Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 25 août 2020, et une pièce produite le 13 octobre 2020, le préfet de la Haute-Garonne demande à la cour d'annuler le jugement du tribunal administratif de Toulouse du 24 juillet 2020.
Il soutient que :
- les requérants ne se sont jamais prévalus de l'état de santé de M. E... en méconnaissance de l'article L. 311-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile;
- contrairement à ce qu'a retenu le tribunal administratif, l'état de santé de M. E... ne justifiait pas l'annulation de ses décisions ;
- il ne ressort d'aucun des documents médicaux produits par les intéressés que l'absence de prise en charge médicale pourrait avoir des conséquences d'une exceptionnelle gravité pour l'intéressé, ni que les soins nécessaires à son état de santé sont effectivement indisponibles en Géorgie.
Par mémoire en défense, enregistré le 9 octobre 2020, M. et Mme E..., représentés par Me D..., concluent au rejet de la requête du préfet et à la mise à la charge de l'Etat du versement d'une somme de 2 000 euros à leur conseil sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 al 2 de la loi du 10 juillet 1991 ou dans le cas où ils ne seraient pas admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle au versement de cette somme à leur profit sur le fondement de l'article L 761-1 du code de justice administrative.
Ils font valoir que :
- la requête du préfet est irrecevable car non signée par le préfet ;
- les moyens ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 2 septembre 2020, la clôture d'instruction a été fixée au 19 octobre 2020 à 12h00.
M. E... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 22 octobre 2020.
Mme E... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 22 octobre 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme C... B..., a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article 20 de la loi du 10 juillet 1991 modifiée relative à l'aide juridictionnelle : " Dans les cas d'urgence, sous réserve de l'appréciation des règles relatives aux commissions ou désignations d'office, l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle peut être prononcée soit par le président du bureau ou de la section compétente du bureau d'aide juridictionnelle, soit par la juridiction compétente ou son président. (...) ". Aux termes de l'article 62 du décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 : " L'admission provisoire est demandée sans forme au président du bureau ou de la section ou au président de la juridiction saisie. Elle peut être prononcée d'office si l'intéressé a formé une demande d'aide juridictionnelle sur laquelle il n'a pas encore été définitivement statué ". Il y a lieu, d'admettre M. et Mme E..., au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire.
2. Mme A... E... et M. F... E..., de nationalité géorgienne, respectivement nés les 17 février 1982 et 6 mars 1981, sont entrés en France le 1er juillet 2018, accompagnés de leurs trois enfants mineurs. Ils ont sollicité le bénéfice de l'asile le 5 juillet 2018. Leurs demandes ont été rejetées par une décision du 18 septembre 2018 de l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA), confirmée par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) le 20 mars 2019. Ils ont ensuite sollicité le réexamen de leur demande d'asile, qui a fait l'objet d'une décision d'irrecevabilité. Par deux arrêtés du 25 mai 2020, le préfet de la Haute-Garonne les a obligés à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. Par un jugement du 24 juillet 2020, le tribunal administratif de Toulouse a annulé ces arrêtés et a enjoint au préfet de la Haute-Garonne de réexaminer leurs situations dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement et, dans l'attente, de leur délivrer une autorisation provisoire de séjour. Le préfet de la Haute-Garonne, par la présente requête, relève appel de ce jugement.
3. Pour annuler les arrêtés en litige, le tribunal administratif de Toulouse a considéré d'une part, s'agissant de M. E..., qu'il ne pouvait pas faire l'objet, en application des dispositions du 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit, d'une mesure portant obligation de quitter le territoire français dès lors que son état de santé nécessitait, à la date des arrêtés en litige, une prise en charge médicale dont le défaut pouvait entrainer des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qu'il ne pouvait bénéficier d'un traitement approprié dans son pays d'origine. D'autre part, s'agissant de Mme E..., le tribunal administratif de Toulouse a considéré qu'eu égard au caractère indispensable de la présence de l'intéressée aux côtés de son époux, l'arrêté en litige portait une atteinte disproportionnée à son droit au respect à une vie privée et familiale, tel que protégé par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
S'agissant de M. E... :
4. Aux termes de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire : 10° L'étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié (...) ". Il résulte de ces dispositions qu'il appartient à l'autorité administrative, lorsqu'elle envisage l'éloignement d'un étranger du territoire national, de vérifier que cette décision ne peut avoir de conséquences d'une exceptionnelle gravité sur l'état de santé de l'intéressé et, en particulier, d'apprécier, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, la nature et la gravité des risques qu'entraînerait un défaut de prise en charge médicale dans le pays de renvoi. Lorsque le défaut de prise en charge risque d'avoir des conséquences d'une exceptionnelle gravité sur la santé de l'intéressé, l'autorité administrative ne peut légalement décider l'éloignement de l'étranger que s'il existe des possibilités de traitement approprié de l'affection en cause dans le pays de renvoi.
5. Il ressort des pièces du dossier, d'une part, que M. E... présente des symptômes psychiatriques d'épisode dépressif d'une intensité très sévères avec des idées suicidaires ayant conduit à un passage à l'acte par défénestration et une dépendance aux opiacés, et, d'autre part, que son état de santé nécessite un suivi médical et un traitement médicamenteux quotidien et ininterrompu. Le certificat médical établi le 21 octobre 2019 par le docteur Sergent, praticien au sein du service de psychiatrie et de psychologie des hôpitaux de Toulouse, précise, notamment, que l'état de santé de M. E... " nécessite des rendez-vous médicaux réguliers et une délivrance des traitements de manière hebdomadaire dans notre service " et que " tout rupture du lien thérapeutique pour quelque raison que ce soit avec notre service entrainerait un risque de passage à l'acte auto-agressif ". Il ressort également du certificat établi le 22 juin 2020, postérieurement à l'arrêté en litige mais révélant un état de fait antérieur, par le docteur Navarro psychiatre, que " toute rupture dans ce dispositif de soins, pour quelque raison que ce soit, aurait des conséquences graves sur son état de santé avec un risque de décompensation psychiatrique et addictologique, pouvant aller jusqu'à un nouveau geste suicidaire ". Enfin, il ressort de l'attestation établie par le docteur Devier, psychologue, le 26 juin 2020, certes postérieure à l'arrêté en litige mais révélant un état de fait antérieur, que " le suivi dont bénéficie M. E... actuellement n'est pas transposable dans son pays d'origine " et qu'au regard des rapports publiés par Médecin du monde et par l'organisation d'aide aux réfugiés, l'intéressé ne bénéficiera pas d'un traitement suffisant en Géorgie. Si le préfet de la Haute-Garonne soutient que, d'une part, M. E... n'a jamais sollicité son admission au séjour en qualité d'étranger malade et que, d'autre part, il n'est pas exposé à des conséquences d'une exceptionnelle gravité en cas d'interruption de sa prise en charge psychiatrique et qu'il n'est pas établi que les soins nécessaires sont effectivement indisponibles en Géorgie, les pièces produites qui présentent un caractère général et imprécis, ne permettent pas de remettre en cause les conclusions des médecins produites en défense. Dans ces conditions, ainsi que l'ont estimé les premiers juges, alors même qu'il n'aurait pas déposé de demande de titre de séjour en qualité d'étranger malade, M. E... est fondé à soutenir qu'à la date de l'arrêté attaqué il ne pouvait pas faire l'objet, en application des dispositions précitées du 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, d'une mesure portant obligation de quitter le territoire français dès lors que son état de santé nécessitait à cette date une prise en charge médicale dont le défaut ou l'interruption pouvait entrainer des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qu'il ne pouvait bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans son pays d'origine.
S'agissant de Mme E... :
6. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales stipule : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".
7. Il résulte de ce qui a été dit au point 5 que l'arrêté portant obligation de quitter le territoire français pris à l'encontre de l'époux de Mme E... est entaché d'illégalité. Ainsi que l'ont estimé les premiers juges, l'exécution de la mesure d'éloignement dont Mme E... fait l'objet aurait pour effet de la séparer de son époux et de rompre l'unité de la cellule familiale constituée également de trois enfants mineurs. Dans ces conditions, eu égard au caractère indispensable de sa présence auprès de son époux, c'est à juste titre que le tribunal a considéré que l'arrêté en litige portait une atteinte disproportionnée au droit de Mme E... au respect de sa vie privée et familiale, tel que protégé par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
8. Il résulte de ce qui précède que le préfet de la Haute-Garonne n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a annulé les arrêtés en litige et a enjoint au réexamen de la situation de M. et Mme E.... Par suite, sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée en défense, la requête du préfet de la Haute Garonne doit être rejetée.
9. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions de M. et Mme E... présentées sur le fondement des article L. 761-1 du code de justice administrative et 37 al 2 de la loi du 10 juillet 1991.
DECIDE :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la demande de M. et Mme E... tendant à leur admission à l'aide juridictionnelle provisoire.
Article 2 : La requête du préfet de la Haute-Garonne est rejetée.
Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à M. et Mme F... E....
Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Garonne.
Délibéré après l'audience du 10 novembre 2020 à laquelle siégeaient :
Mme C... B..., présidente,
M. Dominique Ferrari, président-assesseur,
M. Nicolas Normand, premier conseiller,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 8 décembre 2020.
La présidente-rapporteure,
Evelyne B... La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 20BX02773