Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 15 décembre 2020, la préfète du Tarn demande à la cour d'annuler les articles 2, 3 et 4 de ce jugement du tribunal administratif de Toulouse du 24 novembre 2020.
Il soutient que :
- le tribunal administratif n'explique pas en quoi la décision préfectorale portant précisément éloignement à destination de Mayotte ou des Comores ou de tout autre pays où elle est légalement admissible empêcherait Mme A... de retourner à Mayotte ;
- le fait que son titre de séjour à Mayotte est expiré ne fait pas obstacle à son retour à Mayotte puisque le renouvellement d'un titre de séjour est de droit ;
- si le tribunal a entendu considérer qu'un éloignement à destination de Mayotte n'était pas possible, tel n'est pas le cas ; il convient de faire application de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de constater que Mme A... est légalement admissible à Mayotte ;
- les autres moyens soulevés par Mme A... devant le tribunal ne sont pas davantage fondés ; en effet, la situation de Mme A... a fait l'objet d'un examen sérieux ; l'arrêté contesté est suffisamment motivé ; l'intéressée ne peut pas prétendre à un titre de séjour sur le fondement du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors qu'elle est entrée sur le territoire métropolitain sans aucun visa, ni tampon d'entrée, ni autorisation spéciale ; la commission du titre de séjour n'avait donc pas à être consultée ; en application de l'article L. 832-2 du code, le titulaire d'une carte délivrée à Mayotte ne peut pas prétendre obtenir de plein droit une carte " parent d'enfant français " dans un autre département s'il n'a pas l'autorisation de s'y installer, comme l'a indiqué le Conseil d'État dans l'avis n° 424581 du 30 janvier 2019 ; l'arrêté ne méconnaît pas non plus l'article L. 111-3 du code car si l'entrée et le séjour à Mayotte sont régis par le droit commun, il existe des exceptions à l'application du droit commun fixées notamment aux articles L. 832-1 et L. 832-2 ; il n'est pas établi qu'un retour vers les Comores, pays d'origine de l'intéressée, l'exposerait à une méconnaissance des droits qu'elle tient des articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits et des libertés fondamentales ; l'arrêté contesté n'est pas entaché d'erreur manifeste d'appréciation, ni de violation de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits et des libertés fondamentales, ni de violation de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
Par un mémoire en défense, enregistré le 3 mars 2021, Mme A..., représentée par Me E... conclut au rejet de la requête et, par la voie de l'appel incident, à l'annulation de l'arrêté préfectoral du 8 janvier 2020 en tant qu'il porte refus de séjour, à ce qu'il soit enjoint à la préfète du Tarn de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir et à ce que soit mis à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros à son avocat, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Elle soutient que :
- la préfète ne conteste pas qu'elle n'a plus d'attaches familiales aux Comores ; elle ne peut pas davantage être éloignée à destination de Mayotte où son titre de séjour n'est plus valable ;
- le refus de titre de séjour qui lui a été opposé est illégal dès lors qu'elle est mère d'un enfant français né en France métropolitaine ; elle peut prétendre à un titre de séjour sur le fondement du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; elle n'est pas soumise à l'exigence d'un visa long séjour.
Par un courrier du 4 mars 2021 les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt à intervenir était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de la tardiveté des conclusions incidentes de Mme A....
Par décision du 11 mars 2021, Mme A... a été maintenue de plein droit au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative et le décret n°2020-1406 du 18 novembre 2020.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme G... B... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A..., ressortissante comorienne née en 1986, serait arrivée en 2004 selon ses dires à Mayotte, où elle a obtenu, à partir de 2014, des titres de séjour portant la mention " vie privée et familiale ", dont le dernier était valable jusqu'au 17 mai 2019. Le 27 mars 2019, elle est entrée en France métropolitaine où elle a sollicité le 31 octobre 2019, auprès des services de la préfecture du Tarn, un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ". Par arrêté du 8 janvier 2020, le préfet du Tarn a rejeté sa demande, a pris à son encontre une mesure d'obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a décidé qu'à défaut de départ volontaire, elle pourrait être reconduite d'office à la frontière à destination de Mayotte ou des Comores ou de tout autre pays dans lequel elle serait légalement admissible. Mme A... a demandé au tribunal administratif de Toulouse l'annulation de cet arrêté. Par jugement du 24 novembre 2020, le tribunal administratif a annulé l'arrêté préfectoral du 8 janvier 2020 en tant qu'il porte obligation de quitter le territoire français et fixation du pays de renvoi, a enjoint à la préfète du Tarn de réexaminer la situation de Mme A... dans les deux mois suivant la notification du jugement, a mis à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 750 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique et a rejeté le surplus des conclusions de la demande de Mme A.... La préfète du Tarn fait appel du jugement en tant qu'il annule la mesure d'éloignement et la décision fixant le pays de destination, qu'il l'enjoint au réexamen de la situation de Mme A... et qu'il met à la charge de l'Etat le versement à Me E..., avocat de Mme A..., de la somme de 750 euros en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Mme A... conclut au rejet de la requête et conteste le jugement en tant qu'il a rejeté le surplus des conclusions de sa demande.
Sur l'appel principal du préfet :
En ce qui concerne la régularité du jugement attaqué :
2. Au point 15 du jugement, le tribunal a indiqué que l'obligation de quitter le territoire français prise à l'encontre de Mme A... faisait obstacle à ce que l'intéressée puisse retourner à Mayotte alors que ses enfants, dont trois ont la nationalité française, y résident depuis leur naissance, à l'exception du dernier, né peu avant la mesure en litige. Les premiers juges ont également précisé que Mme A... avait résidé régulièrement à Mayotte pendant plusieurs années et y avait établi le centre de ses intérêts privés et qu'il n'apparaissait pas qu'elle aurait conservé des attaches familiales aux Comores, son pays d'origine. Le tribunal en a déduit que la mesure portait en conséquence une atteinte disproportionnée au droit de l'intéressée au respect de sa vie privée et familiale. La préfète du Tarn soutient que le jugement n'explique pas en quoi la décision préfectorale empêcherait Mme A... de retourner à Mayotte puisqu'elle décide précisément d'un éloignement à destination de Mayotte ou des Comores ou de tout autre pays où elle est légalement admissible. Dès lors qu'au point 4 du jugement, le tribunal a affirmé qu'en application de l'article L. 111-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la France s'entendait de la France métropolitaine, de la Guadeloupe, de la Guyane, de la Martinique, de la Réunion, de Saint-Pierre-et-Miquelon, de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin et de Mayotte, il a implicitement mais nécessairement considéré qu'un éloignement du territoire français impliquait une impossibilité de séjourner sur l'une des parties du territoire de la France, et en particulier à Mayotte. Ainsi, le jugement est suffisamment motivé.
En ce qui concerne le fond :
3. Aux termes de l'article L. 111-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2014-464 du 7 mai 2014 et en vigueur à compter du 26 mai 2014 : " Au sens des dispositions du présent code, l'expression "en France" s'entend de la France métropolitaine, de la Guadeloupe, de la Guyane, de la Martinique, de Mayotte, de La Réunion, de Saint-Pierre-et-Miquelon, de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin ". Aux termes de l'article L. 513-2 du même code dans sa rédaction en vigueur à la date de la décision attaquée : " L'étranger qui fait l'objet d'une mesure d'éloignement est éloigné : 1° A destination du pays dont il a la nationalité, sauf si l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ou la Cour nationale du droit d'asile lui a reconnu le statut de réfugié ou lui a accordé le bénéfice de la protection subsidiaire ou s'il n'a pas encore été statué sur sa demande d'asile ; 2° Ou, en application d'un accord ou arrangement de réadmission communautaire ou bilatéral, à destination du pays qui lui a délivré un document de voyage en cours de validité ; 3° Ou, avec son accord, à destination d'un autre pays dans lequel il est légalement admissible (...) "
4. En vertu des dispositions précitées de l'article L. 111-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, Mayotte est "en France" au sens des dispositions de ce code. Ainsi, à compter du 26 mai 2014, date de l'entrée en vigueur de ces dispositions, un étranger ne peut être légalement éloigné à destination de Mayotte sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 513-2 du même code. Le préfet du Tarn ne pouvait donc légalement décider qu'à défaut de départ volontaire du territoire métropolitain, elle pourrait être reconduite d'office à Mayotte.
5. Par ailleurs, et ainsi que l'a estimé le tribunal, Mme A... a résidé durant plusieurs années à Mayotte, en situation régulière. Un de ses enfants, né en 2008, y réside, deux de ses enfants, de nationalité française, y sont nés en 2007 et 2015, et ainsi que l'ont également relevé les premiers juges, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'elle aurait conservé ses liens personnels ou familiaux aux Comores, son pays d'origine. Dans ces conditions, Mme A... doit être regardée comme ayant le centre de ses intérêts privés à Mayotte, ce que ne conteste d'ailleurs pas la préfète du Tarn. Par suite, et dès lors que, comme il a été dit, l'arrêté préfectoral ne pouvait légalement décider d'un éloignement forcé de Mme A... à destination de Mayotte, il doit être considéré que la mesure d'éloignement de l'intéressée du territoire de la France porte au droit que Mme A... tient de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, une atteinte excessive au regard des buts en vue desquels elle a été prise. Il appartiendra à l'autorité préfectorale de délivrer à Mme A..., qui réside en situation irrégulière sur le territoire métropolitain, un titre de séjour lui permettant de résider à Mayotte.
6. Il résulte de ce qui précède que la préfète du Tarn n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal a prononcé l'annulation de l'arrêté du 8 janvier 2020 en tant qu'il oblige Mme A... à quitter le territoire français et, par voie de conséquence, en tant qu'il fixe le pays de renvoi et qu'il a enjoint à l'administration de réexaminer la situation de l'intéressée.
Sur l'appel incident de Mme A... :
7. Les décisions de refus de titre de séjour et d'obligation de quitter le territoire français étant distinctes, les conclusions les concernant relèvent de litiges distincts et ne sont recevables qu'à la condition d'avoir été enregistrées dans le délai d'appel ayant couru contre le jugement. Il ressort des pièces du dossier que le jugement du 24 novembre 2020 a été notifié à l'avocat de la requérante, conformément aux dispositions de l'article 13 de l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020, le 27 novembre 2020. Le courrier de notification précisait que cette notification faisait courir le délai d'appel qui est d'un mois. La demande d'aide juridictionnelle présentée par Mme A... le 16 février 2021, soit postérieurement à l'expiration du délai d'appel, n'a pas pu avoir pour effet d'interrompre le cours du délai. Dès lors, les conclusions incidentes de Mme A... sont tardives et, par suite, irrecevables.
Sur les frais liés à l'instance :
8. Mme A... a été maintenue au bénéfice de l'aide juridictionnelle. Son avocat peut donc se prévaloir de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me E..., avocat de Mme A..., le versement d'une somme de 1 200 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la préfète du Tarn et les conclusions d'appel incident de Mme A... sont rejetées.
Article 2 : L'Etat versera à Me E... la somme de 1 200 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à Mme C... A... et à Me E....
Une copie en sera adressée à la préfète du Tarn et au préfet de Mayotte.
Délibéré après l'audience du 23 mars 2021 à laquelle siégeaient :
Mme G... B..., présidente,
M. Frédéric Faïck, président assesseur,
Mme D... F..., première conseillère,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 mai 2021.
La présidente-rapporteure,
Elisabeth B...
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 20BX04156