Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 19 janvier 2018, le préfet de Loir-et-Cher demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Poitiers ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. A...devant le tribunal administratif.
Il soutient que :
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire :
- M. A...ne peut utilement se prévaloir des dispositions de l'article 24 de la loi du 12 avril 2000, désormais codifiées dans le code des relations entre le public et l'administration, dès lors que l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile détermine l'ensemble des règles de procédures applicables à ce type de décision ; de la même manière, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne est inopérant ;
- cette décision est suffisamment motivée ;
- elle ne méconnaît pas l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : M. A...se maintient en séjour irrégulier depuis plusieurs années malgré plusieurs mesures d'éloignement successives ;
- cette décision ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale de M. A...et ne méconnaît pas l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
En ce qui concerne la décision refusant d'accorder un délai de départ volontaire :
- elle est suffisamment motivée.
En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi :
- elle ne méconnaît pas l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors que les craintes pour sa vie et son intégrité physique qu'il allègue ne sont corroborées par aucune des pièces du dossier.
Par un mémoire en défense, enregistré le 5 mars 2018, M. A...conclut au rejet de la requête du préfet de Loir-et-Cher et à la mise à la charge de l'Etat de la somme de
2 000 euros sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- son droit d'être entendu tel que prévu par l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne n'a pas été respecté dès lors que l'interprète qui l'a assisté lors de son audition à la gendarmerie a également assisté son frère également entendu sur la même tranche horaire ; l'interprète n'était pas présent pendant toute son audition ne lui permettant pas de faire valoir ses observations de manière utile et effective ainsi que l'indique l'ordonnance du juge des libertés et de la rétention ;
- le principe du contradictoire prévu par l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration a été méconnu pour le même motif ;
- subsidiairement, il reprend les moyens développés en première instance.
Par ordonnance du 5 février 2018, la clôture d'instruction a été fixée au 2 mars 2018 à 12h00.
Par décision du 5 avril 2018, M. A...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Caroline Gaillard a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M.A..., né le 19 novembre 1990, de nationalité géorgienne, est entré irrégulièrement en France le 22 juin 2011 selon ses déclarations. Sa demande d'asile a été définitivement rejetée par une décision de la Cour nationale du droit d'asile en date du
2 novembre 2012. Par un arrêté du 18 décembre 2012, devenu définitif, le préfet
d'Eure-et-Loir l'a obligé à quitter le territoire français. M. A...a ensuite sollicité le réexamen de sa demande d'asile à deux reprises et l'Office français de protection des réfugiés et apatrides a rejeté ses deux demandes par deux décisions en date du 15 septembre 2014 et du 23 avril 2015. Par un arrêté du 16 juin 2015, devenu également définitif, le préfet du Loiret l'a, à son tour, obligé à quitter le territoire français. Le 17 novembre 2017, M. A...a été interpellé en compagnie de son frère par les services de police à la suite d'un contrôle routier alors qu'il se trouvait irrégulièrement sur le territoire français. Par deux arrêtés du
17 novembre 2017, le préfet de Loir-et-Cher l'a, d'une part, obligé à quitter le territoire français sans délai et a fixé le pays à destination duquel il serait renvoyé et, d'autre part, a prononcé son placement en rétention administrative. Le préfet relève appel du jugement du
18 décembre 2017 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Poitiers a annulé l'arrêté portant obligation de quitter le territoire et lui a enjoint de réexaminer la situation de M.A....
Sur l'appel du préfet de Loir-et-Cher :
2. Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne que le droit d'être entendu fait partie intégrante du respect des droits de la défense, principe général du droit de l'Union sur lequel le premier juge s'est également fondé. Il appartient aux Etats membres, dans le cadre de leur autonomie procédurale, de déterminer les conditions dans lesquelles le respect de ce droit est assuré. Ce droit se définit comme celui de toute personne de faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue au cours d'une procédure administrative avant l'adoption de toute décision susceptible d'affecter de manière défavorable ses intérêts. Il ne saurait cependant être interprété en ce sens que l'autorité nationale compétente est tenue, dans tous les cas, d'entendre l'intéressé lorsque celui-ci a déjà eu la possibilité de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur la décision en cause. Le droit d'être entendu implique que l'autorité préfectorale, avant de prendre à l'encontre d'un étranger une décision portant obligation de quitter le territoire français, mette l'intéressé à même de présenter ses observations écrites et lui permette, sur sa demande, de faire valoir des observations orales, de telle sorte qu'il puisse faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue sur la mesure envisagée avant qu'elle n'intervienne.
3. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier et notamment du procès-verbal d'entretien du 17 novembre 2017 que M. A...a été entendu à Salbris par un agent de police judiciaire et avec le concours d'un interprète en langue russe. La circonstance que le même interprète a assisté parallèlement le requérant et son frère, entendus chacun par un agent de police judiciaire différent mais pendant la même plage horaire, ne suffit pas à établir que M. A...aurait été privé du droit d'être entendu alors que ce dernier avait déclaré parler et lire, outre sa langue nationale, le russe, mais aussi comprendre le français et que l'entretien a consisté à lui poser huit questions auxquelles il a pu répondre ainsi qu'en témoigne le procès-verbal. Dans ces conditions, M. A...doit être regardé comme ayant exercé son droit d'être entendu et comme ayant pu présenter ses observations sur la mesure d'éloignement.
4. Par suite, le préfet de Loir-et-Cher est fondé à soutenir que le premier juge a annulé à tort les décisions en litige au motif que M. A...avait été privé de ce droit.
5. Il y a lieu pour la cour, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, de statuer sur l'ensemble des moyens présentés par M. A...à l'appui de ses conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté du 17 novembre 2017 du préfet de Loir-et-Cher.
Sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :
6. En premier lieu, aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " I.-L'autorité administrative peut obliger à quitter le territoire français un étranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne, d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse et qui n'est pas membre de la famille d'un tel ressortissant au sens des 4° et 5° de l'article L. 121-1, lorsqu'il se trouve dans l'un des cas suivants : / 1° Si l'étranger ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, à moins qu'il ne soit titulaire d'un titre de séjour en cours de validité ;; (...). La décision énonçant l'obligation de quitter le territoire français est motivée. (...). ".
7. La décision en litige vise les textes sur lesquels elle se fonde, notamment les stipulations des articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, notamment le I de l'article L. 511-1. Elle indique que M. A...a déclaré être entré irrégulièrement en France en 2011, les démarches entreprises par ce dernier pour régulariser sa situation et les différentes mesures d'éloignement dont il a fait l'objet. La décision contestée précise enfin qu'il n'est pas porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale et qu'il n'établit pas être exposé à des peines ou des traitements personnels, réels et actuels contraires à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par suite, la décision portant obligation de quitter le territoire français, qui n'avait pas à comporter une description exhaustive de la situation personnelle et familiale de M. A...et qui comporte l'ensemble des éléments de fait et de droit sur lesquels elle se fonde, est ainsi suffisamment motivée, la circonstance que cette décision ne vise pas l'arrêté du 10 mai 2010 relatif aux documents et visas exigés pour l'entrée des étrangers sur le territoire européen de la France étant sans influence sur la légalité de la mesure d'éloignement.
8. En deuxième lieu, il ressort de la motivation de la décision contestée que le préfet de Loir-et-Cher a procédé à un examen de la situation personnelle de l'intéressé.
9. En troisième lieu, M.A..., définitivement débouté du droit d'asile depuis le
2 novembre 2012, n'établit ni même n'allègue être entré régulièrement en France et n'a pu justifier, lors de son interpellation, de la possession d'un titre de séjour en cours de validité. Il était, par suite, au nombre des étrangers pouvant faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français en application des dispositions citées au point 6.
10. En dernier lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...) / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ". L'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) ; / 7° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l'article
L. 313-2 soit exigée. (...). ".
11. M. A...soutient qu'il réside en France depuis l'année 2011, qu'il justifie d'une relation stable et sérieuse avec une compatriote titulaire d'un titre de séjour pluriannuel qu'il envisage d'épouser, qu'il dispose d'importants liens familiaux en France, où résident sa mère, ses frères et son père, et qu'il n'a plus de contact avec la Géorgie. Toutefois, il n'établit pas l'ancienneté de son concubinage avec sa compagne, ni la présence de membres de sa famille en France, excepté son père, lequel dispose seulement d'un récépissé de demande de titre de séjour. Il n'établit pas davantage être dépourvu d'attaches familiales dans son pays d'origine où il a vécu jusqu'à l'âge de 21 ans. Dans ces conditions la décision attaquée n'a pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise et n'a donc méconnu ni les stipulations précitées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni les dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, le préfet pouvait légalement éloigner M. A...dès lors que celui-ci ne pouvait se voir attribuer de plein droit un titre de séjour en application de ces dernières dispositions.
Sur la décision refusant d'octroyer un délai de départ volontaire :
12. Aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " II. - Pour satisfaire à l'obligation qui lui a été faite de quitter le territoire français, l'étranger dispose d'un délai de trente jours (...) / Toutefois, l'autorité administrative peut, par une décision motivée, décider que l'étranger est obligé de quitter sans délai le territoire français : / (...). 3° S'il existe un risque que l'étranger se soustraie à cette obligation. Ce risque peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : / (...) ; d) Si l'étranger s'est soustrait à l'exécution d'une précédente mesure d'éloignement ; (...)f) Si l'étranger ne présente pas de garanties de représentation suffisantes, notamment parce qu'il ne peut justifier de la possession de documents d'identité ou de voyage en cours de validité (...). ".
13. Ainsi qu'il a été dit, le requérant, qui se maintient illégalement sur le territoire français depuis plusieurs années, a fait l'objet, le 18 décembre 2012 et le 16 juin 2015, de deux précédentes mesures d'éloignement auxquelles il n'a pas déféré. Dès lors, en édictant la décision contestée, le préfet de Loir-et-cher n'a pas commis d'erreur d'appréciation.
Sur la décision fixant le pays de destination :
14. D'une part, la décision fixant le pays à destination duquel M. A...serait renvoyé vise les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et précise, dans ses motifs, que le requérant n'établit pas être exposé à des peines ou traitements contraires à ces stipulations en cas de retour dans son pays d'origine. Cette décision est ainsi suffisamment motivée.
15. D'autre part, aux termes du dernier alinéa de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ". Aux termes de l'article 3 de cette convention : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou des traitements inhumains ou dégradants ". Ces dispositions combinées font obstacle à ce que puisse être légalement désigné comme pays de destination d'un étranger faisant l'objet d'une mesure d'éloignement un Etat pour lequel il existe des motifs sérieux et avérés de croire que l'intéressé s'y trouverait exposé à un risque réel pour sa personne soit du fait des autorités de cet Etat, soit même du fait de personnes ou de groupes de personnes ne relevant pas des autorités publiques, dès lors que, dans ce dernier cas, les autorités de l'Etat de destination ne sont pas en mesure de parer à un tel risque par une protection appropriée.
16. M. A...soutient qu'en cas de retour en Géorgie, il craint de subir des persécutions en raison de son appartenance à la communauté Ezidi et que son isolement serait constitutif d'un traitement inhumain et dégradant. Toutefois le requérant, dont la demande d'asile a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 21 mai 2012 puis par la Cour nationale du droit d'asile le 2 novembre 2012, ne justifie pas des risques personnels qu'il allègue. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne peut qu'être écarté.
17. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de Loir-et-Cher est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de Poitiers a annulé son arrêté du 17 novembre 2017.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
18. Le présent arrêt, qui rejette les conclusions à fin d'annulation n'appelle aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions à fin d'injonction ne peuvent être accueillies.
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du 2ème alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
19. L'Etat n'étant pas la partie perdante dans la présente instance, les conclusions présentées par M. A...au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ne peuvent qu'être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n°1702643 du 18 décembre 2017 du tribunal administratif de Poitiers est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. A...devant le tribunal administratif de Poitiers et les conclusions de ce dernier présentées devant la cour sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur, à M. B...A...et au préfet de Loir-et-Cher.
Délibéré après l'audience du 16 mars 2018 à laquelle siégeaient :
M. Philippe Pouzoulet, président,
Mme Marianne Pouget, président-assesseur,
Mme Caroline Gaillard, premier conseiller,
Lu en audience publique, le 27 avril 2018.
Le rapporteur,
Caroline Gaillard
Le président,
Philippe Pouzoulet
Le greffier,
Florence Deligey
La République mande et ordonne au ministre d'état, ministre de l'intérieur, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N°18BX00253