Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 20 juillet 2020, Mme C..., représentée par Me A..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 12 février 2020 ;
2) d'annuler l'arrêté du préfet de la Gironde du 26 juillet 2019 ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Gironde de lui délivrer un titre de séjour à raison de sa vie privée et familiale, dans le délai de deux mois à compter de la notification de la décision à intervenir ; à défaut, de réexaminer sa situation dans le même délai et de lui délivrer dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros en application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Elle soutient que :
En ce qui concerne le refus de séjour :
- il porte atteinte à son droit au respect de sa vie privée et familiale en méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- il méconnaît l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ;
- il est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation de sa situation.
En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :
- elle est dépourvue de base légale ;
- elle porte atteinte à son droit au respect de sa vie privée et familiale en méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle méconnaît l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant.
Par un mémoire en défense, enregistré le 30 septembre 2020, le préfet de la Gironde conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Par une décision du 29 avril 2020, le bureau d'aide juridictionnelle du tribunal judiciaire de Bordeaux a accordé à Mme C... le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme D... E... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme C..., ressortissante de nationalité albanaise née le 26 juillet 1985, déclare être entrée en France avec son époux le 6 septembre 2017 pour y demander l'asile. Sa demande a été rejetée définitivement par la Cour nationale du droit d'asile le 7 décembre 2018. Par arrêté du 9 janvier 2019, le préfet de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination. Cet arrêté a été annulé par un jugement n° 190721-190723 du tribunal administratif de Bordeaux du 17 avril 2019 en tant qu'il l'obligeait à quitter le territoire français et ce jugement a également prononcé une injonction de réexaminer la situation de l'intéressée. Par un arrêté du 26 juillet 2019, le préfet de la Gironde, après avoir procédé au réexamen de la situation de Mme C..., a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination. Mme C... relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande d'annulation de cet arrêté.
Sur la légalité de l'arrêté attaqué :
2. Aux termes des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...) / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". L'étranger qui invoque la protection due à son droit au respect de sa vie privée et familiale, garantie par les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit apporter toute justification permettant d'apprécier la réalité et la stabilité de ses liens personnels et familiaux effectifs en France au regard de ceux qu'il a conservés dans son pays d'origine.
3. Il ressort des pièces du dossier que l'époux de Mme C... a sollicité un titre de séjour pour motif de santé et que le couple a deux enfants âgés de sept et deux ans dont l'aîné est scolarisé en France. Les certificats médicaux du docteur Duval, praticien hospitalier au service de neurologie de l'hôpital Pellegrin de Bordeaux précisent que M. C... est atteint d'une myopathie facio-scapulo-humérale, affection génétique rare, responsable d'un déficit moteur des quatre membres, d'une atteinte faciale et de troubles de la déglutition qui nécessite une prise en charge pluridisciplinaire et paramédicale par kinésithérapie et qu'il n'avait pu être pris en charge dans son pays d'origine. Le certificat du 11 décembre 2019 du docteur Urtizberea, praticien hospitalier à l'hôpital Marin de Hendaye, spécialisé dans les maladies rares neuromusculaires et chargé des relations internationales au sein de la filière nationale de santé Filnemus, atteste en outre " qu'il n'existe actuellement pas de structures médicales ou paramédicales dédiées en Albanie à la prise en charge des maladies neuromusculaires en général et de la myopathie facio-scapulo-humérale (FSH) en particulier ". Le mari de Mme C... a par suite vocation à obtenir la délivrance d'un titre de séjour. D'ailleurs, la cour annule le refus de titre de séjour qui a été opposé à M. C... par un arrêt n° 18BX02237 du même jour. Il ressort également des pièces du dossier que l'état de santé du conjoint de la requérante requiert la présence de son épouse pour l'assister et s'occuper des deux enfants du couple, âgés de sept et deux ans, dont l'aîné est scolarisé en France. Enfin, la décision contestée aurait pour effet de séparer Mme C... de son époux ayant vocation à séjourner en France pour y recevoir des soins et de ses deux enfants et la cellule familiale ne pourrait ainsi se reconstituer en Albanie, où le traitement nécessaire à M. C... n'est pas disponible. Dans ces conditions, le refus du préfet de la Gironde de délivrer à Mme C... un titre de séjour a porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels il est intervenu et méconnait, par suite, les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Mme C... est donc fondée, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, à demander l'annulation de ce refus de délivrance d'un titre de séjour. L'obligation de quitter le territoire français, prise sur le fondement de la décision portant refus de titre de séjour, et la décision fixant le pays de renvoi, doivent également être annulées, par voie de conséquence.
4. Dès lors, Mme C... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande. Il y a lieu d'annuler ce jugement ainsi que l'arrêté préfectoral en litige du 26 juillet 2019.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
5. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public (...) prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. La juridiction peut également prescrire d'office cette mesure. ".
6. Eu égard au motif d'annulation retenu au présent arrêt, il y a lieu de prescrire au préfet de la Gironde de délivrer à Mme C... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de trois mois à compter de la notification de l'arrêt. L'annulation de l'obligation de quitter le territoire français prononcée au présent arrêt implique également que soit délivrée à Mme C..., dans l'attente de la délivrance d'un titre de séjour, en application de l'article L. 512-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, une autorisation provisoire de séjour.
Sur les frais exposés et non compris dans les dépens :
7. Mme C... a obtenu l'aide juridictionnelle et son avocat peut, par suite, se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me A..., avocat de Mme C..., de la somme de 1 000 euros sur le fondement des dispositions combinées de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ce versement emportant, conformément à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, renonciation à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1905186 du tribunal administratif de Bordeaux du 12 février 2020 et l'arrêté préfectoral du 26 juillet 2019 sont annulés.
Article 2 : Il est prescrit au préfet de la Gironde de délivrer à Mme C... une autorisation provisoire de séjour et, dans le délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt, un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ".
Article 3 : L'Etat versera à Me A... la somme de 1 000 euros en application des dispositions combinées de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... C..., à Me A... et au ministre de l'intérieur. Une copie en sera adressée à la préfète de la Gironde.
Délibéré après l'audience du 3 novembre 2020 à laquelle siégeaient :
Mme Elisabeth Jayat, président,
M. Frédéric Faïck, président assesseur,
Mme D... E..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 1er décembre 2020.
Le président,
Elisabeth Jayat La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 20BX02238