Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 4 décembre 2019, M. H..., représenté par Me D..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler l'arrêté de la préfète de la Gironde du 21 octobre 2019 ;
3°) d'enjoindre à l'Etat de prendre en charge sa demande d'asile ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement au profit de son conseil d'une somme de 1 500 euros au titre des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Il soutient que :
- les brochures n'ont pas été traduites en langue soussou, ce que l'entretien d'une durée de 33 minutes n'aurait d'ailleurs pas permis ; ainsi, les dispositions du 2 de l'article 4 du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ont été méconnues ;
- faute pour la préfète de démontrer qu'elle a délégué sa compétence à une personne qualifiée pour mener l'entretien, les dispositions combinées de l'article 5 du règlement n° 604/2013 et de l'article R. 742-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ont été méconnues ;
- les dispositions de l'article L. 111-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ont été méconnues dès lors que la préfecture a recouru à l'interprétariat téléphonique, alors que la loi le réserve à des cas exceptionnels ;
- dès lors qu'une demande d'asile a été enregistrée en Espagne le 27 février 2019, sa situation relevait des dispositions de l'article 23, et non de l'article 21 du règlement n° 603/2013, de sorte que la décision de transfert aux autorités espagnoles est entachée d'erreur de droit ;
- la motivation stéréotypée du refus de le faire bénéficier de la clause dérogatoire prévue à l'article 17 du règlement n° 604/2013 démontre qu'il n'a pas été procédé à l'examen particulier de sa situation ; dès lors qu'il doit effectuer des examens médicaux pour des problèmes de dos et craint pour sa vie en cas de retour dans son pays où son père pourrait le retrouver grâce à un réseau amical, l'absence d'examen de sa demande d'asile en France à titre dérogatoire est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ; son état de santé n'a pas été pris en compte et l'Espagne ne sera pas en mesure d'assurer son suivi médical.
Par un mémoire en défense enregistré le 23 juillet 2020, la préfète de la Gironde conclut au rejet de la requête, s'en rapporte à ses écritures de première instance et précise que M. H... a été transféré en Espagne le 11 décembre 2019.
M. H... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision
du 19 mars 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme G...,
- et les conclusions de Mme C... E....
Considérant ce qui suit :
1. M. H..., ressortissant guinéen né le 1er janvier 1988, a déclaré être entré en France le 3 avril 2019. Le 17 mai 2019, lors du dépôt de sa demande d'asile à la préfecture de la Gironde, ses empreintes décadactylaires ont été retrouvées dans le fichier Eurodac où elles avaient été saisies le 27 février 2019 par les autorités espagnoles. Le même jour, les services de la préfecture lui ont remis les fascicules d'information sur le règlement UE n° 604/2013, ont procédé à un entretien l'informant notamment qu'il pouvait faire parvenir à l'administration toutes observations qu'il jugerait utiles sur l'éventuelle décision de transfert, et lui ont délivré une " attestation de demande d'asile procédure Dublin " d'une durée d'un mois assortie d'une convocation, dans l'attente de la réponse des autorités espagnoles. Ces dernières ayant fait part de leur accord le 13 juillet 2019, la préfète de la Gironde a décidé le transfert par un arrêté
du 21 octobre 2019. M. H... relève appel du jugement du 13 novembre 2019 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande d'annulation de cet arrêté, lequel a été exécuté le 11 décembre 2019.
2. En premier lieu, aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un État membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, et notamment : a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un État membre différent ainsi que des conséquences du passage d'un État membre à un autre pendant les phases au cours desquelles l'État membre responsable en vertu du présent règlement est déterminé et la demande de protection internationale est examinée ; b) des critères de détermination de l'État membre responsable, de la hiérarchie de ces critères au cours des différentes étapes de la procédure et de leur durée, y compris du fait qu'une demande de protection internationale introduite dans un État membre peut mener à la désignation de cet État membre comme responsable en vertu du présent règlement même si cette responsabilité n'est pas fondée sur ces critères ; c) de l'entretien individuel en vertu de l'article 5 et de la possibilité de fournir des informations sur la présence de membres de la famille, de proches ou de tout autre parent dans les États membres, y compris des moyens par lesquels le demandeur peut fournir ces informations ; d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert ; e) du fait que les autorités compétentes des États membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d'exécuter leurs obligations découlant du présent règlement ; f) de l'existence du droit d'accès aux données le concernant et du droit de demander que ces données soient rectifiées si elles sont inexactes ou supprimées si elles ont fait l'objet d'un traitement illicite, ainsi que des procédures à suivre pour exercer ces droits, y compris des coordonnées des autorités visées à l'article 35 et des autorités nationales chargées de la protection des données qui sont compétentes pour examiner les réclamations relatives à la protection des données à caractère personnel. / 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les États membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel visé à l'article 5. / 3. La Commission rédige, au moyen d'actes d'exécution, une brochure commune ainsi qu'une brochure spécifique pour les mineurs non accompagnés, contenant au minimum les informations visées au paragraphe 1 du présent article. Cette brochure commune comprend également des informations relatives à l'application du règlement (UE) n° 603/2013 et, en particulier, à la finalité pour laquelle les données relatives à un demandeur peuvent être traitées dans Eurodac. La brochure commune est réalisée de telle manière que les États membres puissent y ajouter des informations spécifiques aux États membres. Ces actes d'exécution sont adoptés en conformité avec la procédure d'examen visée à l'article 44, paragraphe 2, du présent règlement ".
3. Il ressort des pièces du dossier que contrairement à ce qu'a indiqué le premier juge, les brochures " J'ai demandé l'asile dans l'Union Européenne - quel pays sera responsable de ma demande ' " et " Je suis sous procédure Dublin - qu'est-ce que cela signifie ' " ont été remises à M. H... en langue française, langue officielle de la République de Guinée, en l'absence de traduction de ces documents en langue soussou que l'intéressé déclarait comprendre. Il est toutefois constant que M. H... a bénéficié de l'assistance téléphonique d'un interprète en langue soussou. Si le requérant fait valoir que cet entretien téléphonique n'a duré
que 33 minutes, cette circonstance ne suffit pas à démontrer que l'absence de remise des brochures en langue soussou, qui n'a pu influer sur le sens de la décision prise, l'aurait privé d'une garantie en l'empêchant de bénéficier d'une information complète concernant l'application du règlement (UE) n° 604/2013. Par suite, la méconnaissance de la formalité prévue par les dispositions citées au point précédent n'entache pas d'illégalité la décision contestée.
4. En deuxième lieu, aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur (...) / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national (...) ". Le compte-rendu de l'entretien indique qu'il a été conduit par un agent qualifié de la préfecture, ce qui suffit, en l'absence de preuve contraire, à établir qu'il s'agissait d'une " personne qualifiée en vertu du droit national " au sens de ces dispositions. Si en vertu de l'article R. 742-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet de département est l'autorité compétente pour procéder à la détermination de l'Etat responsable de l'examen d'une demande d'asile, ces dispositions ne font pas obstacle à ce que l'entretien soit mené par un agent de la préfecture qui, n'étant pas le signataire de la décision de transfert déterminant l'Etat responsable de l'examen de la demande d'asile, n'est pas tenu de bénéficier d'une délégation du préfet pour procéder à cet entretien. Il ne ressort ni des écritures de l'appelant, ni du compte-rendu de l'entretien que la personne ayant mené l'entretien n'aurait pas été qualifiée pour le faire.
5. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 111-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'il est prévu (...) qu'une décision ou qu'une information doit être communiquée à un étranger dans une langue qu'il comprend, cette information peut se faire soit au moyen de formulaires écrits, soit par l'intermédiaire d'un interprète. L'assistance de l'interprète est obligatoire si l'étranger ne parle pas le français et qu'il ne sait pas lire. / En cas de nécessité, l'assistance de l'interprète peut se faire par l'intermédiaire de moyens de télécommunication. / (...). " Le caractère peu fréquent d'un besoin d'interprétariat en langue soussou suffit à constituer un cas de nécessité au sens des dispositions précitées, justifiant de recourir à l'assistance téléphonique d'un interprète.
6. En quatrième lieu, le règlement (UE) n° 604/2013 pose en principe dans le paragraphe 1 de son article 3 qu'une demande d'asile est examinée par un seul Etat membre. Cet Etat est déterminé par application des critères fixés par son chapitre III, dans l'ordre énoncé par ce chapitre. Aux termes de l'article 7 du règlement : " 1. Les critères de détermination de l'État membre responsable s'appliquent dans l'ordre dans lequel ils sont présentés dans le présent chapitre. 2. La détermination de l'État membre responsable en application des critères énoncés dans le présent chapitre se fait sur la base de la situation qui existait au moment où le demandeur a introduit sa demande de protection internationale pour la première fois auprès d'un État membre. (...) ". Aux termes de l'article 13 : " 1. Lorsqu'il est établi, sur la base de preuves ou d'indices tels qu'ils figurent dans les deux listes mentionnées à l'article 22, paragraphe 3, du présent règlement, notamment des données visées au règlement (UE) n° 603/2013, que le demandeur a franchi irrégulièrement, par voie terrestre, maritime ou aérienne, la frontière d'un État membre dans lequel il est entré en venant d'un État tiers, cet État membre est responsable de l'examen de la demande de protection internationale. Cette responsabilité prend fin douze mois après la date du franchissement irrégulier de la frontière. 2. Lorsqu'un État membre ne peut pas, ou ne peut plus, être tenu pour responsable conformément au paragraphe 1 du présent article et qu'il est établi, sur la base de preuves ou d'indices tels qu'ils figurent dans les deux listes mentionnées à l'article 22, paragraphe 3, que le demandeur qui est entré irrégulièrement sur le territoire des États membres ou dont les circonstances de l'entrée sur ce territoire ne peuvent être établies a séjourné dans un État membre pendant une période continue d'au moins cinq mois avant d'introduire sa demande de protection internationale, cet État membre est responsable de l'examen de la demande de protection internationale. Si le demandeur a séjourné dans plusieurs États membres pendant des périodes d'au moins cinq mois, l'État membre du dernier séjour est responsable de l'examen de la demande de protection internationale ". En application du paragraphe 4 de l'article 24 du règlement (UE) n° 603/2013, les demandeurs d'une protection internationale visés à l'article 9 paragraphe 1 dudit règlement qui font l'objet d'un relevé d'empreintes digitales, sont enregistrés dans le système central Eurodac sous la catégorie 1.
7. Il ressort des pièces du dossier que si, dans sa note au préfet de la Gironde
du 17 mai 2019, le directeur de l'asile du ministère de l'intérieur a désigné M. H... comme étant une personne connue du fichier Eurodac sous la catégorie 1, les autorités espagnoles l'ont enregistré sous un numéro de catégorie 2 des personnes ayant présenté une demande de protection internationale dans ce pays. Par suite, et quand bien même les autorités françaises auraient présenté à tort une demande de " prise en charge ", cette erreur a été rectifiée par les autorités espagnoles qui ont accepté la " reprise en charge " correspondant à la situation
de M. H....
8. En cinquième lieu, aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 :
" 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement ". La faculté ainsi laissée à chaque Etat membre de décider d'examiner une demande de protection internationale, alors qu'elle ne lui incombe pas, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.
9. La décision relève que lors de l'entretien du 17 mai 2019, M. H... a été mis en mesure d'émettre des observations quant à un éventuel transfert en Espagne, qu'il n'en a présenté aucune, et que les éléments de fait et de droit caractérisant sa situation ne relèvent pas, notamment, de la dérogation prévue au 1 de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013. Contrairement à ce que soutient le requérant, cette motivation démontre l'existence d'un examen particulier de sa situation.
10. M. H... reprend en appel, sans invoquer d'éléments de fait ou de droit nouveaux par rapport à l'argumentation développée en première instance, et sans critiquer utilement les réponses apportées par le magistrat désigné par le président du tribunal administratif, le moyen tiré de ce que l'absence d'examen de sa demande d'asile par la France à titre dérogatoire serait entachée d'erreur manifeste d'appréciation. Dès lors, il y a lieu d'écarter ce moyen par adoption des motifs retenus à bon droit par le premier juge.
11. Il résulte de tout ce qui précède que M. H... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par la décision attaquée, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande. Par suite, ses conclusions à fin d'injonction et celles présentées au titre des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative
et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique doivent être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. H... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... H... et au ministre de l'intérieur.
Une copie en sera adressée à la préfète de la Gironde.
Délibéré après l'audience du 29 septembre 2020 à laquelle siégeaient :
Mme K... J..., présidente,
Mme A... G..., présidente-assesseure,
Mme F... I..., conseillère.
Lu en audience publique, le 3 novembre 2020.
La rapporteure,
Anne G...
La présidente,
Catherine J...La greffière,
Virginie Guillout
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 19BX04743