Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 18 décembre 2018, et un mémoire enregistré le 17 mai 2019, la commune de Langoiran, représentée par Me G..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux en tant qu'il a annulé le contrat de délégation de service public portant sur la création d'un crématorium à Langoiran ;
2°) de rejeter la demande de première instance présentée par la société Gonfrier Frères ;
3°) de mettre à la charge de la société Gonfrier Frères une somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- c'est à tort que les premiers juges ont écarté sa fin de non-recevoir tirée de la tardiveté des conclusions en annulation du contrat de concession, dès lors que les formalités de publicité ont été accomplies ;
- nonobstant la circonstance que les mesures de publicités réalisées ne mentionnaient pas les modalités de consultation du contrat, elle a néanmoins mis en oeuvre les formalités de publicité appropriées ;
- le recours en annulation du contrat avait été précédé d'un recours en annulation de la délibération du 2 décembre 2016 enregistré au greffe du tribunal administratif de Bordeaux le 29 mai 2017 ;
- la société Gonfrier Frères avait au préalable saisi le maire d'un recours gracieux le 31 janvier 2017 auquel elle avait joint cette délibération ;
- l'exercice de ce recours établit qu'elle avait connaissance de cette délibération et du contrat de concession qui était annexé ;
- la société Gonfrier Frères ne peut utilement faire valoir qu'était annexé à cette délibération un projet de contrat, dès lors qu'il s'agissait du texte définitivement approuvé par le conseil municipal et qu'elle connaissait le nom de l'attributaire ;
- par ailleurs, à la date de signature du contrat, la société Gonfrier Frères n'était pas propriétaires des terrains, selon ses propres écritures, et elle n'a pas par conséquent intérêt à agir ;
- c'est à tort que les premiers juges ont estimé que le contrat de concession signé le 13 décembre 2016 était entaché d'un vice d'une particulière gravité ;
- en vertu de l'article L. 1411-1 du code général des collectivités territoriales, le délégataire peut être chargé d'acquérir les biens nécessaires au service public, ce qui était en l'espèce, le cas ;
- par ailleurs, il était prévu qu'au cas où le délégataire ne pourrait pas acquérir à l'amiable les terrains, elle engagerait une procédure d'expropriation ;
- la construction d'un crématorium répond à un intérêt général et correspond à un besoin réel de la population ;
- s'agissant de l'appel incident de la société Gonfrier Frères, sa demande indemnitaire de première instance était irrecevable dès lors qu'elle demandait une somme supérieure à ce qu'elle avait demandé dans sa réclamation préalable ;
- c'est à bon droit que le tribunal l'a rejeté comme étant non fondée ;
- en appel, elle ne justifie pas le préjudice moral dont elle demande réparation ;
Par des mémoires enregistrés les 26 février 2019 et 12 mars 2020, la société Gonfrier Frères, représentée par Me B..., demande à la cour :
1°) de rejeter la requête de la commune de Langoiran ;
2°) de réformer le jugement du 5 novembre 2018 du tribunal administratif de Bordeaux en tant qu'il a rejeté ses conclusions indemnitaires ;
3°) de condamner la commune de Langoiran à lui payer la somme de 10 000 euros à titre d'indemnisation de son préjudice ;
4°) de mettre à sa charge la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- sa demande de première instance tendant à l'annulation du contrat de concession était bien recevable ;
- elle est bien propriétaire des terrains et justifie donc d'un intérêt à agir ;
- lors de l'introduction de sa demande, elle n'avait pas connaissance de la version définitive du contrat, ni de sa signature ;
- c'est un projet de contrat qui était annexé à la délibération du conseil municipal de Langoiran en date du 2 décembre 2016 ;
- c'est donc à bon droit que le tribunal a écarté sa fin de non-recevoir dès lors qu'aucune des consultations réalisées par la commune de Langoiran ne mentionne les modalités de consultation du marché ;
- c'est à bon droit que les juges de première instance ont considéré qu'à la date de signature du contrat, le terrain d'assiette prévu pour le crématorium n'appartenait ni à la commune, ni au concessionnaire, ni à un tiers ;
- la commune ne disposait d'aucune promesse de vente et n'avait entamé aucune procédure d'expropriation ;
- le contrat en litige était ainsi entaché d'un vice d'une particulière gravité ;
- elle est fondée à demander la somme de 10 000 euros en réparation de son préjudice moral consistant à l'atteinte portée à son image.
Vu :
- les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme C... A...,
- les conclusions de Mme Béatrice Molina-Andréo, rapporteur public ;
- les observations de Me G... représentant la commune de Langoiran,
- et les observations de Me E..., représentant la société Gonfrier Frères.
Considérant ce qui suit :
1. Dans le cadre de réalisation d'un crématorium sur le territoire de sa commune, le conseil municipal de la commune de Langoiran a, à la suite d'un appel à candidature adressé le 16 janvier 2015, décidé d'attribuer le contrat de délégation de service public à la société Koëgel-Laffargue par une délibération du 2 décembre 2016. Un contrat de concession ayant pour objet la construction et l'exploitation du crématorium de Langoiran a été conclu le 13 décembre 2016. Le terrain d'assiette du projet, cadastré B544 situé au lieu-dit " Haut Mardan " à Langoiran, dont les articles 2.1 et 5.1 du contrat stipulent qu'il sera acquis par le concessionnaire, appartient à la société Gonfrier Frères. Celle-ci ne voulant pas vendre sa parcelle, elle a après avoir demandé en vain à la commune de Langoiran de procéder au retrait de la délibération du 2 décembre 2016, le 31 janvier 2017, puis de résilier le contrat et après avoir lié le contentieux indemnitaire par courrier daté du 23 mai 2017, la société Gonfrier Frères a saisi le tribunal administratif de Bordeaux d'une demande tendant à l'annulation de la décision implicite née le 29 juillet 2017 du silence gardé par la commune de Langoiran rejetant sa demande de résiliation du contrat, ainsi que d'une demande devant être regardée comme tendant à la résiliation de ce contrat. Elle avait également présenté des conclusions indemnitaires. Par un jugement n° 1704058 du 5 novembre 2018, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé le contrat de délégation de service public du 13 décembre 2016 et a rejeté les conclusions indemnitaires présentées par la société Gonfrier Frères. La commune de Langoiran relève appel du jugement du 5 novembre 2018 en tant qu'il a prononcé l'annulation du contrat de délégation de service public. Par la voie de l'appel incident, la société Gonfrier Frères demande également la réformation de ce jugement en tant qu'il a rejeté ses conclusions indemnitaires.
Sur le bien-fondé du jugement :
2. Un tiers à un contrat administratif susceptible d'être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par une décision refusant de faire droit à sa demande de mettre fin à l'exécution du contrat, est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction tendant à ce qu'il soit mis fin à l'exécution du contrat. S'agissant d'un contrat conclu par une collectivité territoriale ou un groupement de collectivités territoriales, cette action devant le juge du contrat est également ouverte aux membres de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné ainsi qu'au représentant de l'Etat dans le département.
3. Les tiers ne peuvent utilement soulever, à l'appui de leurs conclusions tendant à ce qu'il soit mis fin à l'exécution du contrat, que des moyens tirés de ce que la personne publique contractante était tenue de mettre fin à son exécution du fait de dispositions législatives applicables aux contrats en cours, de ce que le contrat est entaché d'irrégularités qui sont de nature à faire obstacle à la poursuite de son exécution et que le juge devrait relever d'office ou encore de ce que la poursuite de l'exécution du contrat est manifestement contraire à l'intérêt général. A cet égard, les requérants peuvent se prévaloir d'inexécutions d'obligations contractuelles qui, par leur gravité, compromettent manifestement l'intérêt général. En revanche, ils ne peuvent se prévaloir d'aucune autre irrégularité, notamment pas celles tenant aux conditions et formes dans lesquelles la décision de refus a été prise. En outre, les moyens soulevés doivent, sauf lorsqu'ils le sont par le représentant de l'Etat dans le département ou par les membres de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales compte-tenu des intérêts dont ils ont la charge, être en rapport direct avec l'intérêt lésé dont le tiers requérant se prévaut.
4. Aux termes du 1er alinéa de l'article L. 1411-1 du code général des collectivités territoriales : " (...) Le délégataire peut être chargé de construire des ouvrages ou d'acquérir des biens nécessaires au service ". L'article 2.1 du contrat de concession stipule que : " Le concessionnaire est chargé de construire un crématorium et de l'exploiter à ses risques et périls conformément aux stipulations du présent contrat. A cette fin il doit, au préalable, acquérir le terrain décrit en annexe I, situé près du cimetière de Langoiran au lieu-dit " Haut-Madran ", par une procédure de négociation ou d'expropriation éventuelle si nécessaire. En l'espèce, si l'acquisition devait passer par une expropriation, la procédure serait engagée par la commune de Langoiran " et l'article 5.1 que : " Les terrains d'assiette de la concession tels que décrits en annexe I sont acquis par le concessionnaire ". L'article 49.2 du contrat de concession stipule que : " Toute cession partielle ou totale de la concession, à quelque titre ou sous quelque modalité que ce soit, ne peut intervenir qu'après un accord préalable, express et écrit du concédant ". Enfin, l'article 54.1 du contrat de concession stipule : " Le concédant, à l'expiration de la durée normale de la concession, entre immédiatement en possession des biens de retour- terrains, ouvrages, équipements, installations et matériels, qui font partie de la concession telle qu'elle est définie aux articles 2 et 3 du présent contrat ".
5. Pour annuler le contrat de concession en litige, le tribunal administratif de Bordeaux a relevé qu'à la date de signature du contrat, le terrain d'assiette prévu pour le crématorium n'appartenait ni à la commune, ni au concessionnaire, que la commune de Langoiran ne bénéficiait d'aucune promesse de vente sur ce terrain et n'avait entrepris aucune procédure d'expropriation, et qu'en conséquence, ce contrat était entaché d'un vice d'une particulière gravité. Toutefois, aucune disposition législative ou réglementaire ni aucun principe, n'imposait à la commune de Langoiran d'être propriétaire du terrain à la date de signature du contrat en litige. En l'espèce, même si le contrat prévoit que les terrains sont à acquérir par le concessionnaire, éventuellement par une procédure d'expropriation engagée par la commune de Langoiran, le contrat prévoit des garanties propres à assurer la continuité du service public, notamment la faculté pour la personne publique de s'opposer à la cession, en cours de concession, de ces ouvrages. Par ailleurs, à l'expiration de la concession, les biens retournent gratuitement à la commune. Dans ces conditions, la circonstance que les terrains n'avaient été acquis ni par la commune de Langoiran, ni par le concessionnaire des terrains sur lesquels l'opération devait être réalisée est inopérante et ne constitue pas une irrégularité affectant la validité du contrat, ni la poursuite de son exécution. Par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens, la commune de Langoiran est fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé le contrat de concession conclu entre la commune de Langoiran et la société Koëgel-Laffargue. En l'absence d'autre moyen invoqué par la société Gonfrier Frères tant en première instance qu'en appel, il y a lieu d'annuler ce jugement et de rejeter la demande de première instance présentée par la société Gonfrier Frères.
Sur les conclusions indemnitaires :
6. Il résulte de ce qui précède qu'en l'absence d'irrégularité affectant la procédure de passation du marché, la société Gonfrier Frères n'est pas fondée à demander la réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi à raison de cette prétendue irrégularité. Ainsi, sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée par la commune de Langoiran, ses conclusions indemnitaires présentées par la voie de l'appel incident doivent être rejetées.
Sur les frais liés à l'instance :
7. Il n'y a lieu de mettre à la charge d'aucune des parties le versement d'une somme au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1704058 du 5 novembre 2018 du tribunal administratif de Bordeaux est annulé.
Article 2 : La demande de première instance de la société Gonfrier Frères est rejetée.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de la commune de Langoiran et les conclusions d'appel incident de la société Gonfrier Frères sont rejetés.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Langoiran, à la société Gonfrier Frères et à la société Koëgel-Laffargue.
Délibéré après l'audience du 31 août 2020 à laquelle siégeaient :
M. Dominique Naves, président,
Mme D... F..., présidente-assesseure,
Mme C... A..., premier conseiller.
Lu en audience publique, le 28 septembre 2020.
Le rapporteur,
Déborah A...Le président,
Dominique NavesLe greffier,
Christophe PELLETIER
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 18BX04355