des frais futurs.
Par un jugement n° 1602146 du 17 avril 2018, le tribunal administratif de Bordeaux
a condamné solidairement le CHU de Bordeaux et la SHAM à verser à M. N...
une indemnité de 70 644,86 euros et à la CPAM de la Gironde la somme de 145 016,10 euros
au titre des débours actuels, ainsi que les frais futurs, sur présentation de justificatifs,
dans la limite d'un montant définitif de 3 144,59 euros, et a rejeté le surplus des demandes.
Procédure devant la cour :
Par une requête sommaire enregistrée le 18 juin 2018 et des mémoires enregistrés
les 17 octobre 2018, 28 décembre 2018 et 23 janvier 2019, le CHU de Bordeaux et la SHAM, représentés par Me K..., demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter les demandes de M. N... et de la CPAM de la Gironde.
Ils soutiennent que :
- le tribunal n'a pas visé et analysé l'ensemble des écritures des parties ;
- le jugement est insuffisamment motivé au regard des moyens dont le tribunal était saisi ;
- l'infection s'est déclarée le 5 novembre 2013, plus de 48 heures après la sortie du CHU de Bordeaux et plus de 30 jours après l'intervention chirurgicale, alors que M. N... était hospitalisé depuis le 21 octobre au centre de médecine physique et de réadaptation de la Tour de Gassies et ne présentait pas de signe d'infection lors de son admission dans cet établissement privé ; ainsi que l'ont relevé les experts, l'infection résulte d'une surinfection d'une nécrose par la flore cutanée du patient, le risque de surinfection de 3 à 5 % étant augmenté par le tabagisme actif responsable de troubles de la microcirculation, de sorte qu'elle est sans lien avec un mécanisme exogène et a une origine autre que la prise en charge ; ainsi, l'infection n'est pas liée aux soins reçus au CHU de Bordeaux ;
- l'infection par des germes endogènes résultant d'un mécanisme endogène, du seul fait de leur proximité avec la plaie, ne peut être qualifiée de nosocomiale ;
- dès lors que l'infection était inévitable selon les experts, l'existence d'une cause étrangère doit être regardée comme établie ; ainsi, c'est à tort que les premiers juges ont retenu la qualification d'infection nosocomiale ;
- les experts ayant constaté que les doléances de M. N... étaient imputables aux séquelles de la fracture, que les conséquences de la complication infectieuse étaient anormales seulement au regard de la durée d'hospitalisation et du nombre d'interventions et qu'il n'y avait pas de séquelles de l'infection elle-même, ils ne pouvaient conclure que la nécrose du tendon tibial antérieur était la conséquence de la surinfection de la nécrose cutanée ; ainsi, sauf à ordonner un complément d'expertise, la cour ne peut retenir comme imputables à l'infection que des préjudices temporaires et devra rejeter les demandes relatives aux préjudices post-consolidation ;
- les pertes de gains professionnels ne peuvent être indemnisées dès lors que le licenciement de M. N... en novembre 2013, alors qu'il se trouvait en période d'essai,
était imputable à l'accident dont les seules conséquences auraient conduit à un arrêt de travail jusqu'au 3 avril 2014, et non à l'infection ; le préjudice d'incidence professionnelle, imputable aux séquelles de l'accident et non à celles de l'infection, n'ouvre pas davantage droit
à indemnisation ; subsidiairement, il y aurait lieu d'imputer sur ce dernier préjudice les arrérages de la pension d'invalidité servie par la CPAM ;
- à titre subsidiaire, le tribunal a fait une juste évaluation des préjudices
de M. N... ;
- la CPAM de la Gironde ne justifie pas de la réalité et du montant des frais
de reclassement professionnel, au demeurant exposés pour partie avant l'intervention
du jugement de première instance, de sorte que sa demande nouvelle est irrecevable en
appel ;
- c'est à tort que le tribunal a alloué à la CPAM de la Gironde, qui ne justifiait pas de l'imputabilité de ses débours, les sommes de 145 016,10 euros au titre des frais actuels
et de 3 144,59 euros au titre des frais futurs.
Par des mémoires en défense enregistrés les 11 septembre 2018, 29 novembre 2018
et 21 janvier 2019, la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de la Gironde, représentée par la SELARL Bardet et associés, conclut au rejet de la requête et, par la voie de l'appel incident, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) de condamner solidairement le CHU de Bordeaux et la SHAM à lui verser
la somme de 196 675,84 euros en remboursement de ses débours actuels, et de lui rembourser les frais futurs à mesure qu'ils seront exposés ou par le versement immédiat d'un capital
de 2 358,44 euros ;
2°) de mettre à la charge solidaire du CHU de Bordeaux et de la SHAM les sommes
de 1 080 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion, de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de 13 euros au titre du droit de plaidoirie.
Elle fait valoir que :
- c'est à bon droit que les premiers juges ont retenu le caractère nosocomial
de l'infection survenue au décours des soins, dont les premiers symptômes sont apparus
le 21 octobre 2013, dès lors qu'il n'est pas démontré qu'elle trouverait son origine dans une cause étrangère ; la responsabilité sans faute du Centre Hospitalier de Bordeaux est donc bien établie sur le fondement de l'article 1142-1 I alinéa 2 du code de la santé publique ;
- ses débours chiffrés en première instance étaient provisoires dès lors que M. N... avait dû interrompre pour raison médicale ses deux stages de pré-orientation au centre de reclassement professionnel de Grasse ; sa créance actualisée inclut trois stages qui ont été terminés, mais demeure provisoire dès lors que la Caisse est susceptible de financer une future formation professionnelle ;
- les indemnités journalières dont le remboursement est demandé tiennent compte
de la période de six mois d'arrêt de travail imputable aux seules conséquences de l'accident ;
- elle est fondée à demander le remboursement des frais de reclassement professionnel dès lors que les séquelles en lien avec l'infection empêchent M. N... d'exercer son activité antérieure de serveur ;
- elle justifie avoir exposé 187 167,59 euros au titre des dépenses de santé
et 9 508,25 euros au titre des pertes de revenus, et les dépenses de santé futures s'élèvent
à 2 358,44 euros.
Par un mémoire enregistré le 26 octobre 2018, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), représenté par la SELARL Birot Ravaut et associés, demande à la cour de le mettre hors
de cause.
Il fait valoir que :
- ainsi que l'ont relevé les experts, la nécrose cutanée est la conséquence de la gravité
de la fracture complexe, et non d'un acte médical ;
- le germe d'origine endogène est devenu pathogène en raison de sa proximité
avec la nécrose imputable au traumatisme initial, et l'infection était inévitable dès lors
que le risque infectieux était accru par le tabagisme actif du patient ; ainsi, l'infection ne présente pas de caractère nosocomial ;
- en tout état de cause, le déficit fonctionnel permanent de 10 % imputable
à la complication est inférieur au seuil ouvrant droit à une indemnisation au titre de la solidarité nationale.
Par des mémoires en défense enregistrés les 17 janvier et 20 juin 2019, M. N... conclut au rejet de la requête et demande à la cour, par la voie de l'appel incident :
1°) de porter à un montant total de 690 360,76 euros l'indemnité que le CHU de Bordeaux et la SHAM ont été condamnés à lui verser ;
2°) de mettre à la charge solidaire du CHU de Bordeaux et de la SHAM une somme
de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et les entiers dépens de l'instance.
Il fait valoir que :
- comme l'ont relevé les experts, les signes annonciateurs d'une infection étaient présents dès le 19 octobre 2013, l'état avancé de la nécrose le 21 octobre démontre qu'elle préexistait à l'entrée au centre de la Tour de Gassies, et le germe a été identifié le 22 octobre,
de sorte que le critère chronologique permettant de présumer l'imputabilité est rempli ; les experts ont retenu que l'acte à l'origine de l'infection était l'intervention réalisée au CHU de Bordeaux le 3 octobre 2013, et leur conclusion selon laquelle l'infection " associée aux soins " ne serait pas nosocomiale ne peut être suivie dès lors que la fracture était fermée et que les germes endogènes n'ont pu envahir l'organisme qu'à l'occasion de l'intervention ; la gravité de la fracture initiale, sa prédisposition à évoluer vers une nécrose cutanée et le tabagisme léger ne sont pas de nature à écarter la qualification d'infection nosocomiale ; aucune cause étrangère n'est établie ;
- l'indemnisation allouée par le tribunal étant insuffisante, il maintient ses demandes initiales de 1 000 euros d'honoraires d'assistance d'un médecin conseil, 20 259 euros de pertes de gains professionnels avant consolidation, 330 556,76 euros de pertes de gains professionnels après consolidation et futurs, 249 320,76 euros d'incidence professionnelle, 12 640 euros de frais de véhicule adapté, 6 785 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire, 20 000 euros au titre des souffrances endurées, 6 000 euros au titre du déficit esthétique temporaire, 3 000 euros
au titre du déficit d'agrément temporaire, 25 000 euros au titre du déficit fonctionnel permanent dès lors que les experts n'ont pas pris en compte les répercussions psychologiques
de la limitation de la marche, 6 000 euros au titre du préjudice esthétique permanent lié aux multiples cicatrices et au steppage, et 10 000 euros au titre du préjudice d'agrément permanent résultant de la cessation des pratiques du judo et du VTT ; en outre, il souhaite que le préjudice lié aux frais d'adaptation de son logement soit réservé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme C...,
- les conclusions de Mme Beuve Dupuy, rapporteur public,
- et les observations de Me L..., représentant M. N....
Considérant ce qui suit :
1. Dans la nuit du 2 au 3 octobre 2013, M. N... a fait une chute accidentelle
de son balcon, situé au troisième étage, et a présenté une fracture fermée du pilon tibial gauche, pluri-fragmentaire articulaire, avec perte de substance ostéochondrale par impaction métaphysaire. Une intervention de réduction et d'ostéosynthèse du pilon tibial avec autogreffe cortico-spongieuse a été réalisée le 3 octobre 2013 au centre hospitalier universitaire (CHU) de Bordeaux. Le 21 octobre, lors de son admission au centre de médecine physique et de réadaptation de la Tour de Gassies, le patient présentait une plaque de nécrose sèche sur la cicatrice tibiale. Des prélèvements ont révélé la présence d'un staphylococcus lugdunensis méticillino sensible, sans signe local d'infection. M. N..., réadmis au CHU de Bordeaux le 5 novembre en raison de l'apparition d'un érysipèle avec écoulement au niveau de la plaie, dénotant une infection du site opératoire, a subi le 6 novembre une deuxième intervention pour fistule de la face antérieure de la cheville, lors de laquelle un écoulement purulent a été retrouvé au contact du tendon du jambier antérieur. Les prélèvements bactériologiques ont mis en évidence un staphylococcus aureus méti-sensible. L'infection et ses conséquences ont nécessité six autres interventions les 27 novembre et 6 décembre 2013, et les 29 janvier, 20 février, 17 avril et 24 avril 2014, la dépose du matériel d'ostéosynthèse étant par ailleurs réalisée le 20 mars 2014. La commission de conciliation et d'indemnisation (CCI) d'Aquitaine, saisie par M. N..., a ordonné une expertise dont le rapport, déposé le 4 mai 2015, conclut que l'intervention du 3 octobre 2013 est à l'origine de l'infection, laquelle est associée aux soins, mais n'a pas de caractère nosocomial dès lors qu'elle résulte de la surinfection d'une nécrose par la flore cutanée du patient. La CCI ayant émis le 1er juillet 2015 un avis de rejet de sa demande, M. N..., après avoir présenté une demande préalable au CHU de Bordeaux, a saisi le tribunal administratif de Bordeaux, lequel, par un jugement du 17 avril 2018, a condamné solidairement cet établissement et son assureur à verser à M. N... une indemnité de 70 644,86 euros et à la CPAM de la Gironde les sommes de 145 016,10 euros au titre de ses débours actuels et de 3 144,59 euros au titre des frais futurs. Le CHU de Bordeaux et la SHAM relèvent appel de ce jugement. Par leurs appels incidents, M. N... demande que la condamnation prononcée à son profit soit portée à la somme de 690 360,76 euros, et la CPAM de la Gironde rehausse le montant de sa demande en raison de l'actualisation des frais de reclassement professionnel qu'elle soutient avoir exposés postérieurement au jugement. Enfin, l'ONIAM demande sa mise hors de cause.
Sur la régularité du jugement :
2. Le CHU de Bordeaux et la SHAM se sont bornés à affirmer dans leur requête sommaire que les premiers juges n'avaient pas visé et analysé l'ensemble des écritures
des parties, et avaient insuffisamment motivé leur jugement au regard des moyens dont le tribunal était saisi, sans apporter dans leurs mémoires ultérieurs aucune précision ni sur les visas et analyses prétendument manquants, ni sur les moyens auxquels il n'aurait pas été répondu.
Par suite, ils ne sont pas fondés à invoquer une irrégularité du jugement.
Sur la responsabilité :
3. Aux termes du 2ème alinéa de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. (...) / Les établissements, services et organismes susmentionnés sont responsables des dommages résultant d'infections nosocomiales, sauf s'ils rapportent la preuve d'une cause étrangère. (...) ". Aux termes de l'article L. 1142-1-1 du même code : " Sans préjudice des dispositions du septième alinéa de l'article L. 1142-17, ouvrent droit à réparation au titre de la solidarité nationale : / 1° Les dommages résultant d'infections nosocomiales
dans les établissements, services ou organismes mentionnés au premier alinéa du I de
l'article L. 1142-1 correspondant à un taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique supérieur à 25% déterminé par référence au barème mentionné au II du même article, ainsi que les décès provoqués par ces infections nosocomiales (...) ". Ces dispositions font peser sur l'établissement de santé ou sur l'ONIAM, selon les cas, l'obligation de réparer les conséquences des infections nosocomiales, qu'elles soient exogènes ou endogènes, à moins que la preuve d'une cause étrangère soit rapportée. Doit ainsi être regardée, au sens de ces dispositions, comme présentant un caractère nosocomial une infection survenant au cours ou au décours de la prise en charge d'un patient et qui n'était ni présente, ni en incubation au début de celle-ci, sauf s'il est établi qu'elle a une autre origine que la prise en charge. La preuve d'une cause étrangère n'est pas rapportée, faute de caractère d'imprévisibilité et d'irrésistibilité de l'infection, lorsque celle-ci a été provoquée par l'intervention et constitue un risque connu des interventions de la nature de celle pratiquée en l'espèce, même s'il est établi qu'il était très difficile de la prévenir.
4. Il résulte de l'instruction que le 19 octobre 2013, la plaie opératoire en regard
du pilon tibial n'était pas cicatrisée et présentait une zone de souffrance cutanée. Le 21 octobre, date du transfert du patient du CHU de Bordeaux au centre de réadaptation de la Tour de Gassies, il a été constaté sur cette zone une plaque de nécrose sèche cutanée, sur laquelle est apparue une phlyctène, puis, malgré les soins, un érysipèle avec écoulement au niveau de la plaie, nécessitant la réadmission de M. N... au CHU le 5 novembre 2013, où ce tableau clinique a été aussitôt identifié comme étant en faveur d'une infection du site opératoire. Quand bien même l'infection ne se serait déclarée que le 5 novembre avec l'apparition de l'érysipèle,
cette circonstance n'est pas de nature à remettre en cause son lien avec l'intervention
du 3 octobre, retenu sans ambiguïté par les experts. L'appartenance à la flore cutanée du patient du staphylococcus aureus à l'origine de l'infection est sans incidence sur la qualification d'infection nosocomiale dès lors qu'il ne résulte pas de l'instruction que ce germe endogène aurait été présent ou en incubation avant l'intervention, alors que la fracture était fermée.
Enfin, si les experts soulignent le risque de complication par une nécrose cutanée, sujette
à surinfection secondaire dans 3 à 5 % des cas, auquel le patient était exposé du fait du type
de fracture à haute énergie cinétique, ainsi que l'aggravation du risque d'infection
par un tabagisme responsable de troubles de la microcirculation, et qualifient, dans ce contexte, la survenue de l'infection de " très facile ", voire de " quasi inévitable ", ce risque ne caractérise pas une cause étrangère. Par suite, le CHU de Bordeaux et la SHAM ne sont pas fondés
à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont retenu le caractère nosocomial de l'infection.
Sur la demande de mise hors de cause de l'ONIAM :
5. Les dispositions de l'article L. 1142-1-1 du code de la santé publique ouvrent droit à réparation au titre de la solidarité nationale des dommages résultant d'infections nosocomiales correspondant à un taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique supérieur à 25 %. Il résulte de l'instruction que l'infection nosocomiale est à l'origine d'un déficit fonctionnel permanent de 10 %, inférieur au seuil de 25 %. Par suite, l'ONIAM est fondé à demander sa mise hors de cause.
Sur les préjudices de M. N... :
En ce qui concerne le lien de causalité :
6. Si les experts relèvent que les doléances de M. N... relatives à la persistance de douleurs en regard de la malléole externe et à des difficultés à la marche sont imputables à la fracture elle-même, ils détaillent les étapes de la complication infectieuse ayant conduit à une nécrose du muscle du tendon tibial antérieur, et identifient les préjudices en lien exclusif avec celle-ci, lesquels n'ont pas été seulement temporaires dès lors que cette nécrose est à l'origine d'un équinisme de la cheville gauche. Le fait que les experts précisent, par une formule maladroite, qu'il n'y a pas de séquelle de l'infection elle-même en l'absence d'évolution vers une ostéite ou une ostéo-arthrite de cheville, n'est pas de nature à faire douter du lien de causalité entre l'infection et les préjudices permanents en lien avec l'équinisme, alors que les experts reconnaissent que celui-ci résulte de la nécrose du tendon du tibial antérieur, elle-même conséquence de la surinfection de la nécrose cutanée. Par suite, sans qu'il soit besoin d'ordonner un complément d'expertise, le CHU et la SHAM ne sont pas fondés à soutenir que seuls des préjudices temporaires seraient en lien avec l'infection nosocomiale.
En ce qui concerne les préjudices patrimoniaux :
7. La somme de 1 000 euros allouée par le tribunal au titre des honoraires d'assistance d'un médecin conseil exposés par M. N... n'est pas contestée.
8. Il résulte de l'instruction que l'équinisme de la cheville gauche en lien avec l'infection rend nécessaire l'utilisation d'un véhicule à boîte de vitesses automatique.
Si M. N..., âgé de 40 ans à la date de consolidation de son état de santé, sollicite une somme de 12 640 euros correspondant au capital représentatif du surcoût d'adaptation
de 1 580 euros avec un changement de véhicule tous les cinq ans, le tribunal n'a pas fait une insuffisante appréciation de ce préjudice en lui allouant la somme de 9 534 euros correspondant à un changement de véhicule tous les sept ans.
9. Si M. N... demande que le préjudice lié à des frais d'adaptation de son logement soit réservé, l'existence d'un tel préjudice n'est pas établie dès lors que l'expert a indiqué qu'il avait déménagé dans un logement en rez-de-chaussée. Par suite cette demande doit être rejetée.
10. Il résulte de l'instruction que la pathologie initiale, due à un traumatisme par compression à haute énergie cinétique, était une fracture pluri-fragmentaire comminutive, articulaire, avec perte de substance ostéochondrale par impaction métaphysaire, dont les séquelles sont des douleurs persistantes en regard de la malléole externe, augmentées par la marche avec appui, ainsi que des difficultés à la marche, laquelle n'est possible sans canne, sur un sol plat, que sur une distance d'environ 500 mètres. Ainsi, les seules conséquences de la fracture rendaient impossible la reprise de l'activité professionnelle de serveur de M. N..., dont les pertes de revenus professionnels ne sont dès lors pas imputables aux séquelles de l'infection nosocomiale. Par suite, le CHU de Bordeaux et la SHAM sont fondés à soutenir que c'est à tort que les premiers juges les ont condamnés à verser la somme de 4 610,86 euros au titre des pertes de revenus professionnels du 3 octobre 2013 au 1er janvier 2015, date de consolidation, déduction faite des six mois d'arrêt de travail imputables à l'accident,
et M. N..., dont la demande relative à cette période doit être rejetée, n'est pas fondé à se plaindre de ce que le tribunal a rejeté sa demande relative aux pertes de revenus postérieures à la consolidation de son état de santé.
11. Dès lors que les séquelles de la fracture suffisaient à empêcher M. N... d'exercer son activité antérieure de serveur ainsi que toute activité imposant une station debout prolongée, et que l'équinisme de la cheville gauche imputable à l'infection nosocomiale n'aggrave pas son préjudice professionnel caractérisé par la nécessité d'une reconversion sur un emploi sédentaire et une pénibilité accrue de l'activité professionnelle du fait des douleurs et des difficultés à la marche, le préjudice d'incidence professionnelle n'ouvre pas droit à indemnisation. Par suite, le CHU de Bordeaux et la SHAM sont fondés à soutenir que c'est à tort que les premiers juges les ont condamnés à verser la somme de 20 000 euros, et la demande de M. N... doit être rejetée.
En ce qui concerne les préjudices extra-patrimoniaux :
12. Le CHU de Bordeaux et la SHAM ne contestent pas la somme allouée par le tribunal au titre des périodes de déficit fonctionnel temporaire imputables à l'infection nosocomiale sur la base d'un montant d'indemnisation de 500 euros pour une incapacité totale. Si M. N... sollicite la somme de 6 785 euros sur la base de de 23 euros par jour pour une incapacité totale, les premiers juges n'ont pas fait une insuffisante appréciation de son préjudice en fixant son indemnisation à 2 500 euros.
13. Il résulte de l'instruction que l'infection nosocomiale a nécessité sept interventions dont cinq sous anesthésie générale, notamment pour des greffes de peau, ainsi que l'évacuation de caillots, la pose de sangsues et des soins locaux, et qu'elle a en outre été à l'origine de souffrances morales. Les premiers juges n'ont pas fait une insuffisante appréciation de ce préjudice, évalué à 4 sur 7 par les experts, en fixant son indemnisation à 8 000 euros. Par suite, M. N... n'est pas fondé à solliciter la somme de 20 000 euros.
14. Les premiers juges n'ont pas fait une insuffisante appréciation du déficit fonctionnel permanent imputable à l'infection nosocomiale, caractérisé par l'équinisme secondaire à la nécrose du tendon tibial antérieur, en fixant son indemnisation à la somme, non contestée par le CHU de Bordeaux et la SHAM, de 20 000 euros. Par suite, M. N... n'est pas fondé à solliciter la somme de 25 000 euros.
15. Les premiers juges n'ont pas davantage fait une insuffisante appréciation du préjudice esthétique, évalué à 3 sur 7 par les experts avant et après consolidation, en allouant à ce titre une somme globale de 5 000 euros, non contestée par le CHU de Bordeaux et la SHAM. Par suite, M. N... n'est pas fondé à solliciter une somme de 12 000 euros au titre des préjudices esthétiques temporaire et permanent.
16. Si les experts ont relevé que M. N... ne pouvait plus pratiquer le judo ni le VTT, il ne résulte pas de l'instruction que ces activités physiques de loisir, sur la réalité desquelles aucune preuve n'est au demeurant apportée, auraient pu être poursuivies malgré les séquelles de la fracture décrites au point 9, et que leur privation serait ainsi imputable à l'infection nosocomiale. Par suite, M. N... n'est pas fondé à demander l'indemnisation de préjudices d'agrément temporaire et permanent.
17. Il résulte de ce qui précède que la somme que le CHU de Bordeaux et la SHAM ont été condamnés à verser à M. N... doit être ramenée à 46 034 euros, et que l'appel incident de M. N... doit être rejeté.
Sur les droits de la CPAM de la Gironde :
18. La CPAM de la Gironde, qui produit les mêmes justificatifs qu'en première instance, ne justifie toujours pas en appel des frais médicaux de 314,54 euros, des frais pharmaceutiques de 384,99 euros et des frais de transport de 303,95 euros, lesquels figurent sur sa notification provisoire de débours du 16 mars 2018 sans aucune précision relative à leur nature, dès lors que l'attestation d'imputabilité de son médecin conseil du 15 mars 2018
ne comporte aucune référence à ces catégories de frais. En outre, si cette attestation mentionne la nécessité de deux paires de semelles orthopédiques par an, la caisse n'établit pas avoir exposé
les dépenses correspondantes jusqu'à la date du présent arrêt. En revanche, les pièces produites suffisent à justifier de frais d'hospitalisation en lien avec l'infection nosocomiale d'un montant total de 135 507,85 euros, dont le remboursement incombe au CHU de Bordeaux et à la SHAM.
19. Les frais futurs correspondant à des semelles orthopédiques pour un montant annuel de 115,44 euros sont en lien avec l'infection nosocomiale. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de condamner le CHU de Bordeaux et la SHAM à les rembourser à la CPAM
de la Gironde, sur présentation de justificatifs, dans la limite d'un montant définitif
de 3 541,23 euros déterminé par application du coefficient de 30,676, prix de l'euro de rente viagère applicable à l'âge de la victime à la date du présent arrêt.
20. Ainsi qu'il a été dit au point 9, les pertes de revenus professionnels sont imputables aux seules conséquences de la fracture, et non à celles de l'infection nosocomiale. Par suite,
c'est à tort que les premiers juges ont inclus des indemnités journalières pour un montant
de 9 508,25 euros dans la somme allouée à la CPAM de la Gironde.
21. Ainsi qu'il a été dit au point 10, la reconversion professionnelle était rendue nécessaire par les conséquences de la fracture. Par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée par le CHU de Bordeaux et la SHAM, les demandes de la CPAM de la Gironde relatives aux frais de reclassement professionnel qu'elle a exposés au bénéfice
de M. N... doivent être rejetées.
22. Il résulte de ce qui précède que la somme que le CHU de Bordeaux et la SHAM
ont été condamnés à verser à la CPAM de la Gironde doit être ramenée à 135 507,85 euros,
et que cet établissement et son assureur doivent être condamnés à rembourser à la caisse
ses frais futurs sur présentation de justificatifs, dans la limite d'un montant de 3 541,23 euros.
Sur l'indemnité forfaitaire de gestion :
23. Dès lors que la CPAM de la Gironde n'obtient pas en appel de majoration de la somme due au titre de ses débours, elle n'est pas fondée à demander le rehaussement de la somme mise à la charge du CHU de Bordeaux et de la SHAM au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue par les dispositions de l'article L. 3761-1 du code de la sécurité sociale afin de tenir compte de sa revalorisation postérieurement au jugement du tribunal administratif de Bordeaux.
Sur les frais exposés par les parties à l'occasion du litige :
24. M. N... et la CPAM de la Gironde, qui sont la partie perdante, ne sont pas fondés à demander l'allocation de sommes au titre des frais qu'ils ont exposés à l'occasion du présent litige.
DÉCIDE :
Article 1er : L'ONIAM est mis hors de cause.
Article 2 : La somme que le CHU de Bordeaux et la SHAM ont été condamnés à verser
à M. N... est ramenée à 46 034 euros.
Article 3 : La somme que le CHU de Bordeaux et la SHAM ont été condamnés à verser
à la CPAM de la Gironde est ramenée à 135 507,85 euros.
Article 4 : Le CHU de Bordeaux et la SHAM sont condamnés à rembourser à la CPAM
de la Gironde ses frais futurs sur présentation de justificatifs, dans la limite d'un montant de 3 541,23 euros.
Article 5 : Le jugement du tribunal administratif de Bordeaux n° 1602146 du 17 avril 2018
est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 6 : L'appel incident de M. N... et le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 7 : Le présent arrêt sera notifié au centre hospitalier universitaire de Bordeaux,
à la société hospitalière d'assurances mutuelles, à M. I... N..., à la caisse primaire d'assurance maladie de la Gironde et à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales. Des copies en seront adressées
à M. F... D... et à M. J... E..., experts.
Délibéré après l'audience du 15 septembre 2020 à laquelle siégeaient :
Mme M... H..., présidente,
Mme A... C..., présidente-assesseure,
Mme B... G..., conseillère.
Lu en audience publique, le 13 octobre 2020.
La rapporteure,
Anne C...
La présidente,
Catherine H...La greffière,
Virginie Guillout
La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
4
N° 18BX02380