Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 4 juin 2020, M. D..., représenté par Me A..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulouse du 9 mars 2020 ;
2) d'annuler l'arrêté de la préfète de l'Aveyron du 20 janvier 2020 ;
3°) d'enjoindre à la préfète de l'Aveyron de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans le délai de quinze jours suivant la notification de la décision à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour de retard et de procéder au réexamen de sa situation administrative ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement, à son conseil, de la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Il soutient, en ce qui concerne la régularité du jugement, que :
- il est entaché d'une omission à statuer dès lors qu'il ne répond pas au moyen tiré du défaut de base légale de la décision fixant le pays de renvoi du fait de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français sur laquelle elle se fonde ;
- il est entaché d'une omission à statuer dès lors qu'il ne répond pas au moyen tiré du défaut de base légale de la décision portant application de l'article L. 513-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile du fait de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français sur laquelle elle se fonde.
Il soutient, en ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français, que :
- elle est entachée d'un défaut de motivation en fait ;
- elle est entachée d'un défaut d'examen réel et sérieux de sa situation ;
- elle est entachée d'un vice de procédure dès lors qu'elle a été prise au terme d'une procédure irrégulière faute de saisine pour avis du collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) ;
- elle est entachée d'une erreur de droit au regard de l'article L. 511-4-10 ° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et d'une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de cette décision sur sa situation personnelle en ce qu'il justifie avoir besoin d'une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité ainsi que l'a relevé le collège de médecins de l'OFII dans son avis du 13 mars 2019 ; de plus, il ne pourrait avoir accès au traitement médical que son état de santé requiert en cas de retour en Albanie.
Il soutient, en ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi, que :
- elle est entachée d'un défaut de motivation en raison de l'absence d'indication des risques encourus en cas de retour dans son pays d'origine, qui n'est de plus pas mentionné ;
- elle est dépourvue de base légale dès lors que la décision portant obligation de quitter le territoire français est illégale ;
- elle porte atteinte à son droit de ne pas être soumis à des traitements inhumains et dégradants, en méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en ce qu'il encourt des risques en cas de retour en Albanie en raison de son état de santé ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de sa situation et des conséquences qu'elle emporte sur sa situation personnelle ;
Il soutient, en ce qui concerne la décision portant application de l'article L. 513-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que :
- elle est entachée d'un défaut de motivation en fait dès lors que l'application de ces dispositions n'est qu'une faculté pour le préfet et que celui-ci n'a pas exposé les motifs pour lesquels il en faisait usage ;
- elle est dépourvue de base légale en raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français.
Par un mémoire en défense, enregistré le 6 novembre 2020, la préfète de l'Aveyron conclut au rejet de la requête.
Elle fait valoir que les moyens soulevés par M. D... ne sont pas fondés.
M. D... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision n° 2020/006265 du 6 mai 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. E... B... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. D..., ressortissant albanais né le 6 mars 1988, est entré en France le 7 janvier 2018 et a sollicité l'asile. Sa demande a été rejetée par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) qui lui a été notifiée le 3 avril 2018. Il a ensuite fait l'objet, le 30 novembre 2018, d'un arrêté de la préfète de l'Aveyron portant refus d'admission au séjour et obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours suivi, le 22 février 2019, d'un arrêté de placement en rétention administrative. Lors de ce placement en rétention, le médecin du centre de rétention a décidé de saisir le médecin de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) et, à la suite de l'avis rendu le 13 mars 2019 par le collège de médecins, M. D... a été muni d'une autorisation provisoire de séjour d'une durée de six mois valable jusqu'au 12 septembre 2019. Le 9 avril 2019, M. D... a demandé le réexamen de sa demande d'asile qui a été rejetée dans le cadre de la procédure accélérée par une décision de l'OFPRA notifiée le 23 décembre 2019. A la suite de cette décision, la préfète de l'Aveyron a pris à l'encontre de M. D... un arrêté du 20 janvier 2020 portant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, désignation du pays de renvoi et obligation de se présenter trois fois par semaine au commissariat de police pour y faire connaître ses diligences pour l'organisation de son départ. M. D... relève appel du jugement du 9 mars 2020 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 20 janvier 2020.
Sur les conclusions aux fins d'annulation :
2. Aux termes de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent pas faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français : / (...) 10° L'étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié (...) ". L'article R. 511-1 du même code dispose que : " L'état de santé défini au 10° de l'article L. 511-4 est constaté au vu d'un avis émis par un collège de médecins à compétence nationale de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (...) ".
3. Il résulte des dispositions précitées du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que, dès lors qu'il dispose d'éléments d'information suffisamment précis permettant d'établir qu'un étranger, résidant habituellement en France, présente un état de santé susceptible de le faire entrer dans la catégorie des étrangers qui ne peuvent faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français, le préfet doit, lorsqu'il envisage de prendre une telle mesure à son égard, et alors même que l'intéressé n'a pas sollicité le bénéfice d'une prise en charge médicale en France, recueillir préalablement l'avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration.
4. Ainsi qu'il a été dit, lors du placement en rétention de M. D..., le médecin du centre de rétention administrative a saisi le collège de médecins de l'OFII pour avis sur l'état de santé de l'intéressé. Par un avis du 13 mars 2019, le collège de médecins de l'OFII a estimé que l'état de santé de M. D... nécessite une prise en charge médicale dont le défaut peut entrainer des conséquences d'une exceptionnelle gravité et que, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé de son pays d'origine, il ne peut y bénéficier d'un traitement approprié. A la suite de cet avis, la préfète de l'Aveyron a délivré à M. D... une autorisation provisoire de séjour d'une durée de six mois valable jusqu'au 12 septembre 2019. Si la préfète de l'Aveyron a précisé, dans l'arrêté en litige du 20 janvier 2020, que M. D... n'a apporté depuis aucun élément établissant que sa situation ne se serait pas améliorée au point qu'une absence de prise en charge de son état de santé entraînerait toujours des conséquences d'une exceptionnelle gravité, il ressort des pièces du dossier qu'elle ne s'est appuyée sur aucun nouvel élément de nature à contredire l'avis rendu le 13 mars 2019 par le collège de médecins. Au contraire, les certificats médicaux établis les 20 janvier et 4 février 2020 par le médecin du service des maladies infectieuses et tropicales du centre hospitalier de Rodez indiquent que l'hépatite C chronique dont souffre M. D... nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entrainer pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité. Dans ces circonstances, la préfète ne pouvait prendre à l'encontre du requérant la mesure d'éloignement en litige sans solliciter un nouvel avis du collège des médecins de l'OFII. En s'abstenant de recueillir cet avis, la préfète de l'Aveyron a commis un vice de procédure qui a privé M. D... d'une garantie et été susceptible d'exercer une influence sur le sens de la décision en litige. M. D... est, par suite, fondé à demander l'annulation de l'obligation de quitter le territoire français en litige ainsi que, par voie de conséquence, l'annulation de la décision fixant le pays de destination et de la décision l'astreignant à se présenter au commissariat de police.
5. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner la régularité du jugement attaqué ni de se prononcer sur les autres moyens soulevés, que M. D... est fondé à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné du tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande. Ce jugement doit être annulé ainsi que l'arrêté en litige.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
6. Le moyen d'annulation d'ordre procédural retenu par la présente décision, seul fondé en l'état du dossier, implique, conformément à l'article L. 512-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que la préfète de l'Aveyron procède au réexamen de la situation de M. D... et lui délivre une autorisation provisoire de séjour jusqu'à ce qu'elle ait à nouveau statué sur son cas, sans qu'il soit besoin d'assortir cette mesure d'une astreinte.
Sur les conclusions tendant à l'application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
7. M. D... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle. Son avocat peut donc se prévaloir des dispositions des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me A..., avocat de M. D..., de la somme de 1 200 euros, ce versement entrainant renonciation de la part de l'avocat à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2000556 du 9 mars 2020 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse et l'arrêté de la préfète de l'Aveyron du 20 janvier 2020 portant obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours, fixant le pays de renvoi et obligation de présentation au commissariat de police, sont annulés.
Article 2 : Il est prescrit à la préfète de l'Aveyron de réexaminer le droit au séjour de M. D..., et dans l'attente, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour.
Article 3 : L'Etat versera à Me A... la somme de 1 200 euros par application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... D..., à Me A..., au ministre de l'intérieur et à la préfète de l'Aveyron.
Délibéré après l'audience du 26 janvier 2021 à laquelle siégeaient :
Mme Elisabeth Jayat, président,
M. E... B..., premier conseiller,
Mme Caroline Gaillard, premier conseiller,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 février 2021.
Le président,
Elisabeth Jayat
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 20BX01845