Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 28 mars 2019, M. D..., représenté par Me C..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Caen ;
2°) d'annuler l'arrêté du 2 juillet 2018 du préfet de l'Orne ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de lui délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de 15 jours à compter de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à son conseil au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
s'agissant des décisions portant refus de titre de séjour et obligation de quitter le territoire français :
- elles ont été prises en méconnaissance des dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elles ont été prises en méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et sont entachées d'une erreur manifeste d'appréciation quant à leurs conséquences sur sa situation personnelle ; il est âgé de 70 ans et il est le seul soutien familial de son épouse, gravement malade en France ;
s'agissant de la décision fixant le pays de destination :
- elle est entachée d'illégalité par voie de conséquence des illégalités entachant les décisions portant refus de titre de séjour et obligation de quitter le territoire français ;
- elle méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Par un mémoire en défense, enregistré le 3 mai 2019, le préfet de l'Orne conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par M. D... ne sont pas fondés.
M. D... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 11 mars 2019.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme B... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Par un jugement du 18 décembre 2018, le tribunal administratif de Caen a rejeté la demande de M. D..., ressortissant arménien, tendant à l'annulation de l'arrêté du 2 juillet 2018 par lequel le préfet de l'Orne lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de 30 jours et a fixé le pays de destination. M. D... relève appel de ce jugement.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
3. Il ressort des pièces du dossier que M. D..., âgé de 70 ans, est arrivé en France, accompagné de son épouse, en février 2016. Ils ont, chacun, demandé un titre de séjour sur le fondement du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Ce titre de séjour a été refusé à Mme D... par un arrêté du 4 juillet 2018 du préfet de l'Orne portant également obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de destination. Toutefois, par un jugement, devenu définitif, du 18 décembre 2018 le tribunal administratif de Caen a annulé cet arrêté au motif que Mme D... souffre d'un diabète de type 2 ayant entraîné des complications ophtalmologiques, que le traitement dont elle bénéficie en France n'existe pas en Arménie et qu'il était envisagé, à la date de cet arrêté, une intervention chirurgicale, et a enjoint au préfet de réexaminer la demande de titre de séjour " étranger malade " présentée par Mme D... dans un délai de deux mois à compter de la notification de ce jugement. Il ressort des pièces du dossier que M. et Mme D... n'avaient plus, à la date de la décision contestée, de famille en Arménie, leur fille, dont ils soutiennent qu'ils n'ont plus de nouvelles, résidant en France. Dans les circonstances particulières de l'espèce, compte tenu de l'âge et de l'état de santé des intéressés et de la nécessité pour M. D... de rester auprès de son épouse gravement malade, la décision contestée, qui porte à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise et a été prise en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, doit être annulée.
4. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. D... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 4 juillet 2018 par lequel le préfet de l'Orne lui a refusé la délivrance d'une carte de séjour portant la mention " vie privée et familiale ", l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de 30 jours et a fixé le pays de destination.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
5. Compte tenu du motif d'annulation retenu par le présent arrêt il y a lieu d'enjoindre au préfet de l'Orne de délivrer à M. D... une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ", dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Sur les frais liés au litige :
6. M. D... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 200 euros à Me C..., dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du 18 décembre 2018 du tribunal administratif de Caen et l'arrêté du 2 juillet 2018 par lequel le préfet de l'Orne a refusé à M. D... la délivrance d'un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de 30 jours et a fixé le pays de destination sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de l'Orne de délivrer à M. D... une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ", dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Me C... une somme de 1 200 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... D... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée, pour information, au préfet de l'Orne.
Délibéré après l'audience du 20 novembre 2020, à laquelle siégeaient :
- M. Célérier, président de chambre,
- Mme B..., présidente-assesseur,
- M. Frank, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 8 décembre 2020.
Le rapporteur,
C. B...Le président,
T. CELERIER
Le greffier,
C. GOY
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
2
N° 19NT01257