Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 27 mars 2019, M. C... A..., représenté par Me E..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1805051 du 21 novembre 2018 ;
2°) d'annuler les arrêtés préfectoraux du 7 novembre 2018 ;
3°) d'enjoindre au préfet de réexaminer sa situation dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 80 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de celles de l'article 37-2 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient, en ce qui concerne la légalité de la décision de transfert, que :
- la décision est entachée d'un vice de procédure dès lors qu'elle n'a pas été précédée de l'entretien individualisé prévu à l'article 5 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;
- la décision est également entachée d'un défaut de motivation ;
- le préfet a commis une erreur de droit en l'absence de saisine des autorités de l'Etat responsable en application de l'article 21 du règlement combiné avec ses articles 15, 18 et 19 ;
- le préfet a commis une erreur manifeste d'appréciation en n'appliquant pas la clause de souveraineté prévue à l'article 17 du règlement compte tenu des atteintes au droit d'asile commises par les autorités bulgares.
Il soutient, en ce qui concerne la décision d'assignation à résidence, que :
- cette décision devra être annulée par voie de conséquence de l'annulation de l'arrêté de transfert.
Par un mémoire en défense, présenté le 20 juin 2019, le préfet de Lot-et-Garonne conclut au rejet de la requête.
Il soutient que tous les moyens de la requête doivent être écartés comme infondés.
Par ordonnance du 13 mai 2019, la clôture d'instruction a été fixée au 17 juillet 2019 à 12 heures.
Des pièces ont été produites le 18 septembre 2019 par le préfet de Lot-et-Garonne et ont été communiquées au requérant.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 7 mars 2019.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride ;
- le règlement (CE) n° 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003 modifié par le règlement (UE) n° 118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1911 relative à l'aide juridique ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. D... B... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. C... A... est un ressortissant afghan né en 1993 qui, selon ses déclarations, est entré sur le territoire français le 30 juin 2018. Il a déposé une demande d'asile à la préfecture de police de Paris le 16 juillet 2018 mais le relevé de ses empreintes digitales auquel il a été soumis à cette occasion a montré qu'il avait formulé une telle demande en Bulgarie au cours de l'année 2015. Aussi, les autorités françaises ont, le 24 juillet 2018, adressé à la Bulgarie une demande de reprise en charge de M. A... en application de l'article 18-1-b du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. Cette demande ayant fait l'objet d'une décision implicite d'acceptation le 8 août 2018, en application de l'article 25-2 du règlement, le préfet de Lot-et-Garonne a pris, le 7 novembre 2018, un arrêté prononçant le transfert de M. A... à destination de la Bulgarie, responsable de l'examen de la demande d'asile. En vue d'assurer l'exécution de cette décision, le préfet a pris un autre arrêté du même jour assignant M. A... à résidence au centre d'accueil et d'orientation d'Aiguillon pendant une durée de quarante-cinq jours. M. A... a saisi le tribunal administratif de Bordeaux d'une demande d'annulation des deux arrêtés préfectoraux du 7 novembre 2018. Il relève appel du jugement rendu le 21 novembre 2018 par lequel le magistrat désigné du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.
2. Il ressort des pièces du dossier que M. A... a fait l'objet d'une décision le déclarant en fuite, ce qui a eu pour effet de porter à dix-huit mois le délai d'exécution de la décision de transfert prise à son encontre, en application de l'article 29-2 du règlement n° 604/2013. En raison de cette prolongation, l'Etat français n'est pas devenu responsable de l'examen de la demande d'asile présentée par M. A... et il y a lieu pour la cour de statuer sur sa requête.
Sur les conclusions à fin d'annulation de l'arrêté de remise :
3. En premier lieu, aux termes de l'article 5 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. (...) L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. (...) ".
4. Il ressort des pièces du dossier que M. A... a bénéficié, lors du dépôt de sa demande d'asile, d'un entretien individuel le 16 juillet 2018 avec un agent de la préfecture de police. Au cours de cet entretien, M. A... a été assisté d'un interprète en langue pachto et a certifié, sur la fiche individuelle résumant l'entretien, avoir compris les termes de la conversation. M. A... s'est vu remettre également le livret intitulé " Les empreintes et Eurodac " ainsi que les documents d'information sur le règlement " Dublin III ", à savoir la brochure A " J'ai demandé l'asile dans l'Union européenne - quel pays sera responsable de ma demande ' " et la brochure B " Je suis sous procédure Dublin. Qu'est-ce que cela signifie ' " rédigés en langue pachto. Dans ces conditions, le requérant a bénéficié des éléments d'information concernant la procédure de transfert aux autorités bulgares et, par suite, son moyen tiré de la méconnaissance de l'article 5 précité du règlement n° 604/2013 manque en fait.
5. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) l'étranger dont l'examen de la demande d'asile relève de la responsabilité d'un autre Etat peut faire l'objet d'un transfert vers l'Etat responsable de cet examen. Toute décision de transfert fait l'objet d'une décision écrite motivée prise par l'autorité administrative (...) ". En vertu de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques (...) ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : -restreignent l'exercice des libertés publiques ou, de manière générale, constituent une mesure de police ; (...) ". Et selon l'article L. 211-5 du même code : " La motivation exigée par la présente loi doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ".
6. Contrairement à ce que soutient le requérant, l'arrêté de transfert vise les articles du règlement n°604/2013 dont il fait application, en particulier l'article 18-1 b) relatif à la reprise en charge de l'étranger dont la demande d'asile est en cours d'examen et qui a présenté une demande auprès de l'Etat requis. Il vise aussi les articles du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile applicables à la situation de M. A.... Par ailleurs, cet arrêté indique que le relevé des empreintes digitales de M. A... a montré qu'il avait été identifié en Bulgarie le 20 août 2015, soit préalablement à son entrée en France et que les autorités bulgares avaient donné le 8 août 2018 leur accord implicite au transfert de l'intéressé. Dans ces conditions, le moyen tiré du défaut de motivation de l'arrêté doit être écarté.
7. En troisième lieu, les articles 20 et suivants du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers fixent les règles selon lesquelles sont organisées les procédures de prise en charge ou de reprise en charge d'un demandeur d'asile par l'Etat membre responsable de l'examen de sa demande d'asile. Ces articles déterminent notamment les conditions dans lesquelles l'Etat sur le territoire duquel se trouve le demandeur d'asile requiert de l'Etat qu'il estime responsable de l'examen de la demande de prendre ou de reprendre en charge le demandeur d'asile. A cet égard, l'article 15 du règlement (CE) n° 1560/2003 du 2 septembre 2003 susvisé dispose que : " 1. Les requêtes et les réponses, ainsi que toutes les correspondances écrites entre États membres visant à l'application du règlement (UE) n° 604/2013, sont, autant que possible, transmises via le réseau de communication électronique " DubliNet " établi au titre II du présent règlement (...) 2. Toute requête, réponse ou correspondance émanant d'un point d'accès national visé à l'article 19 est réputée authentique. / 3. L'accusé de réception émis par le système fait foi de la transmission et de la date et de l'heure de réception de la requête ou de la réponse ".
8. Pour pouvoir procéder au transfert d'un demandeur d'asile vers un autre Etat membre en mettant en oeuvre ces dispositions du règlement, l'autorité administrative doit obtenir l'accord de l'Etat responsable de l'examen de la demande d'asile avant de pouvoir prendre une décision de transfert du demandeur d'asile vers cet Etat. Une telle décision de transfert ne peut donc être prise, et a fortiori être notifiée à l'intéressé, qu'après l'acceptation de la prise en charge par l'Etat requis. Il appartient au juge administratif, statuant sur des conclusions dirigées contre la décision de transfert et saisi d'un moyen en ce sens, d'annuler la décision de transfert si elle a été prise sans qu'ait été obtenue, au préalable, l'acceptation par l'Etat requis de la prise ou de la reprise en charge de l'intéressé. Par ailleurs, dès lors que le réseau de communication " DubliNet " permet des échanges d'informations fiables entre les autorités nationales qui traitent les demandes d'asile, les accusés de réception émis par un point d'accès national sont réputés faire foi de la transmission et de la date et de l'heure de réception de la requête ou de la réponse.
9. Il ressort des pièces du dossier que la demande de reprise en charge de M. A... par les autorités bulgares a été formée le 24 juillet 2018 par le biais du réseau de communication " DubliNet ", qui permet des échanges d'informations fiables entre les autorités des Etats membres de l'Union européenne traitant les demandes d'asile. Le préfet produit, pour en justifier, la copie d'un courrier électronique du 24 juillet 2018 à 14h42 constituant l'envoi de la demande de reprise en charge aux autorités bulgares par les autorités françaises ainsi que la copie de la réponse automatique du point d'accès national français émise le même jour. Ces deux documents portent la référence " FRDUB29930157339-750 ", qui correspond au numéro attribué à M. A... par la préfecture. De plus, le préfet produit la copie d'un autre courrier électronique du 24 août 2018 constituant l'envoi du constat d'accord implicite par la préfecture au point d'accès national français et la réponse automatique du point d'accès avec le même numéro de référence. Les mentions figurant sur ces accusés de réception édités automatiquement par le réseau de communication électronique " DubliNet ", créé dans le but d'authentifier ces démarches, permettent d'établir que les autorités bulgares ont bien été saisies d'une demande de reprise en charge concernant M. A..., ainsi que la date de leur accord implicite pour cette reprise en charge. Il s'ensuit que le préfet de Lot-et-Garonne a pu légalement, compte tenu de l'existence de cet accord implicite, prononcer le transfert du requérant vers la Bulgarie. Dès lors, le moyen tiré de ce que le préfet n'établit pas avoir requis les autorités bulgares et obtenu leur accord pour reprendre en charge M. A... avant de prendre l'arrêté de transfert en litige doit être écarté.
10. En quatrième lieu, à l'appui de son moyen tiré de ce que le préfet a commis une erreur manifeste d'appréciation en ne faisant pas application de la clause discrétionnaire prévue à l'article 17 du règlement n° 604/2013, permettant à l'Etat requérant de se reconnaitre compétent pour statuer sur la demande d'asile par dérogation aux critères énoncés audit règlement, M. A... ne se prévaut devant la cour d'aucun élément de droit ou de fait nouveau par rapport à son argumentation devant le tribunal administratif. Il y a lieu d'écarter son moyen par adoption des motifs pertinents du premier juge.
Sur les conclusions à fin d'annulation de l'arrêté d'assignation à résidence :
11. A supposer que M. A... ait entendu exciper de l'illégalité de l'arrêté de transfert à l'appui de sa demande d'annulation de l'arrêté l'assignant à résidence, il résulte de tout ce qui précède que cette exception d'illégalité doit être écartée. Dès lors, M. A... n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêté d'assignation à résidence.
12. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37-2 de la loi du 10 juillet 1991 doivent être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : La requête n° 19BX01250 présentée par M. A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A..., à Me E... et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée au préfet du Lot-et-Garonne.
Délibéré après l'audience 15 octobre à laquelle siégeaient :
Mme Elisabeth Jayat, président,
M. D... B..., président-assesseur,
Mme Caroline Gaillard, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 12 novembre 2019.
Le rapporteur,
Frédéric B...Le président,
Elisabeth JayatLe greffier,
Virginie Marty
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 19BX01250