Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 6 mai 2015, et des mémoires, enregistrés les 3 mai, 27 mai, 30 mai, 10 juin et 15 juin 2016, l'Earl La Petite Côte, représentée par MeB..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux ;
2°) de réformer l'arrêté du 2 juillet 2013 du préfet de la Dordogne fixant le montant de l'indemnité allouée pour l'abattage de son cheptel atteint de tuberculose ;
3°) de condamner l'Etat à lui verser une somme complémentaire de 150 000 euros ;
4°) à défaut, d'enjoindre au préfet de la Dordogne sous astreinte, de réexaminer ses droits à indemnisation dans le délai de 15 jours à compter de la notification de la décision à intervenir ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et le remboursement de la contribution pour l'aide juridictionnelle prévue à l'article 1635 bis Q du code général des impôts sur le fondement de l'article R. 761-1 du code de justice administrative.
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Vu :
- les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code rural et de la pêche maritime ;
- l'arrêté modifié du 30 mars 2001 fixant les modalités de l'estimation des animaux abattus et des denrées et produits détruits sur ordre de l'administration ;
- l'arrêté du 17 juin 2009 fixant les mesures financières relatives à la lutte contre la brucellose bovine et à la lutte contre la tuberculose bovine et caprine ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Florence Madelaigue,
- les conclusions de Mme Frédérique Munoz-Pauziès, rapporteur public,
- et les observations de MeB..., représentant l'EARL La Petite Côte.
Considérant ce qui suit :
1. A la suite d'un arrêté du préfet de la Dordogne en date du 15 octobre 2012, portant déclaration d'infection au titre de la tuberculose bovine de l'exploitation agricole La Petite Côte, l'abattage total du cheptel a été réalisé entre le 31 janvier et le 4 février 2013. Par arrêté du 2 juillet 2013, le préfet de la Dordogne a fixé à la somme de 194 128,99 euros après déduction de la valeur bouchère des bovins le montant de l'indemnisation due à l'exploitant. L'Earl La Petite Côte a demandé au tribunal administratif de Bordeaux de porter l'indemnisation à la somme de 344 128,99 euros après déduction de la valeur bouchère. L'Earl La Petite Côte relève appel du jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 10 mars 2015 qui a rejeté sa demande.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Ainsi que le soutient l'Earl La Petite Côte, les premiers juges ont omis de répondre au moyen, qui n'était pas inopérant, tiré de l'irrégularité de l'expertise réalisée le 16 novembre 2012 en méconnaissance de l'article 3 de l'arrêté du 30 mars 2001. L'Earl La Petite Côte est ainsi fondée à soutenir que le tribunal a entaché son jugement d'une omission à statuer. Par suite, le jugement est irrégulier et doit être annulé. Il y a lieu de statuer par la voie de l'évocation sur la demande d'indemnisation présentée devant le tribunal administratif de Bordeaux.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
3. En vertu du premier alinéa de l'article L. 221-2 du code rural et de la pêche maritime, des arrêtés ministériels fixent les conditions d'indemnisation des propriétaires dont les animaux ont été abattus sur ordre de l'administration et les conditions de la participation financière éventuelle de l'Etat aux autres frais obligatoirement entraînés par l'élimination des animaux.
4. Aux termes de l'article 1er de l'arrêté du 30 mars 2001 modifié fixant les modalités de l'estimation des animaux abattus sur ordre de l'administration : " Lorsque : - un troupeau fait l'objet d'un abattage total ou partiel sur ordre de l'administration dans le cadre des dispositions prises pour l'application de l'article L. 221-1 du code rural ; - des denrées animales ou d'origine animale, ou tout autre produit, présents sur l'exploitation concernée ou en provenant, sont détruits sur ordre de l'administration dans le cadre des dispositions prises pour l'application de l'article L. 221-1 du code rural, les animaux abattus ainsi que les denrées et produits ci-dessus mentionnés faisant l'objet d'une indemnisation en application de l'article L. 221-2 du code rural sont estimés aux frais de l'administration par deux experts sur la base de la valeur de remplacement des animaux et de la valeur commerciale des denrées et des produits. La valeur de remplacement inclut la valeur marchande objective de chaque animal considéré et les frais directement liés au renouvellement du cheptel selon les modalités définies à l'annexe I du présent arrêté, à l'exception de l'espèce porcine pour laquelle la valeur de remplacement et les modalités de renouvellement sont définies à l'annexe III du présent arrêté (...) ". L'article 2 de cet arrêté prévoit que : " Dans chaque département, le préfet établit une liste d'experts répartis en deux catégories. La première catégorie comprend des éleveurs et des professionnels des filières des denrées et produits animaux ou d'origine animale du département reconnus pour leur autorité morale et leur probité. La seconde catégorie comprend des spécialistes de l'élevage choisis pour leurs connaissances de la zootechnie, du marché et de la commercialisation des animaux ainsi que des spécialistes choisis pour leur connaissance du marché et de la commercialisation des denrées et produits animaux ou d'origine animale. Les compétences techniques ou responsabilités professionnelles de chaque expert figurent sur la liste. ". Aux termes de l'article 3 du même arrêté : " Le propriétaire des animaux qui doivent être abattus et des denrées et des produits qui doivent être détruits dans les circonstances prévues à l'article 1er choisit un expert de chaque catégorie, l'un sur la liste du département d'implantation de l'élevage, l'autre sur la liste d'un département limitrophe. Les experts choisis ne peuvent être apparentés au propriétaire des animaux, des denrées et des produits ni résider dans la même commune, ni avoir des liens commerciaux avec lui. En cas de refus par l'éleveur de choisir des experts ou de carence des experts, le directeur départemental des services vétérinaires procède d'office à leur désignation. ". Aux termes de l'article 4 du même arrêté : " L'expertise a lieu, dans la mesure du possible, conjointement. Elle donne lieu à un rapport écrit commun signé par les deux experts, identifiant chaque animal, groupe d'animaux, les denrées ou les produits et motivant leur estimation. En cas de désaccord, mention en est faite sur le rapport. Le cas échéant, deux rapports distincts sont établis (...) Le rapport est communiqué par les experts, dans les meilleurs délais, au directeur départemental des services vétérinaires, qui le transmet, pour remarques éventuelles à formuler, au propriétaire des animaux ou des denrées et produits (...) ". L'article 5 de cet arrêté dispose : " (...) Lorsque la valeur de remplacement estimée par les experts dépasse à titre exceptionnel, pour les espèces visées, les montants majorés tels que définis en annexe II en moyenne par catégorie d'animaux, elle est calculée en fonction d'indices génétiques ou de performances ou de tout autre critère objectif selon les modalités prévues à l'article 1er bis et les justificatifs relatifs à ces indices ou critères sont joints au rapport d'expertise (...) Pour déterminer la valeur commerciale des denrées et produits, les experts s'appuient notamment sur les factures d'achat ou de vente, les tarifs pratiqués ainsi que sur un état d'inventaire. Ces documents sont joints en tant que de besoin au rapport d'expertise ". Enfin, aux termes de l'article 6 : " Le ou les rapports d'expertise sont instruits par le préfet, qui peut solliciter la production de tout élément complémentaire d'appréciation de la valeur commerciale des denrées et produits ou de la valeur de remplacement des animaux et l'avis du directeur général de l'alimentation, notamment dans les cas définis au quatrième alinéa de l'article 5. Le préfet arrête ensuite le montant définitif de l'indemnisation et le notifie au propriétaire des animaux, des denrées ou des produits (...) ".
En ce qui concerne la motivation de l'arrêté du 2 juillet 2013 :
5. Il appartient au juge de plein contentieux, non d'apprécier la légalité d'une décision liant le contentieux, mais de se prononcer sur le droit des requérants à obtenir l'indemnité qu'ils demandent. Par suite, le moyen tiré du défaut de motivation de l'arrêté du préfet de la Dordogne du 2 juillet 2013 fixant le montant des indemnités est, en tout état de cause, inopérant.
En ce qui concerne la régularité de l'expertise du 16 novembre 2012 :
6. En premier lieu, la société requérante soutient qu'elle n'a pas été mise à même de choisir les experts qui ont procédé à l'estimation de la valeur de remplacement de ses animaux et qui ont été imposés par l'administration, en méconnaissance des dispositions précitées de l'article 3 de l'arrêté du 30 mars 2001. Elle affirme que parmi les cinq experts figurant sur la liste de la catégorie 2 prévue à l'article 2 de l'arrêté du 30 mars 2001 susvisé, deux d'entre eux ne souhaitaient plus réaliser d'expertise, ce qui aurait empêché tout véritable choix. Toutefois, la requérante ne justifie pas qu'elle aurait, pour ce motif, demandé au préfet de compléter la liste des experts si elle s'était estimée effectivement privée d'une faculté de choix. De plus, l'administration fait valoir que M.A..., l'exploitant de l'EARL, lui a communiqué oralement le nom des experts de son choix. Il ne résulte pas de l'instruction que l'exploitant se serait ensuite opposé à la désignation des experts pour le motif susmentionné.
7. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que les experts désignés se sont rendus sur place le 16 novembre 2012 pour procéder à l'estimation du cheptel bovin de l'exploitation et, après cette visite, ont réalisé une fiche de synthèse chiffrée qui doit être regardée comme un acte préparatoire au rapport et non comme un premier rapport. Cette fiche a été communiquée à l'exploitant par les services préfectoraux. La contestation du chiffrage mentionné sur ce document a été transmise aux experts qui en ont tenu compte pour établir leur rapport en retenant la liste des bovins présents sur l'exploitation au 16 janvier 2013 confirmée par les agents de l'administration qui se sont rendus sur les lieux : il n'est pas établi que ce constat, certes réalisé hors de la présence des experts, aurait été fait en l'absence de l'exploitant ou à son préjudice et qu'il aurait ainsi été porté atteinte au caractère contradictoire de la procédure. Enfin, l'unique rapport d'expertise définitif a été adressé à l'éleveur le 15 mars 2013.
8. En troisième lieu, la seule circonstance que M. A...et M. C..., l'un des deux experts, siégeaient tous deux au conseil d'administration de l'Union de coopératives Univia, n'est pas de nature à remettre en cause l'impartialité de M.C..., alors qu'il n'est ni allégué ni a fortiori établi que les deux professionnels auraient eu des conflits d'intérêt ni que M. A...aurait demandé la récusation de M.C.... Le moyen tiré du caractère irrégulier de l'expertise doit ainsi être écarté en toutes ses branches.
Sur le montant de l'indemnisation :
9. Il résulte de l'arrêté du 30 mars 2001 pris pour l'application de l'article L. 221-2 du code rural et des dispositions précitées de l'arrêté du 30 mars 2001 que lorsqu'un troupeau de bovins fait l'objet d'un abattage, les animaux abattus sont estimés aux frais de l'administration par deux experts sur leur valeur de remplacement incluant la valeur marchande objective de chaque animal et les frais de renouvellement du cheptel. Lorsqu'une valorisation en boucherie des animaux abattus est possible, le montant en est déduit de l'indemnisation.
10. Il ressort des pièces du dossier que, pour fixer la valeur du cheptel bovin de l'exploitation et le montant de l'indemnité due par l'Etat, le préfet de la Dordogne s'est d'abord fondé sur l'évaluation des experts. Ces derniers ont tenu compte de l'adhésion de l'exploitation à une labellisation de ses produits et de l'excellente qualité de l'ensemble du cheptel, en fixant la valeur marchande des 139 animaux, dont 48 veaux, 89 femelles et 2 taureaux reproducteurs, à 272 736 euros et les frais de renouvellement à 52 788 euros. Toutefois, le préfet a estimé devoir retenir l'avis formulé par la direction générale de l'alimentation (DGAL) le 23 avril 2013, qui a ramené la valeur marchande objective du cheptel à 258 636 euros et les frais de renouvellement à 51 753 euros.
11. En ayant fait siennes les préconisations formulées par la DGAL, pour les motifs dûment explicités par cette dernière, le préfet de la Dordogne ne s'est pas estimé en situation de compétence liée pour fixer le montant définitif de l'indemnité allouée à l'Earl.
12. Ainsi, en ce qui concerne l'estimation des veaux de lait sous la mère, le préfet a pris en compte l'estimation des experts mais, ainsi que le préconisait la DGAL, en a soustrait 150 euros par veau correspondant au coût alimentaire des vaches pour nourrir les veaux, 1'âge des veaux présents sur 1'exploitation variant de un jour à sept mois. Le préfet s'est ainsi conformé au point 5 du A de l'annexe I à l'arrêté du 30 mars 2001 en opérant cette déduction dont le montant n'est pas sérieusement contesté. Au surplus, alors même que le deuxième alinéa de l'article 1 bis de l'arrêté prévoit que les naissances survenant entre 1'expertise et 1'abattage ne donnent pas lieu à indemnisation complémentaire, le préfet a indemnisé l'exploitant au titre des veaux nés sur l'exploitation entre le 16 novembre 2012 et le 16 janvier 2013 qui ont figuré sur la liste des animaux du troupeau ainsi qu'il a été dit au point 7. L'estimation de la valeur des veaux ne peut donc être regardée comme insuffisante.
13. En ce qui concerne l'estimation de la valeur marchande objective des femelles de plus de 24 mois, le préfet s'est également fondé sur l'estimation des experts et a pris en compte 1a qualité du cheptel, ce qui a conduit à une valorisation des animaux à des montants supérieurs à la valeur de remplacement majorée prévue par les dispositions de l'arrêté du 30 mars 2001. L'administration a seulement corrigé la surestimation des plus-values de gestation concernant trente six vaches limousines en fonction de la valeur des veaux limousins sur le marché d'Agen durant la première semaine de 2013, ce que la société ne conteste pas utilement. La société n'a pas non plus contredit l'estimation de cinq vaches montbéliardes utilisées comme vaches nourricières.
14. L'administration justifie encore la somme allouée en faisant valoir que la valeur moyenne d'indemnisation des vaches abattues atteint 2 138 euros, tandis que la valeur marchande objective de la vache limousine atteignait 2 289 euros, pour seulement 1 647 euros s'agissant de valeur marchande de la montbéliarde. Or le troupeau indemnisé compte 68 limousines et 21 montbéliardes, représentant une valeur totale de 190 239 euros.
15. A l'appui d'une demande supplémentaire de 150 000 euros, la société requérante se prévaut toutefois d'une évaluation réalisée par un expert le 21 janvier 2015, deux ans après l'abattage de son troupeau. Mais cette expertise se fonde sur une extrapolation des résultats prévisionnels de l'exploitation qui ne tient pas compte des règles d'indemnisation fixées par l'arrêté du 30 mars 2001 et ne peut de ce fait être retenue comme terme de comparaison. En tout état de cause, l'expertise ne justifie pas le complément d'indemnisation sollicité puisqu'elle préconise une indemnisation totale de 362 933 euros, supérieure de seulement 52 544 euros à l'indemnisation obtenue.
16. Enfin, la société requérante ne conteste pas utilement la valorisation en boucherie des animaux abattus, en soutenant sans le justifier précisément que la vente hors label de la viande labellisée produite par l'exploitation en temps normal aurait été impossible.
17. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions de la requête de l'Earl la Petite Côte à fin d'indemnisation supplémentaire et d'injonction sous astreinte ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les conclusions présentées au titre des dispositions des articles L. 761-1 et R. 761-1 du code de justice administrative :
18. L'Etat n'étant pas la partie perdante dans la présente instance, les conclusions présentées au titre des dispositions des articles L. 761-1 et R. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.
DECIDE
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 10 mars 2015 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par l'Earl La Petite Côte devant le tribunal administratif de Bordeaux et les conclusions de cette dernière à fin de paiement des frais de procès sont rejetées.
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N° 15BX01516