Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 12 juillet 2016, M. B...C..., représenté par Me D..., demande à la cour :
1°) de réformer ce jugement du tribunal administratif de Toulouse du 12 mai 2016 en tant qu'il n'a que partiellement fait droit à ses conclusions indemnitaires présentées au titre des préjudices résultant des décisions des 26 avril 1999 et 12 mars 2001 ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 215 659,72 euros en réparation de ces préjudices ;
3°) d'assortir cette somme des intérêts au taux légal à compter de la date de réception de sa demande préalable et de lui accorder la capitalisation des intérêts ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
5°) de condamner l'Etat aux entiers dépens.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code civil ;
- la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Sabrina Ladoire,
- les conclusions de M. Guillaume de La Taille Lolainville, rapporteur public,
- et les observations de MeE..., représentant M.C....
Considérant ce qui suit :
1. M.C..., ressortissant roumain né le 9 juin 1969, est entré en France en avril 1991 pour y rejoindre sa tante. Il a bénéficié de titres de séjour en qualité d'étudiant jusqu'au 5 janvier 1999. Le 16 novembre 1998, il a sollicité un changement de statut et la délivrance d'un titre de séjour en qualité de salarié auprès du préfet de la Haute-Garonne. Par un arrêté du 2 mars 1999, ce dernier a refusé de lui délivrer un titre de séjour salarié. Le 8 avril 1999, M. C...a formé un recours gracieux à l'encontre de cet arrêté, et a en outre sollicité la délivrance d'un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ". Le 26 avril 1999, le préfet de la Haute-Garonne a confirmé son refus de délivrance d'un titre de séjour en qualité de salarié et a également refusé de lui délivrer un titre de séjour au titre de sa vie privée et familiale. Cette décision a été confirmée par un jugement du tribunal administratif de Toulouse du 20 février 2001 puis annulée par un arrêt de la cour du 24 mai 2005 en tant uniquement qu'elle portait refus de titre de séjour au titre de la vie privée et familiale. Par une décision en date du 12 mars 2001, le préfet de la Haute-Garonne a pris à son encontre une mesure d'éloignement. Cet arrêté a été confirmé par une ordonnance du tribunal administratif de Toulouse du 30 mars 2001 puis annulé par le Conseil d'Etat le 15 mai 2002. M. C...a sollicité auprès du préfet l'indemnisation des préjudices subis à la suite du refus de titre de séjour dont il a fait l'objet le 26 avril 1999 et de la mesure d'éloignement prise à son encontre le 12 mars 2001, par une demande du 23 décembre 2009 qui a été rejetée le 2 février 2010. Il a alors saisi le tribunal administratif de Toulouse. Il fait appel du jugement de ce tribunal en date du 12 mai 2016 en tant qu'il a limité à 2000 euros la somme que l'Etat a été condamné à lui verser.
Sur les conclusions indemnitaires :
En ce qui concerne l'exception de prescription quadriennale :
2. Aux termes du 1er alinéa de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics : " Sont prescrites, au profit de l'Etat, des départements et des communes, sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi, et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis ". Aux termes du 1er alinéa de l'article 7 de la même loi : " L'administration doit, pour pouvoir se prévaloir, à propos d'une créance litigieuse, de la prescription prévue par la présente loi, l'invoquer avant que la juridiction saisie du litige au premier degré se soit prononcée sur le fond ". Le préfet de la Haute-Garonne n'a pas opposé la prescription quadriennale avant que le tribunal administratif se prononce sur le fond du litige qui lui était soumis. Par suite, l'exception de prescription quadriennale, invoquée pour la première fois en appel, est irrecevable.
En ce qui concerne les préjudices :
3. M. C...reproche aux premiers juges d'avoir rejeté sa demande tendant à être indemnisé de son préjudice financier et de n'avoir fait droit que partiellement à sa demande d'indemnisation de son préjudice moral.
4. La faute résultant de l'illégalité de la décision du 26 avril 1999 par laquelle le préfet de la Haute-Garonne a refusé à M. C...la délivrance d'un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " n'est de nature à ouvrir droit à réparation que des préjudices qui sont la conséquence directe de cette décision illégale et qui sont établis pour la période du 26 avril 1999 au 21 juin 2002, date à laquelle le préfet de la Haute-Garonne a remis à l'intéressé un titre de séjour l'autorisant à travailler.
5. En premier lieu, M. C...demande à être indemnisé de la perte des revenus que lui aurait procurés le contrat à durée indéterminée qu'il avait conclu avec l'Hôtel Jean Mermoz en novembre 1998. Il chiffre cette perte de revenus intervenue entre les mois de décembre 1998 et juin 2001, date à laquelle il est parti au Portugal, à la somme de 32 877,76 euros, laquelle correspond aux salaires qu'il aurait perçus sur la base de ce contrat.
6. Il résulte de l'instruction qu'à la suite de l'ordonnance rendue par le Conseil d'Etat le 15 mai 2002, le préfet de la Haute-Garonne a délivré à M.C..., le 21 juin 2002, une autorisation de séjour l'autorisant à travailler. La présente cour, par un arrêt rendu le 24 mai 2005, a également reconnu que l'intéressé aurait dû se voir délivrer, à la suite de la demande qu'il avait présentée en avril 1999, un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ", sur le fondement de l'article 12 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945. Or, ces dispositions reconnaissent au titulaire de la carte délivrée sur leur fondement, le droit d'exercer une activité professionnelle. Ainsi, et quand bien même l'arrêt du 24 mai 2005 n'a annulé la décision de refus de titre de séjour qu'en tant qu'elle avait rejeté la demande de titre de séjour " vie privée et familiale " et non la demande d'un titre de séjour en qualité de salarié, M.C..., qui justifie avoir conclu en novembre 1998 un contrat de travail à durée indéterminée à temps plein, a été privé, du fait du refus illégal qui lui a été opposé, d'une chance sérieuse d'occuper un emploi en France pendant la période qui s'est écoulée entre le 26 avril 1999 et le mois de juin 2001, date à laquelle il a finalement quitté le territoire français pour se rendre au Portugal. L'évaluation de la perte de revenus afférente à cette période peut être effectuée en tenant compte du salaire brut mensuel de 1 041,82 euros (6 833,91 francs) prévu par le contrat de travail produit par l'intéressé. Dans ces conditions, et eu égard à la rémunération nette que pouvait espérer percevoir l'intéressé, il sera fait une juste appréciation du préjudice subi par M. C...du fait de l'impossibilité dans laquelle il s'est trouvé de travailler durant cette période de 26 mois, en lui allouant à ce titre une indemnité de 21 000 euros.
7. En deuxième lieu, si le requérant demande le versement d'une indemnité de 7 781,96 euros au titre du différentiel entre le salaire qu'il aurait dû percevoir sur le fondement du contrat de travail précité et les revenus qu'il a effectivement perçus au Portugal où il s'est réfugié entre les mois de juin 2001 et mai 2002, il n'établit pas, en se bornant à produire un reçu de paiement en date du 30 novembre 2001 et un contrat à durée déterminée du 1er mars 2002 émanant de deux sociétés portugaises différentes, le montant de la perte de rémunération qu'il aurait effectivement subie durant la période considérée.
8. En troisième lieu, les conclusions de M. C...tendant au versement d'une indemnité de 70 000 euros correspondant aux prestations sociales dont il estime avoir été privé sur le territoire national et au préjudice causé à sa carrière professionnelle, laquelle aurait été freinée durant cinq ans, ce qui au demeurant n'est pas établi, ne sont pas assorties des précisions permettant à la cour d'en apprécier le bien-fondé. La demande indemnitaire présentée à ce titre ne peut dès lors qu'être rejetée.
9. En quatrième lieu, M. C...sollicite une indemnité de 30 000 euros en réparation de ses préjudices liés à la vente précipitée de ses biens, à l'épuisement de ses économies et à des emprunts financiers contractés auprès de ses proches. Toutefois, il n'établit pas qu'il aurait effectivement été contraint de vendre son mobilier à vil prix, alors au demeurant que M. A...atteste avoir conservé, dans son garage, certaines des affaires de l'intéressé. Il ne justifie pas non plus la réalité des préjudices qui auraient résulté pour lui du recours à l'argent qu'il avait épargné et au soutien financier de ses proches.
10. En dernier lieu, s'agissant du préjudice moral et des troubles qu'il a subis dans ses conditions d'existence, M. C...soutient que les décisions préfectorales l'ont placé dans une situation de grande détresse morale, dès lors qu'il a fait l'objet d'un placement en rétention administrative traumatisant, qu'il a été contraint de quitter sa famille et l'ensemble des attaches qu'il avait en France et qu'il a vécu dans des conditions précaires au Portugal. Eu égard au fait qu'il a été contraint de résider trois ans à l'étranger, alors que sa famille séjournait sur le territoire national où il était lui-même employé en contrat à durée indéterminée, il sera fait une juste appréciation du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence en portant le montant de l'indemnité que les premiers juges lui ont allouée à ce titre à la somme de 4 000 euros.
11. Il résulte de ce qui précède que la somme que l'Etat a été condamné à verser à M. C... par l'article 1er du jugement attaqué doit être portée de 2 000 à 25 000 euros.
Sur les intérêts et la capitalisation des intérêts :
12. Lorsqu'ils ont été demandés, et quelle que soit la date de cette demande, les intérêts moratoires dus en application de l'article 1153 du code civil courent à compter du jour où la demande de paiement du principal est parvenue au débiteur ou, en l'absence d'une telle demande préalablement à la saisine du juge, à compter du jour de cette saisine. En l'espèce, M. C...a droit aux intérêts au taux légal sur la somme de 25 000 euros, calculés à compter du 29 décembre 2009, date à laquelle sa réclamation a été reçue par les services préfectoraux.
13. Aux termes de l'article 1154 du code civil : " Les intérêts échus des capitaux peuvent produire des intérêts, ou par une demande judiciaire, ou par une convention spéciale, pourvu que, soit dans la demande, soit dans la convention, il s'agisse d'intérêts dus au moins pour une année entière ". Pour l'application des dispositions précitées, la capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge du fond. Cette demande prend toutefois effet au plus tôt à la date à laquelle elle est enregistrée et pourvu qu'à cette date il s'agisse d'intérêts dus au moins pour une année entière. Le cas échéant, la capitalisation s'accomplit à nouveau à l'expiration de chaque échéance annuelle ultérieure sans qu'il soit besoin de formuler une nouvelle demande.
14. En l'espèce, M. C...a demandé la capitalisation des intérêts dans le mémoire enregistré par le greffe du tribunal administratif de Toulouse le 27 décembre 2013. A cette date, les intérêts étaient dus pour une année entière. Il y a lieu, dès lors, de faire droit à cette demande.
15. Il résulte de tout ce qui précède que M. C...est seulement fondé à demander que la somme que l'Etat a été condamné à lui verser en vertu de l'article 1er du jugement attaqué soit portée de 2 000 à 25 000 euros, cette somme devant porter intérêts au taux légal à compter du 29 décembre 2009, et les intérêts échus à la date du 27 décembre 2013 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date devant être capitalisés pour produire eux-mêmes intérêts.
Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et les dépens :
16. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, le versement à M. C...de la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : La somme de 2 000 euros que l'Etat a été condamné à verser à M. C...par l'article 1er du jugement du tribunal administratif de Toulouse en date du 12 mai 2016 est portée à 25 000 euros. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 29 décembre 2009. Les intérêts échus à la date du 27 décembre 2013 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 2 : Le jugement n° 1305745 du 12 mai 2016 du tribunal administratif de Toulouse est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera la somme de 1 500 euros à M. C...au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. C...est rejeté.
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N° 16BX02288