Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 18 avril 2019, Mme A..., représentée par la SCP Breillat-Dieumegard-Masson, demande à la cour :
1°) de lui accorder le bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire ;
2°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Poitiers du 19 mars 2019 ;
3°) d'annuler les arrêtés du préfet de la Vienne du 12 mars 2019 ;
4°) d'enjoindre au préfet de la Vienne d'enregistrer sa demande d'asile dans le délai de quarante-huit heures à compter de l'arrêt à intervenir ou, à défaut, de réexaminer sa situation dans le délai de deux mois à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
5°) de mettre à la charge de l'État une somme de 1 500 euros, à verser à son conseil, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- la décision de transfert est insuffisamment motivée et témoigne d'un défaut d'examen de sa situation et de celle de ses enfants ;
- la décision de transfert contrevient à l'intérêt supérieur de ses deux enfants présents en France à ses côtés, en méconnaissance des articles 6 et 20 du règlement 604/2013 et de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- sa situation justifiait que le préfet mette en oeuvre la procédure prévue par l'article 17 du règlement 604/2013 ; or, celui-ci s'est estimé en situation de compétence liée ;
- elle n'est jamais allée en Italie et n'y a jamais demandé l'asile ;
- la décision de transfert méconnaît les articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales ;
- la décision d'assignation à résidence est illégale en raison de l'illégalité de la décision de transfert ;
- la décision d'assignation à résidence est insuffisamment motivée et témoigne d'un défaut d'examen de sa situation.
Par un mémoire, enregistré le 19 juin 2019, et des pièces complémentaires, enregistrées le 19 septembre 2019, le préfet de la Vienne conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés et produit notamment des pièces indiquant que Mme A... a été déclarée comme étant en fuite et que le délai de transfert a été en conséquence prolongé.
Par ordonnance du 22 mai 2019, la clôture d'instruction a été fixée au 22 juillet 2019 à 12 heures.
Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 18 juillet 2019.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Romain Roussel, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A..., née le 9 janvier 1984, de nationalité marocaine, est entrée en France le 4 juillet 2018 selon ses déclarations et a déposé une demande d'asile. Par arrêté du 12 mars 2019, le préfet de la Vienne a prononcé son transfert aux autorités italiennes responsables de l'examen de sa demande d'asile. Par arrêté du même jour, il l'a assignée à résidence. Mme A... relève appel du jugement du 19 mars 2019 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces arrêtés.
Sur la demande d'aide juridictionnelle provisoire :
2. Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 18 juillet 2019. Dans ces conditions, ses conclusions tendant à ce qu'elle soit admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire sont devenues sans objet.
Sur la décision de transfert aux autorités italiennes :
3. En premier lieu, l'arrêté en litige comporte l'énoncé des motifs de droit et de fait qui en constituent le fondement. Il vise notamment la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, notamment ses articles 3 et 8, ainsi que le règlement UE n° 604/2013 et notamment son article 12. L'arrêté précise les conditions d'entrée en France de Mme A..., en particulier qu'elle était en possession d'un visa délivré par les autorités italiennes, et le fait qu'elle a déposé une demande d'asile en préfecture. Par ailleurs, le préfet de la Gironde précise que l'intéressée est mariée et a deux enfants qui sont en France. Dès lors, le préfet de la Vienne a suffisamment motivé en droit et en fait la décision par laquelle il a décidé son transfert aux autorités italiennes. Par suite, le moyen tiré du défaut de motivation doit être écarté. En outre, il ressort de cette motivation que le préfet de la Vienne s'est livré à un examen complet de la situation personnelle de Mme A..., laquelle, malgré l'invitation en ce sens qui lui a été faite avant l'intervention de l'arrêté en litige, n'a présenté aucune observation.
4. En deuxième lieu, aux termes de l'article 12 du règlement UE n° 604/2013 : " (...) 2. Si le demandeur est titulaire d'un visa en cours de validité, l'État membre qui l'a délivré est responsable de l'examen de la demande de protection internationale (...) ".
5. Il est constant que Mme A... est entrée en France munie d'un visa délivré par les autorités italiennes. Dans ces conditions, compte tenu des dispositions citées au point précédent du 2 de l'article 12 du règlement UE n° 604/2013, la circonstance que Mme A... n'est jamais allée en Italie et n'y a pas déposé de demande d'asile est sans incidence sur la désignation de l'Italie comme pays responsable de l'examen de sa demande d'asile.
6. En troisième lieu, à supposer que Mme A... ait entendu se prévaloir des articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales à l'encontre de l'arrêté en litige, ces moyens ne sont assortis d'aucune précision permettant d'en apprécier le bien-fondé.
7. En quatrième lieu, aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Aux termes de l'article 6 du règlement UE n° 604/2013 : " 1. L'intérêt supérieur de l'enfant est une considération primordiale pour les États membres dans toutes les procédures prévues par le présent règlement (...) / 3. Lorsqu'ils évaluent l'intérêt supérieur de l'enfant, les États membres coopèrent étroitement entre eux et tiennent dûment compte, en particulier, des facteurs suivants : / a) les possibilités de regroupement familial ; b) le bien-être et le développement social du mineur ; c) les considérations tenant à la sûreté et à la sécurité, en particulier lorsque le mineur est susceptible d'être une victime de la traite des êtres humains ; d) l'avis du mineur, en fonction de son âge et de sa maturité (...) ". Aux termes de l'article 20 du même règlement : " (...) 3. Aux fins du présent règlement, la situation du mineur qui accompagne le demandeur et répond à la définition de membre de la famille est indissociable de celle du membre de sa famille et relève de la responsabilité de l'État membre responsable de l'examen de la demande de protection internationale dudit membre de la famille, même si le mineur n'est pas à titre individuel un demandeur, à condition que ce soit dans l'intérêt supérieur du mineur (...) ".
8. Il ressort des pièces du dossier que Mme A... est entrée en France accompagnée par ses deux enfants, âgés de 9 et 6 ans à la date de l'arrêté en litige. Si elle soutient que leur état de sante nécessite des soins en France, les pièces qu'elle produit à cette effet ne permettent d'estimer ni qu'ils seraient dans l'incapacité de voyager sans risque à destination de l'Italie ni qu'ils ne pourraient bénéficier d'un traitement approprié à leur état de santé dans ce pays. En outre, s'ils parlent le français et sont scolarisés en France, rien ne s'oppose, compte tenu de leur âge et du caractère récent de leur arrivée en France, à ce qu'ils poursuivent une scolarité en Italie le temps de l'examen de la demande d'asile de Mme A.... Dans ces conditions, l'arrêté en litige, qui n'a ni pour objet ni pour effet de séparer les enfants de leur mère, n'a méconnu ni l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ni les articles 6 et 20 du règlement UE n° 604/2013.
9. En cinquième lieu, aux termes du 1 de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 : " Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. L'État membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'État membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. Le cas échéant, il en informe, au moyen du réseau de communication électronique " DubliNet " établi au titre de l'article 18 du règlement (CE) n° 1560/2003, l'État membre antérieurement responsable, l'État membre menant une procédure de détermination de l'État membre responsable ou celui qui a été requis aux fins de prise en charge ou de reprise en charge. L'État membre qui devient responsable en application du présent paragraphe l'indique immédiatement dans Eurodac conformément au règlement (UE) n° 603/2013 en ajoutant la date à laquelle la décision d'examiner la demande a été prise. " Il résulte de ces dispositions que la faculté laissée à chaque Etat membre de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.
10. Mme A... n'établit ni même n'allègue être exposée à des traitements inhumains ou dégradants en Italie. Si elle se prévaut de la situation de ses enfants, compte tenu de ce qui a été dit au point 8, le préfet n'a pas entaché la décision en litige d'une erreur manifeste d'appréciation en ne faisant pas application des dispositions précitées de l'article 17-1 du règlement (UE) n° 604/2013.
Sur la décision d'assignation à résidence :
11. En premier lieu, l'arrêté en litige comporte l'énoncé des motifs de droit et de fait qui en constituent le fondement. Il vise notamment la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, notamment ses articles 3 et 8, le règlement UE n° 604/2013, ainsi que les articles du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile applicables à la situation de Mme A.... L'arrêté précise que l'intéressée fait l'objet d'un arrêté de transfert aux autorités italiennes, lesquelles ont donné leur accord pour sa prise en charge, ce qui permet de considérer que le transfert de Mme A... demeure une perspective raisonnable. L'arrêté précise encore que l'intéressée a déclaré une domiciliation. Dès lors, le préfet de la Vienne a suffisamment motivé en droit et en fait la décision par laquelle il a décidé de l'assigner à résidence. Par suite, le moyen tiré du défaut de motivation doit être écarté. En outre, il ressort de cette motivation que le préfet de la Vienne s'est livré à un examen complet de la situation personnelle de Mme A....
12. En second lieu, il résulte de ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à exciper de l'illégalité de la décision de transfert à l'encontre de la décision d'assignation à résidence.
13. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande. Doivent être rejetées, par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et d'astreinte ainsi que celles tendant à l'application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de Mme A... tendant à son admission à l'aide juridictionnelle provisoire.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A..., à la SCP Breillat-Dieumegard-Masson et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée au préfet de la Vienne.
Délibéré après l'audience du 15 octobre 2019 à laquelle siégeaient :
Mme Elisabeth Jayat, président,
M. Frédéric Faïck, président assesseur,
M. Romain Roussel, premier conseiller,
Lu en audience publique, le 12 novembre 2019.
Le rapporteur,
Romain RousselLe président,
Elisabeth JayatLe greffier,
Virginie Marty
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 19BX01641