Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 13 mars 2020, M. I..., représenté
par Me H..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler l'arrêté de la préfète de la Vienne du 11 septembre 2019 ;
3°) d'enjoindre à la préfète de la Vienne, à titre principal de lui délivrer une carte
de séjour d'une durée d'un an dans le délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, ou à titre subsidiaire de réexaminer
sa situation dans le même délai et sous la même astreinte et de lui délivrer, dans l'attente,
une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement au profit de son conseil d'une somme
de 2 000 euros au titre des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Il soutient que :
- l'arrêté doit être annulé pour incompétence en l'absence de preuve de ce
que M. Soumbo, secrétaire général, disposait d'une délégation de signature régulièrement publiée ;
En ce qui concerne la décision de refus de titre de séjour :
- elle est insuffisamment motivée en l'absence de référence à l'accord signé entre
la France et le Cameroun le 21 mai 2009 ;
- la préfète n'a pas examiné sa situation au regard des dispositions
de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile
qui constituaient le fondement de sa demande ;
- la préfète a rejeté sa demande au seul motif qu'il ne justifiait pas d'un visa de long séjour, sans porter aucune appréciation sur sa situation professionnelle, alors qu'il avait produit un contrat d'apprentissage ;
- dès lors qu'il justifie de la régularité de son acte de naissance et s'est vu délivrer un passeport, c'est à tort que la préfète a refusé de lui délivrer tout titre de séjour au motif qu'il ne justifiait pas de son état-civil ;
- ses conditions d'entrée en France ne faisaient pas obstacle à la délivrance d'un titre
de séjour après examen de sa situation particulière ; en l'espèce, il bénéficie d'un contrat d'apprentissage valable jusqu'au 30 juin 2022, est inscrit en baccalauréat professionnel, le métier qu'il a vocation à exercer figure sur la liste des métiers " en tension " fixée par arrêté
du 18 janvier 2008, il est impliqué dans des actions de bénévolat et a suivi des cours de français ; dès lors qu'il a en France le centre de ses intérêts, la décision est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;
- c'est à tort que la préfète lui a opposé l'absence de visa de long séjour pour lui refuser la délivrance d'un titre sur le fondement des dispositions de l'article L. 313-15 du code
de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :
- elle est illégale du fait de l'illégalité de la décision de refus de titre de séjour ;
- il n'a jamais connu son père, sa mère est décédée et il justifie de liens personnels
et d'une intégration professionnelle en France, de sorte que la décision d'éloignement méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme
et des libertés fondamentales ;
En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi :
- elle est illégale du fait de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français ;
- elle est insuffisamment motivée ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne
de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors que son isolement
en cas de retour au Cameroun constitue un traitement inhumain et dégradant.
Par un mémoire en défense enregistré le 1er octobre 2020, la préfète de la Vienne conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que les moyens invoqués par M. I... ne sont pas fondés.
M. I... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale
par une décision du 11 juin 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme C... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. I..., de nationalité camerounaise, a déclaré être entré en France le 5 octobre 2017. Compte tenu de la date du 16 mars 2001 figurant sur l'acte de naissance
qu'il a présenté, il a été pris en charge par les services de l'aide sociale à l'enfance de la Vienne. Les évaluations réalisées les 5 décembre 2017 et 5 février 2018 ayant conclu à sa majorité,
une décision de fin de prise en charge lui a été notifiée. Par un jugement du 14 janvier 2019,
le juge des enfants du tribunal de grande instance de Poitiers a conclu à la majorité de l'intéressé. Le 3 juin 2019, M. I... a déposé auprès des services de la préfecture
de la Vienne une demande de titre de séjour " travail temporaire " pour suivre une formation
en apprentissage. Par un arrêté du 11 septembre 2019, la préfète de la Vienne lui a refusé
la délivrance d'un titre de séjour " travailleur temporaire " sur le fondement du 2° de
l'article L. 313-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ainsi que tout titre de séjour au motif qu'il ne justifiait pas de son état civil, lui a fait obligation de quitter
le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.
M. I... relève appel du jugement du 13 février 2020 par lequel le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande d'annulation de cet arrêté.
2. Aux termes de l'article R. 311-2-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui demande la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour présente les documents justifiant de son état civil et de sa nationalité (...). " Aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. "
3. Pour refuser la délivrance de tout titre de séjour à M. I..., la préfète de la Vienne lui a opposé le fait qu'il ne justifiait pas de son état civil dès lors, d'une part, que dans leur avis favorable sur l'authenticité formelle de l'acte de naissance, les services de police avaient indiqué qu'il était impossible de savoir si le porteur en était le véritable titulaire,
et d'autre part, que le consul général de France à Douala, saisi le 28 août 2019, avait indiqué que l'acte de naissance n'était " pas conforme compte-tenu de l'absence de date de dressé ". Toutefois, M. I... a justifié de l'authenticité de l'acte de naissance en produisant une lettre du maire de la commune de Santchou indiquant qu'il avait été dressé
le 19 mars 2001 par le maire de l'époque, et que le secrétaire d'état-civil avait omis de reporter sur l'acte cette date inscrite sur la souche. En outre, les autorités camerounaises ont délivré
le 21 août 2019 à M. I... un passeport biométrique établissant son identité et sa date de naissance. Il ne ressort pas des pièces du dossier que la préfète de la Vienne, qui n'a au demeurant statué qu'au regard de l'article L. 313-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors que la demande du requérant était expressément fondée sur l'article L. 313-15, aurait pris la même décision de refus de toute régularisation si elle ne s'était pas fondée sur ce motif erroné. Par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, M. I... est fondé à demander l'annulation de la décision de refus de titre de séjour du 11 septembre 2019, ainsi que, par voie de conséquence, des décisions du même jour portant obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et fixant le pays de renvoi.
4. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. / La juridiction peut également prescrire d'office cette mesure. " Aux termes de l'article L. 911-2 du même code : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé. / La juridiction peut également prescrire d'office l'intervention de cette nouvelle décision. " Aux termes de l'article L. 911-3 de ce code : " La juridiction peut assortir, dans la même décision, l'injonction prescrite en application des articles L. 911-1 et L. 911-2 d'une astreinte qu'elle prononce dans les conditions prévues au présent livre et dont elle fixe la date d'effet. " Eu égard à la nature de l'illégalité entachant la décision de refus de titre de séjour, il y a seulement lieu d'enjoindre à la préfète de la Vienne de délivrer sans délai une autorisation provisoire de séjour à M. I... et de réexaminer sa situation dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
5. M. I... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite,
son conseil peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances
de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros à verser à Me H..., sous réserve de son renoncement à percevoir la somme correspondant à la part contributive
de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Poitiers n° 1902896 du 13 février 2020 et l'arrêté de la préfète de la Vienne du 11 septembre 2019 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint à la préfète de la Vienne de délivrer sans délai une autorisation provisoire de séjour à M. I... et de réexaminer sa situation dans un délai
de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Me H... une somme de 1 200 euros au titre des dispositions
de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi
du 10 juillet 1991, sous réserve de son renoncement à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. F... I..., à la préfète de la Vienne et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 13 octobre 2020 à laquelle siégeaient :
Mme G... E..., présidente,
Mme A... C..., présidente-assesseure,
Mme B... D..., conseillère.
Lu en audience publique, le 17 novembre 2020.
La rapporteure,
Anne C...
La présidente,
Catherine E...La greffière,
Virginie Guillout
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 20BX00984