Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés les 11 janvier 2018 et 27 février 2018, la préfète de la Dordogne demande à la cour d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 6 décembre 2017 et de rejeter la demande présentée par Mme A...devant le tribunal administratif.
Elle soutient que :
- son arrêté de remise est suffisamment motivé en droit et en fait ; elle n'avait pas à se fonder sur les dispositions des articles 8 à 15 du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 (Dublin III) puisque la décision de transfert est fondée sur l'article 18 de ce règlement ;
- les autorités italiennes ont été régulièrement saisies d'une demande de reprise en charge ; ces dernières ont accepté la prise en charge de Mme A...par une décision implicite du 15 septembre 2017 ;
- Mme A...a été suffisamment informée sur la procédure d'asile; elle a bénéficié d'un entretien individuel dans une langue qu'elle comprend ;
- la décision de transfert aux autorités italiennes étant légale, la décision portant assignation à résidence n'est pas dépourvue de base légale.
Par un mémoire enregistré le 21 février 2018, MmeA..., représentée par Me Trébesses, conclut au rejet de la requête et demande à la cour de prononcer son admission provisoire à l'aide juridictionnelle, d'assortir l'injonction prononcée par le tribunal d'une astreinte de 200 euros par jour de retard et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
S'agissant de la décision de remise aux autorités italiennes :
- elle est insuffisamment motivée en droit et en fait ; elle ne précise pas le critère de responsabilité retenu pour prononcer son transfert, ni davantage sa qualité de demandeuse d'asile ; le préfet ne justifie pas davantage le refus de mettre en oeuvre la clause de souveraineté, dont elle avait sollicité l'application par des observations présentées le 24 octobre 2017 faisant état de la scolarisation de ses enfants et des conditions de traitement de sa demande d'asile en Italie ; l'arrêté indique de manière erronée que les autorités italiennes acceptent de reprendre en charge ses enfants mineurs, alors que le constat d'accord implicite ne les mentionne pas ;
- la rédaction de l'arrêté révèle que le préfet n'a pas examiné sa situation personnelle et l'intérêt primordial de ses enfants ;
- elle a été convoquée le 4 décembre 2017 alors que l'arrêté avait été édicté le 30 novembre 2017, et n'a ainsi pas été mise à même de présenter des observations quant à l'opportunité d'un nouvel arrêté de transfert ;
- lors de l'entretien du 7 août 2017, elle a été informée d'une procédure de réadmission, de sorte que la décision était déjà prise ; elle n'a ainsi pas été mise à même de présenter ses observations sur cette mesure ;
- la fixation du pays de destination n'a pas été précédée de la procédure contradictoire prévue à l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration ;
- son droit d'être entendue, garanti par l'article 51 de la charte des droits fondamentaux de l'union européenne, a été méconnu ;
- elle a franchi la frontière italienne plus de douze mois avant le dépôt de sa demande d'asile en France, de sorte que l'Etat italien n'est plus responsable de sa demande en vertu de l'article 13.1 du règlement Dublin III ;
- elle n'a pas été correctement informée sur les conséquences de l'application du règlement Dublin III ;
- l'arrêté, en ce qu'il refuse de mettre en oeuvre la clause de souveraineté, est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de sa situation personnelle ; elle a deux enfants mineurs scolarisés en France et a fait état des difficultés de mener une procédure d'asile en Italie ;
- la préfète n'apporte pas la preuve qu'elle a obtenu l'accord implicite des autorités italiennes et que la demande de reprise en charge a été présentée dans le délai requis de trois mois ;
- la préfète ne justifie pas que l'entretien individuel a été réalisé par une personne qualifiée et à l'aide d'un interprète.
S'agissant de la décision portant assignation à résidence :
- elle est illégale en raison de l'illégalité de la décision de transfert sur laquelle elle repose ;
- elle méconnaît les dispositions des articles L. 561-2-1 et R. 561-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, faute de toute information.
Par une ordonnance du 30 janvier 2018, la clôture de l'instruction a été fixée au 9 mars 2018 à 12h00.
Mme A...a obtenu le maintien de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 22 mars 2018.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement UE n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridictionnelle ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Marie-Pierre Beuve-Dupuy,
- les conclusions de M. Guillaume de La Taille Lolainville, rapporteur public,
- et les observations de Me Trébesses, représentant MmeA....
Considérant ce qui suit :
1. MmeA..., ressortissante érythréenne, est entrée en France de manière irrégulière le 16 juin 2017 selon ses déclarations, accompagnée de ses deux enfants nés en 2012 et 2014. Elle a déposé une demande d'asile le 7 août 2017. Par deux arrêtés du 22 novembre 2017 et du 30 novembre 2017, la préfète de la Dordogne a, respectivement, décidé la remise de Mme A... aux autorités italiennes responsables de l'examen de sa demande d'asile et assigné l'intéressée à résidence pour une durée de 45 jours. La préfète de la Dordogne relève appel du jugement du 6 décembre 2017 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux a annulé ces deux arrêtés, lui a enjoint de statuer à nouveau sur la situation de Mme A...dans un délai de quinze jours suivant la notification du jugement et de lui remettre sans délai une attestation de demandeur d'asile jusqu'à la détermination de l'Etat responsable de l'examen de sa demande, et a mis à la charge de l'Etat une somme de 800 euros au titre des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
2. Aux termes de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) l'étranger dont l'examen de la demande d'asile relève de la responsabilité d'un autre Etat peut faire l'objet d'un transfert vers l'Etat responsable de cet examen. / Toute décision de transfert fait l'objet d'une décision écrite motivée prise par l'autorité administrative. ".
3. Pour prononcer l'annulation de la décision de transfert contenue dans l'arrêté en litige du 22 novembre 2017, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux a retenu le moyen tiré de l'insuffisance motivation de cette décision. Le premier juge, après avoir rappelé la décision de la Cour de justice de l'Union européenne du 7 juin 2016 (C-63-15) jugeant que les demandeurs d'asile faisant l'objet d'une décision de transfert peuvent invoquer l'application erronée d'un critère de responsabilité, a relevé que la décision contestée ne précisait pas, parmi ceux énoncés aux articles 8 à 15 du règlement UE n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, les dispositions ayant conduit l'administration à désigner l'Italie comme Etat membre responsable de la demande de protection internationale de MmeA....
4. Aux termes du paragraphe 1 de l'article 3 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 dit " Dublin III ": " Les États membres examinent toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride sur le territoire de l'un quelconque d'entre eux, y compris à la frontière ou dans une zone de transit. La demande est examinée par un seul État membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable. ". Aux termes du paragraphe 1 de l'article 20 de ce règlement : " Le processus de détermination de l'État membre responsable commence dès qu'une demande de protection internationale est introduite pour la première fois auprès d'un État membre ". Le paragraphe 1 de l'article 18 dudit règlement dispose : " L'État membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de (...) b) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le demandeur dont la demande est en cours d'examen et qui a présenté une demande auprès d'un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre État membre (...)". Aux termes de l'article 25 dudit règlement : " 1. L'État membre requis procède aux vérifications nécessaires et statue sur la requête aux fins de reprise en charge de la personne concernée aussi rapidement que possible et en tout état de cause dans un délai n'excédant pas un mois à compter de la date de réception de la requête. Lorsque la requête est fondée sur des données obtenues par le système Eurodac, ce délai est réduit à deux semaines. 2. L'absence de réponse à l'expiration du délai d'un mois ou du délai de deux semaines mentionnés au paragraphe 1 équivaut à l'acceptation de la requête, et entraîne l'obligation de reprendre en charge la personne concernée, y compris l'obligation d'assurer une bonne organisation de son arrivée. ".
5. Il ressort des pièces du dossier que la consultation du fichier européen Eurodac effectuée à la suite du dépôt, le 7 août 2017, de la demande d'asile de MmeA..., a révélé que les empreintes décadactylaires de l'intéressée avaient été relevées le 14 juillet 2016 en Italie, le 29 juin 2016 aux Pays-Bas et le 9 juin 2017 en Italie. Le 30 août 2017, des demandes de reprise en charge de l'intéressée ont été adressées aux autorités néerlandaises et italiennes. Les autorités néerlandaises ont refusé de reprendre en charge Mme A...par une décision du 7 septembre 2017, en indiquant qu'à la suite du dépôt par cette dernière d'une demande d'asile aux Pays-Bas le 26 septembre 2016, l'Italie avait accueilli le 24 janvier 2017 la demande des autorités néerlandaises aux fins de prise en charge de l'intéressée, et que Mme A... avait en conséquence été transférée vers l'Etat responsable de sa demande d'asile. La demande de reprise en charge adressée aux autorités italiennes est restée sans réponse, faisant naître une obligation de reprise en charge à l'expiration d'un délai de deux semaines en vertu du paragraphe 2 de l'article 25 précité du règlement " Dublin III ". Il ressort en outre du numéro de référence des empreintes décadactylaires relevées en Italie le 9 juin 2017 que Mme A...a déposé une demande de protection internationale en Italie, ce qu'elle ne conteste au demeurant pas. Dans ces conditions, et ainsi que le fait valoir la préfète de la Dordogne, la procédure de détermination de l'Etat responsable de la demande d'asile de Mme A...a été menée, ainsi que le prévoient les dispositions précitées du paragraphe 1 de l'article 20 du règlement " Dublin III ", lors de l'introduction par l'intéressée, le 26 septembre 2016, de sa première demande de protection internationale dans un État membre. La demande de reprise en charge présentée par la préfète de la Dordogne sur le fondement des dispositions précitées du b de l'article 18 dudit règlement ne saurait ainsi s'analyser comme la mise en oeuvre d'une nouvelle procédure de détermination de l'Etat responsable sur la base des critères de détermination mentionnés aux articles 8 à 15 de ce règlement. Ainsi, la circonstance que la décision de transfert en litige ne cite pas l'un de ces critères n'affecte pas la régularité de sa motivation.
6. Toutefois, il ressort de la rédaction de l'arrêté querellé que la décision de transfert, d'une part, fait état de ce que Mme A...a irrégulièrement franchi au cours de l'année 2016 les frontières italienne et néerlandaise, éléments laissant penser que l'autorité préfectorale entendait faire application du critère de détermination de l'Etat responsable résultant de l'article 13 du règlement " Dublin III ", d'autre part, ne mentionne nullement que cette dernière a introduit, avant le dépôt de sa demande d'asile en France, une première demande d'asile sur le territoire d'un Etat membre, laquelle est en cours d'examen par les autorités italiennes. Dans ces conditions, ledit arrêté ne comporte pas les éléments de fait fondant la décision de transfert, et l'intéressée n'était pas mise à même de comprendre les motifs de la décision, qui n'ont été explicités qu'au stade des écritures contentieuses. L'arrêté est ainsi insuffisamment motivé.
7. Il résulte de ce qui précède que la préfète de la Dordogne n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux a annulé son arrêté du 22 novembre 2017 ordonnant la remise de Mme A... aux autorités italiennes, ainsi que, par voie de conséquence, son arrêté du 30 novembre 2017 portant assignation à résidence de l'intéressée.
8. Par ailleurs, il n'y a pas lieu d'assortir d'une astreinte les injonctions prononcées par le jugement attaqué. Les conclusions de Mme A...ne peuvent ainsi, sur ce point, être accueillies.
9. Enfin, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros à Me Trébesses, avocat de MmeA..., sous réserve que ce dernier renonce au versement de l'aide juridictionnelle.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la préfète de la Dordogne est rejetée.
Article 2 : Le surplus des conclusions de Mme A...est rejeté.
Article 3 : En application du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, l'Etat versera à Me Trébesses, avocat de MmeA..., la somme de 1 500 euros sous réserve qu'il renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B...A..., à la préfète de la Dordogne, au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et à Me Trébesses.
Délibéré après l'audience du 26 avril 2018 à laquelle siégeaient :
M. Aymard de Malafosse, président,
M. Laurent Pouget, président-assesseur,
Mme Marie-Pierre Beuve-Dupuy, premier conseiller,
Lu en audience publique le 24 mai 2018.
Le rapporteur,
Marie-Pierre BEUVE DUPUY Le président,
Aymard de MALAFOSSE Le greffier,
Christophe PELLETIER
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 18BX00140