Par un arrêt n°17BX01704 et 17BX01705 du 30 novembre 2017, la cour administrative d'appel de Bordeaux a jugé, d'une part, qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur le recours du ministre de l'action et des comptes publics enregistré sous le n°17BX01704 et d'autre part, a annulé le jugement du tribunal administratif de la Martinique du 21 mars 2017, puis a rejeté la demande présentée par M. B... devant ce tribunal administratif, ainsi que ses conclusions d'appel.
Par une décision n°417658 du 24 avril 2019, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a annulé l'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux et a renvoyé l'affaire à la cour administrative d'appel de Bordeaux.
Procédure devant la cour :
Vu les mémoires enregistrés les 31 octobre 2017 et 30 août 2019 pour M. B..., représenté par la SCP Matuchansky, Poupot et Valdelièvre.
Par ordonnance du 22 mai 2019, la clôture d'instruction a été fixée au 2 septembre 2019.
Vu le mémoire, enregistré le 16 septembre 2019 présenté par le ministre de l'économie et des finances et pour le ministre de l'action et des comptes publics.
Vu :
- les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat ;
- le décret n° 82-451 du 28 mai 1982 relatif aux commissions administratives paritaires ;
- le décret n°84-961 du 25 octobre 1984 relatif à la procédure disciplinaire concernant les fonctionnaires de l'Etat ;
- le décret n° 2005-850 du 27 juillet 2005 relatif aux délégations de signature des membres du Gouvernement;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme E... C...,
- les conclusions de Mme Béatrice Molina-Andréo, rapporteur public,
- et les observations de Me D..., représentant M. B....
Considérant ce qui suit :
1. Le ministre des finances et des comptes publics a, par un arrêté du 7 février 2013 pris après avis du conseil de discipline du 13 novembre 2012, prononcé la révocation de M. I... B..., inspecteur régional de 3ème classe en poste à la recette principale de l'aéroport du Lamentin (Martinique), au motif d'agissements constitutifs d'un délit de concussion et d'une infraction douanière, incompatibles avec le devoir de probité. Par un jugement n°1300232 définitif du 13 novembre 2014, le tribunal administratif de la Martinique a annulé cet arrêté au constat d'une violation des dispositions de l'article 8 du décret susvisé du 25 octobre 1984 relatif à la procédure disciplinaire concernant les fonctionnaires de l'Etat. A l'issue d'une nouvelle procédure disciplinaire, le ministre a pris à nouveau la décision de révoquer M. B..., par un arrêté du 1er juin 2015 pris après avis du conseil de discipline du 10 avril 2015. M. B... a alors demandé l'annulation de cet arrêté devant le tribunal administratif de la Martinique et a aussi présenté en cours d'instance des conclusions indemnitaires. Par un jugement du 21 mars 2017, cette juridiction a annulé l'arrêté du 1er juin 2015, mais rejeté comme étant irrecevables ses conclusions indemnitaires. Par une requête enregistrée sous le n°17BX01704, le ministre de l'action et des comptes publics a relevé appel du jugement du 21 mars 2017 en tant que le tribunal administratif de la Martinique avait annulé son arrêté du 1er juin 2015 et a demandé par une autre requête enregistrée sous le n°17BX01705, qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement. Par un arrêt du 30 novembre 2017, la cour administrative d'appel de Bordeaux, après avoir joint ces deux requêtes, a jugé, d'une part, qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur la requête du ministre de l'action et des comptes publics tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement, puis, a annulé le jugement du tribunal administratif de la Martinique du 21 mars 2017 et enfin, a rejeté la demande présentée par M. B... devant ce tribunal administratif tendant à l'annulation de cet arrêté, ainsi que ses conclusions d'appel. Sur pourvoi de M. B..., le conseil d'Etat statuant au contentieux a annulé l'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux pour irrégularité et a renvoyé l'affaire à la cour administrative d'appel.
Sur la jonction :
2. Les requêtes, enregistrées avant le renvoi devant la cour sous les nos 17BX01704 et 17BX01705, tendent respectivement à l'annulation et au sursis à l'exécution du même jugement. Il y a lieu de les joindre pour y statuer par un seul arrêt.
Sur le bien-fondé du jugement :
3. Pour annuler l'arrêté 1er juin 2015, le tribunal administratif s'est fondé sur le motif tiré de ce que M. B... avait été privé de la garantie de voir son cas examiné par un conseil de discipline en toute impartialité.
4. Le tribunal administratif a relevé, d'une part, que M. A..., président, qui avait déjà siégé en cette qualité lors de la séance du conseil de discipline du 13 novembre 2012 au cours de laquelle il s'était borné à proposer la seule sanction de révocation, a indiqué, à l'issue des débats de la séance du conseil de discipline du 10 avril 2015, que ces débats " n'ont pas remis en cause sa conviction concernant le manque de probité de l'agent ainsi que son implication " et a rappelé " la lourde condamnation pénale " infligée à M. B..., d'autre part, que M. F..., qui a siégé, en qualité de représentant de l'administration, à la fois dans la commission siégeant en conseil de discipline du 13 novembre 2012 et dans celle du 10 avril 2015, avait entre-temps représenté l'autorité disciplinaire au cours de la séance du Conseil supérieur de la fonction publique de l'Etat du 16 avril 2014 consacrée au cas de M. B..., et avait alors proposé la sanction de révocation.
5. Toutefois et d'une part, en tant qu'il s'applique à l'administration, le principe d'impartialité ne fait pas obstacle, en règle générale, à ce que les membres des autorités et commissions administratives connaissent de faits sur lesquels, à raison de leurs fonctions, ils ont déjà eu à porter une appréciation de même nature. D'autre part, quand bien même M. A..., en sa qualité de président du conseil de discipline, a exprimé en séance son opinion sur le caractère fautif du comportement de M. B..., il ne ressort pas des pièces du dossier, en particulier des éléments relevés par le tribunal administratif, que lui-même ou M. F... aient manifesté à l'égard de l'intéressé une quelconque animosité personnelle. Aucun autre élément, et notamment aucun conflit d'ordre privé, ne permettait de douter de la capacité de ces agents à délibérer, dans l'intérêt général, sur le comportement professionnel de M. B.... Dès lors, le ministre de l'action et des comptes publics est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif s'est fondé sur le motif rappelé au point 3 pour annuler sa décision du 1er juin 2015. Il y a lieu d'examiner par l'effet dévolutif de l'appel les autres moyens soulevés devant le tribunal et la cour par M. B....
6. En premier lieu, Mme J..., directrice générale des douanes, habilitée en cette qualité, par l'article 1er du décret n° 2005-850 du 27 juillet 2005 relatif aux délégations de signature des membres du Gouvernement, à signer au nom du ministre tous les actes relatifs aux affaires des services placés sous son autorité à l'exception des décrets, a été nommée par décret du 22 février 2013, publié le lendemain au Journal officiel de la République française. Par suite, le moyen tiré par M. B... de ce que Mme J... n'aurait pas été compétente pour signer la décision litigieuse doit être écarté.
7. En deuxième lieu, M. B... soutient que la procédure suivie à son égard serait viciée en ce que le dossier de saisine du conseil de discipline ne comportait pas de rapport d'enquête de l'administration des douanes. Il ajoute que, alors qu'il n'a pas été mis à même de prendre connaissance des éléments d'enquête du service national de la douane judiciaire, la sanction ne pouvait reposer sur les seules constatations du juge pénal sans qu'une enquête administrative complémentaire soit menée. Il ressort cependant des pièces du dossier que l'intéressé a reçu communication, le 9 février 2015, de l'intégralité du dossier le concernant, lequel n'avait pas à inclure un rapport d'enquête administrative, une telle enquête n'étant prescrite par aucune disposition législative ou réglementaire. Ainsi que le fait valoir le ministre, le rapport établi par le service national des douanes judiciaires sur saisine du procureur de la République est couvert par le secret de l'instruction judiciaire et l'administration n'en disposait pas elle-même pour les besoins de la procédure disciplinaire, qui n'y trouve pas son fondement. M. B... se plaint encore de ce qu'une note du 15 janvier 2015 par laquelle le directeur interrégional des douanes a transmis le dossier le concernant à la direction générale des douanes ne lui aurait pas été communiquée, mais le moyen manque en tout état de cause en fait, l'administration justifiant lui avoir adressé cette pièce dix jours avant le conseil de discipline.
8. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier qu'en exécution du jugement n°1300232 du tribunal administratif de la Martinique du 13 novembre 2014, qui a annulé l'arrêté du 7 février 2013 par lequel le directeur général des douanes et droits indirects a infligé à M. B... la sanction de révocation, pour vice de procédure, celui-ci a été juridiquement réintégré à compter de la date d'effet de la décision d'éviction annulée, qui est en l'espèce, sa date de notification, le 22 février 2013. Par suite, M. B... n'est pas fondé à soutenir que l'administration ne pouvait pas de nouveau engager une procédure disciplinaire à son encontre avant le 28 janvier 2015, date de notification de l'arrêté du 23 décembre 2014 le réintégrant juridiquement à compter du 22 février 2013, à la suite de l'annulation de ce jugement.
9. En quatrième lieu, la procédure au terme de laquelle l'autorité administrative compétente exerce son pouvoir disciplinaire n'entre pas dans le champ d'application de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Ainsi, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de cet article est inopérant.
10. En cinquième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier, contrairement à ce qu'allègue M. B..., que la secrétaire de la séance du conseil de discipline du 10 avril 2015 aurait pris part au délibéré, en méconnaissance de l'article 6 du décret susvisé du 28 octobre 1984 relatif à la procédure disciplinaire concernant les fonctionnaires de l'Etat selon lequel le conseil délibère à huis clos.
11. En sixième lieu, il convient d'écarter comme manquant en fait le moyen tiré d'une méconnaissance des dispositions de l'article 8 du décret du 28 octobre 1984 en vertu desquelles le président du conseil de discipline doit mettre aux voix, lors du délibéré, la proposition de sanction la plus sévère parmi celles qui ont été exprimées puis, si cette sanction ne recueille pas l'accord de la majorité des membres du conseil, les sanctions figurant en suivant dans l'échelle des sanctions disciplinaires, en commençant par la plus lourde d'entre elles, jusqu'à ce que l'une d'elles recueille un tel accord. En effet, il ressort des mentions du procès-verbal de la séance du conseil de discipline du 10 avril 2015 que toutes les sanctions ont été mises aux voix par ordre décroissant de sévérité, sans qu'aucune ne recueille une majorité.
12. Si, en septième lieu, M. B... soutient que le conseil de discipline s'est prononcé, en violation de l'article 9 du décret du 28 octobre 1984, au-delà du délai d'un mois à compter de sa saisine par le rapport de l'administration, ce délai n'est pas prescrit à peine de nullité de la procédure.
13. En huitième lieu, aucune disposition légale ni aucun principe n'interdit à l'autorité investie du pouvoir disciplinaire de fonder une sanction disciplinaire sur des constatations de fait pour lesquelles l'agent a été condamné à une peine pénale par une décision devenue définitive.
14. M. B... met en cause la matérialité des faits qui lui sont reprochés. Toutefois, la sanction contestée procède des constatations, faites dans le cadre d'une enquête pénale, qui fondent la peine de huit mois d'emprisonnement avec sursis en répression du délit de concussion, assortie du paiement d'une amende de 2 500 euros à titre de contravention douanière, à laquelle M. B... a été condamné par un arrêt de la cour d'appel de Fort-de-France du 12 janvier 2012 devenu définitif le 12 mai 2012 à la suite de la non-admission de son pourvoi en cassation . Ces constatations de fait sont ainsi revêtues de l'autorité absolue de chose jugée par le juge pénal, et leur matérialité doit par suite être regardée comme établie.
15. En neuvième lieu, il ressort des pièces du dossier qu'à la suite de la transmission à la direction interrégionale des douanes d'Antilles-Guyane d'un renseignement obtenu lors de l'interception d'écoutes téléphoniques par l'office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants, une enquête judiciaire diligentée par le service national de la douane judiciaire a révélé que, depuis 2008, M. B... facilitait la sortie de colis sous douane déclarés " effets personnels " sans paiement des droits et taxes afférents. Ces colis étaient adressés à un commerçant de Fort-de-France, qui avait mis en place une organisation lui permettant d'importer puis de vendre en Martinique des vêtements volés chez des grossistes parisiens. Il a pu être établi que l'intéressé a par ailleurs, en connaissance de cause, usé à deux reprises de sa qualité de douanier pour faciliter la sortie de pièces automobiles importées par un garagiste, toujours sous la dénomination " effets personnels ". Ces faits ont justifié la condamnation pénale définitive susmentionnée.
16. Eu égard à la nature des faits et au devoir de probité et d'exemplarité dans les fonctions de douanier exercées par M. B..., la révocation prononcée par le ministre de l'action et des comptes publics ne présente pas un caractère disproportionné, nonobstant ses bons états de service antérieurs.
17. Enfin, il ne ressort pas des pièces du dossier que cette sanction avait pour but d'écarter M. B... du service en raison de ses opinions politiques pour " couper court " à la publicité donnée dans la presse locale à cette affaire. Par suite, le moyen tiré de ce que l'administration aurait commis un détournement de pouvoir doit être écarté.
18. Il résulte de ce qui précède que le ministre de l'action et des comptes publics est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Martinique a annulé l'arrêté litigieux du 1er juin 2015. Il y a lieu par conséquent de rejeter la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Fort-de-France tendant à l'annulation de cet arrêté, ainsi que ses conclusions à fin d'injonction et celles tendant à ce que soit substituée à cette sanction de révocation une exclusion temporaire de fonction pour une durée de deux ans, et en l'absence d'illégalité fautive, ses conclusions indemnitaires.
Sur les conclusions à fin de sursis à exécution :
19. Le présent arrêt statuant au fond sur les conclusions du ministre de l'action et des comptes publics, ses conclusions tendant au sursis à exécution du jugement attaqué ont perdu leur objet. Il n'y a dès lors plus lieu d'y statuer.
Sur les frais d'instance :
20. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante, une somme à verser à M. B... au titre des frais exposés non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : Il n'y a plus lieu de statuer sur la requête du ministre de l'action et des comptes publics tendant au sursis à exécution du jugement du tribunal administratif de la Martinique du 21 mars 2017.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif du 21 mars 2017 est annulé.
Article 3 : La demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de la Martinique et ses conclusions présentées en appel sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. I... B..., au ministre de l'économie et des finances et au ministre de l'action et des comptes publics. Copie en sera adressée et à la ministre des outre-mer.
Délibéré après l'audience du 29 octobre 2019 à laquelle siégeaient :
M. Dominique Naves, président,
Mme G... H..., présidente-assesseure,
Mme E... C..., premier conseiller,
Lu en audience publique, le 26 novembre 2019.
Le rapporteur,
Déborah C...Le président,
Dominique NAVESLe greffier,
Christophe PELLETIER
La République mande et ordonne à la ministre des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 19BX01652