi des formations professionnelles dans le secteur du bâtiment. Il produit deux bulletins de paye qui ont suivi sa formation en avril 2015, lesquels démontrent l'erreur commise par le préfet et le tribunal ;
- le préfet n'a pas tenu compte de l'intérêt supérieur, protégé par l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant, de ses deux enfants qui ont besoin de leur père et ne pourraient le rejoindre en RDC dans la mesure où leur mère est réfugiée politique ;
- le préfet a commis une erreur manifeste d'appréciation en refusant de lui accorder le bénéfice des dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors qu'il justifiait de contrats de travail dans un secteur en tension.
Par un mémoire enregistré le 6 septembre 2016, le préfet de la Haute-Garonne conclut au rejet de la requête en s'en rapportant à ses écritures de première instance. Le préfet fait valoir en outre que les deux bulletins de salaire produits par le requérant, datés respectivement du 12 août 2015 et du 11 septembre 2015, ne démontrent pas un travail régulier permettant de justifier d'une intégration personnelle et professionnelle en France au sens du 7° de l'article L. 313-11 de code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
M. D...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 7 juin 2016.
Par ordonnance du 19 juillet 2016, la clôture de l'instruction a été fixée au 19 septembre 2016.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code du travail ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Catherine Girault, président,
- les conclusions de M. Nicolas Normand, rapporteur public ;
- et les observations de MeA..., représentant M.D....
Considérant ce qui suit :
1. M.D..., ressortissant de la République Démocratique du Congo né en 1970, est entré en France le 9 novembre 2001 et a bénéficié depuis 2005 d'un titre de séjour temporaire en qualité d'étranger malade, régulièrement renouvelé en dernier lieu jusqu'au 8 mars 2013 et dont il a sollicité le renouvellement le 29 décembre 2012. Par un arrêté du 22 décembre 2015, le préfet de la Haute-Garonne a refusé de lui délivrer ce titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. Par un jugement du 4 mai 2016, le tribunal administratif de Toulouse a annulé cet arrêté en tant qu'il oblige M. D...à quitter le territoire français et a rejeté le surplus des conclusions du demandeur. M. D...relève appel de ce jugement dans cette mesure et demande l'annulation du refus de titre de séjour qui lui a été opposé.
Sur la légalité du refus de séjour :
2. Aux termes de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction à la date de la décision en litige : " La carte de séjour temporaire mentionnée à l'article L. 313-11 ou la carte de séjour temporaire mentionnée au 1° de l'article L. 313-10 peut être délivrée, sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, à l'étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 311-7. / L'autorité administrative est tenue de soumettre pour avis à la commission mentionnée à l'article L. 312-1 la demande d'admission exceptionnelle au séjour formée par l'étranger qui justifie par tout moyen résider en France habituellement depuis plus de dix ans. ". Selon l'article L.313-10 du même code : " La carte de séjour temporaire autorisant l'exercice d'une activité professionnelle est délivrée : / 1° A l'étranger titulaire d'un contrat de travail visé conformément aux dispositions de l'article L. 341-2 du code du travail (...) ". L'article L. 5221-6 du code du travail prévoit que " la délivrance d'un titre de séjour ouvre droit, dans les conditions fixées aux chapitres III à VI du titre Ier du livre III du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, à l'exercice d'une activité professionnelle salariée. " Il appartient à l'autorité administrative de vérifier, dans un premier temps, si l'admission exceptionnelle au séjour par la délivrance d'une carte portant la mention " vie privée et familiale " répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard de motifs exceptionnels, et à défaut, dans un second temps, s'il est fait état de motifs exceptionnels de nature à permettre la délivrance, dans ce cadre, d'une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié " ou " travailleur temporaire ". Dans cette dernière hypothèse, il appartient à l'autorité administrative, sous le contrôle du juge, d'examiner, notamment, si la qualification, l'expérience et les diplômes de l'étranger, de même que tout élément de sa situation personnelle dont l'étranger ferait état à l'appui de sa demande, tel que l'ancienneté de son séjour en France, peuvent constituer, en l'espèce, des motifs exceptionnels d'admission au séjour.
3. D'une part, il ressort des pièces du dossier que M. D...réside sur le territoire national depuis plus de dix ans et qu'il est le père de deux enfants nés à Toulouse en 2006 et 2014 de son concubinage avec une compatriote titulaire d'une carte de résident en qualité de réfugiée. S'il est séparé de sa compagne et ne produit pas suffisamment d'éléments de nature à établir qu'il contribuerait effectivement à leur entretien, notamment les justifications des versements allégués à la mère de ses enfants d'une somme mensuelle de 200 euros alors qu'il avait déclaré au cours de l'enquête effectuée à la demande du préfet par les services de police, qu'il ne lui versait aucune somme d'argent, il n'en demeure pas moins qu'il entretient avec eux des relations suivies et va chercher l'aînée à l'école, comme en attestent la mère et l'école.
4. D'autre part, il est constant que M. D...justifie avoir régulièrement travaillé depuis l'année 2006 dans le cadre de missions d'intérim dans le secteur du bâtiment et avoir suivi des formations professionnelles qualifiantes lui permettant d'obtenir en début d'année 2015 le certificat d'aptitude à la conduite en sécurité d'engins de chantier et le titre professionnel de " coffreur bancheur option bâtiment ". Il produit pour la première fois en appel des bulletins de salaire pour des missions d'intérim en qualité de coffreur bancheur effectuées en juillet et août 2015. Si le préfet soutient que l'intéressé n'a pas présenté dans sa demande de contrat de travail visé par les autorités compétentes en matière de travail et d'emploi conformément à l'article L. 341-2 du code du travail, il résulte des dispositions de l'article L. 5221-6 du même code que la délivrance à M. D...d'un titre étranger malade régulièrement renouvelé pendant huit ans constituait l'autorisation de travail requise par cet article. Enfin, comme le reconnaît le préfet, qui a rapporté l'obligation de quitter le territoire français par arrêté du 14 mars 2016, aucune procédure d'éloignement ne peut être entreprise à l'encontre de M.D.... Dans ces conditions, compte tenu de l'ensemble de la situation de l'intéressé et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la régularité du jugement ni sur les autres moyens de la requête, M. D...est fondé à soutenir que le préfet a entaché le refus de séjour qui lui a été opposé d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Sur les conclusions à fins d'injonction :
5. L'annulation du refus de séjour en litige implique nécessairement, eu égard aux motifs qui la fondent, que soit délivré à M. D...un titre de séjour. Il y a lieu dès lors d'enjoindre au préfet de la Haute-Garonne de lui délivrer ce titre dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il soit nécessaire d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur l'application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
6. M. D...a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat 1a somme de 1 000 euros au bénéfice de MeC..., sous réserve que l'avocate du requérant renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.
DECIDE :
Article 1er : L'arrêté du préfet de la Haute-Garonne du 22 décembre 2015 est annulé en tant qu'il refuse un titre de séjour à M.D....
Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Haute-Garonne de délivrer à M. D...un titre de séjour temporaire dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : Le jugement n° 1600827 du tribunal administratif de Toulouse du 4 mai 2016 est reformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à l'avocat de M. D...la somme de 1 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. B...D..., au ministre de l'intérieur et au préfet de la Haute-Garonne.
Délibéré après l'audience du 27 octobre 2016 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine Girault, président,
M. Jean-Claude Pauziès, président-assesseur,
M. Paul-André Braud, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 1er décembre 2016.
Le président-assesseur,
Jean-Claude PAUZIÈSLe président-rapporteur,
Catherine GIRAULT
Le greffier,
Delphine CÉRON
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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No 16BX02209