Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 17 juin 2019, Mme D... B..., représentée par Me C..., demande à la cour :
1°) de réformer ce jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Limoges du 11 janvier 2019 ;
2°) d'annuler les arrêtés du 8 janvier 2019 du préfet de la Haute-Vienne ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- contrairement à ce qu'affirme le jugement, le préfet n'a pas procédé à un examen approfondi de sa situation ; elle avait indiqué avoir des problèmes de santé et ni le préfet ni le tribunal n'ont examiné sa situation en détail notamment au regard de la compatibilité de son état de santé avec un voyage vers l'Espagne ; le préfet n'évoque pas son état de santé, alors qu'en application de l'article 32 du règlement UE n° 604/2013 du 26 juin 2013, l'administration française devait adresser au pays de destination les données concernant sa santé avant l'exécution du transfert ; le préfet ne démontre pas avoir établi un certificat de santé commun comme le prévoit le règlement ;
- la décision prise risque d'entraîner des conséquences graves sur son état de santé dès lors que l'Italie n'a pas été informée de la gravité de son état de santé et de la nécessité des soins à mettre en oeuvre ;
- elle ne peut partir vers l'Espagne car elle ne supportera pas le voyage ; le transfert méconnaît donc l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le préfet a commis des erreurs d'appréciation.
Par un mémoire en production de pièces enregistré le 11 juillet 2019, le préfet de la Haute-Vienne a transmis à la cour des pièces aux termes desquelles Mme B... a été considérée comme étant en situation de fuite justifiant la prolongation du délai de transfert.
Par un mémoire en défense, enregistré le 16 septembre 2019, le préfet de la Haute-Vienne conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- Mme B... est considérée comme en fuite pour s'être volontairement soustraite à la mesure prise ;
- les moyens qu'elle invoque ne sont pas fondés.
Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 16 mai 2019.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention de Genève du 28 juillet 1951 ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le règlement d'exécution (UE) n° 118/2014 de la commission du 30 janvier 2014 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme E... A... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., ressortissante guinéenne, est entrée en France en 2018 selon ses dires et y a déposé une demande d'asile le 18 septembre 2018. Ses empreintes digitales ayant été enregistrées en Espagne, le 18 septembre 2018, les autorités françaises ont saisi d'une demande de prise en charge de Mme B... les autorités espagnoles qui ont donné leur accord implicite le 18 novembre 2018. Par deux arrêtés du 8 janvier 2019, le préfet de la Haute-Vienne a, d'une part, prononcé le transfert de Mme B... aux autorités espagnoles en vue de l'examen de sa demande d'asile et, d'autre part, assigné l'intéressée à résidence dans le département de la Haute-Vienne pour une durée de quarante-cinq jours. Mme B... fait appel du jugement du 11 janvier 2019 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Limoges a rejeté ses demandes tendant à l'annulation de ces deux arrêtés préfectoraux.
2. Il ne résulte d'aucune pièce du dossier, et notamment pas de la motivation des arrêtés contestés, que le préfet n'aurait pas examiné la situation de Mme B... avant de prendre ces arrêtés. Si elle produit un certificat médical daté du 8 janvier 2019, date à laquelle ont été pris les arrêtés préfectoraux qui lui ont été notifiés le même jour à 9h40, elle ne fait état d'aucun élément permettant d'estimer qu'elle aurait porté ce certificat à la connaissance de l'administration avant la prise des arrêtés. Il ne ressort pas davantage des pièces du dossier que Mme B... aurait fait état de troubles de santé auprès de l'administration antérieurement aux arrêtés contestés, le résumé de son entretien individuel du 18 septembre 2018, en particulier, ne comportant aucune mention sur ce point.
3. Aux termes de l'article 31 du règlement susvisé du 26 juin 2013 : " 1. L'État membre procédant au transfert d'un demandeur ou d'une autre personne visée à l'article 18, paragraphe 1, point c) ou d), communique à l'État membre responsable les données à caractère personnel concernant la personne à transférer qui sont adéquates, pertinentes et raisonnables, aux seules fins de s'assurer que les autorités qui sont compétentes conformément au droit national de l'État membre responsable sont en mesure d'apporter une assistance suffisante à cette personne, y compris les soins de santé urgents indispensables à la sauvegarde de ses intérêts essentiels, et de garantir la continuité de la protection et des droits conférés par le présent règlement et par d'autres instruments juridiques pertinents en matière d'asile. Ces données sont communiquées à l'État membre responsable dans un délai raisonnable avant l'exécution d'un transfert, afin que ses autorités compétentes conformément au droit national disposent d'un délai suffisant pour prendre les mesures nécessaires. / 2. L'État membre procédant au transfert transmet à l'État membre responsable les informations qu'il juge indispensables à la protection des droits de la personne à transférer et à la prise en compte de ses besoins particuliers immédiats, dans la mesure où l'autorité compétente conformément au droit national dispose de ces informations, et notamment : / a) les mesures immédiates que l'État membre responsable est tenu de prendre aux fins de s'assurer que les besoins particuliers de la personne à transférer sont adéquatement pris en compte, y compris les soins de santé urgents qui peuvent s'avérer nécessaires ; (...) ". Aux termes de l'article 32 du même règlement : " 1. Aux seules fins de l'administration de soins ou de traitements médicaux, notamment aux personnes handicapées, aux personnes âgées, aux femmes enceintes, aux mineurs et aux personnes ayant été victimes d'actes de torture, de viol ou d'autres formes graves de violence psychologique, physique ou sexuelle, l'État membre procédant au transfert transmet à l'État membre responsable des informations relatives aux besoins particuliers de la personne à transférer, dans la mesure où l'autorité compétente conformément au droit national dispose de ces informations, lesquelles peuvent dans certains cas porter sur l'état de santé physique ou mentale de cette personne. Ces informations sont transmises dans un certificat de santé commun accompagné des documents nécessaires. L'État membre responsable s'assure de la prise en compte adéquate de ces besoins particuliers, notamment lorsque des soins médicaux essentiels sont requis. (...) ".
4. Les dispositions précitées, qui concernent le traitement de la personne transférée une fois le transfert décidé, n'imposent pas que les données sur l'état de santé de l'intéressé soient communiquées aux autorités responsables de la demande d'asile avant l'exécution du transfert. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de ces dispositions est, en lui-même, sans incidence sur la légalité du transfert.
5. Aux termes de l'article 17 du règlement du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, dénommé règlement Dublin III : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement ". Dans son arrêt C-578/16 PPU du 16 février 2017, la Cour de justice de l'Union européenne a interprété le paragraphe 1 de cet article à la lumière de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, aux termes duquel " Nul ne peut être soumis à la torture, ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants " dans le sens que, lorsque le transfert d'un demandeur d'asile présentant une affection mentale ou physique particulièrement grave entraînerait le risque réel et avéré d'une détérioration significative et irrémédiable de son état de santé, ce transfert constituerait un traitement inhumain et dégradant, au sens de cet article. La Cour en a déduit que les autorités de l'Etat membre concerné, y compris ses juridictions, doivent vérifier auprès de l'Etat membre responsable que les soins indispensables seront disponibles à l'arrivée et que le transfert n'entraînera pas, par lui-même, de risque réel d'une aggravation significative et irrémédiable de son état de santé, précisant que, le cas échéant, s'il s'apercevait que l'état de santé du demandeur d'asile concerné ne devait pas s'améliorer à court terme, ou que la suspension pendant une longue durée de la procédure risquait d'aggraver l'état de l'intéressé, l'Etat membre requérant pourrait choisir d'examiner lui-même la demande de celui-ci en faisant usage de la " clause discrétionnaire " prévue à l'article 17, paragraphe 1, du règlement Dublin III.
6. L'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales stipule que : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".
7. Il ne résulte en l'espèce d'aucune pièce du dossier, et notamment pas du certificat médical produit, que Mme B... serait atteinte d'une affection mentale ou physique particulièrement grave et présenterait un risque réel et avéré de détérioration significative et irrémédiable de son état de santé. Il ne ressort pas davantage des pièces du dossier que l'Espagne ne serait pas en capacité de proposer les soins que peut nécessiter l'état de santé de Mme B... qui n'apporte, au demeurant, aucune précision permettant d'estimer qu'elle suit un traitement médical. Les éléments produits ne permettent pas davantage de regarder Mme B... comme ne pouvant voyager vers d'Espagne en raison de son état de santé. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance des dispositions et stipulations précitées aux points 5 et 6 ci-dessus doivent être écartés.
8. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif a rejeté ses demandes. Sa requête d'appel doit, par suite, être rejetée, y compris ses conclusions en injonction et celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
DECIDE :
Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... B..., à Me C... et au ministre de l'intérieur. Une copie en sera adressée au préfet de la Haute-Vienne.
Délibéré après l'audience du 15 octobre 2019 à laquelle siégeaient :
Mme E... A..., président,
M. Frédéric Faïck, premier conseiller,
Mme Caroline Gaillard, premier conseiller,
Lu en audience publique, le 12 novembre 2019
Le président-assesseur,
Frédéric Faïck Le président-rapporteur,
Elisabeth A...
Le greffier,
Virginie Marty
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N°19BX02408 2