Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 22 juillet 2020, le préfet de la Guadeloupe demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de la Guadeloupe du 16 juin 2020 ;
2°) de sursoir à l'exécution de ce jugement ;
3°) de rejeter la demande de Mme A....
Il soutient que :
- il soulève des moyens sérieux au sens de l'article R. 811-15 du code de justice administrative pour obtenir le sursis à exécution du jugement ;
- c'est à tort que les premiers juges ont estimé que l'arrêté contesté avait méconnu les dispositions qui régissent la qualité de parent d'enfant français ; l'intéressée ne justifie pas d'une vie commune avec l'auteur de la reconnaissance de paternité de sa fille ni qu'il participe à l'entretien et à l'éducation de son enfant ;
- les autres moyens soulevés par Mme A... devant le tribunal administratif ne sont pas fondés.
La requête du préfet de la Guadeloupe a été communiquée à Mme A..., qui n'a pas présenté de mémoire en défense.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative et le décret n°2020-1406 du 18 novembre 2020.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme B... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A..., née le 17 avril 1987, de nationalité haïtienne, a déclaré être entrée en France au mois de février 2014. Le 2 juin 2014, elle a présenté une demande d'asile qui a été rejetée par décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 31 mars 2015. Son recours contre cette décision a été rejeté par la Cour nationale du droit d'asile le 24 septembre 2015 par une décision notifiée le 2 octobre 2015. Interpelée le 15 octobre 2019 à Pointe-à-Pitre, Mme A... a fait l'objet, le même jour, d'un arrêté par lequel le préfet de la Guadeloupe l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination et l'a assignée à résidence.
2. Saisi par Mme A..., le tribunal administratif de la Guadeloupe a prononcé l'annulation de cet arrêté préfectoral du 15 octobre 2019 aux motifs que l'intéressée peut se prévaloir d'un droit à un titre de séjour en qualité de parent d'enfant français en application du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et que l'arrêté aurait pour effet de la séparer de son enfant français né le 19 novembre 2014. Le préfet de la Guadeloupe, par la présente requête, fait appel de ce jugement et demande qu'il soit annulé et qu'il soit sursis à son exécution.
3. Par ordonnance du 10 août 2020, il a été statué sur les conclusions aux fins de sursis à exécution, dans le cadre de l'instance n° 20BX02268, en conséquence, il n'y a lieu, dans la présente instance, de ne statuer que sur les conclusions d'appel au fond.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
4. Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile seul invoqué par Mme A... en première instance : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" est délivrée de plein droit : / (...) / 6° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à la condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans, sans que la condition prévue à l'article L. 313-2 soit exigée (...).
5. Lorsque la loi prescrit qu'un étranger doit se voir attribuer de plein droit un titre de séjour, cette circonstance fait obstacle à ce qu'il puisse légalement être l'objet d'une mesure d'éloignement.
6. Si un acte de droit privé opposable aux tiers est en principe opposable dans les mêmes conditions à l'administration tant qu'il n'a pas été déclaré nul par le juge judiciaire, il appartient cependant à l'administration, lorsque se révèle une fraude commise en vue d'obtenir l'application de dispositions de droit public, d'y faire échec même dans le cas où cette fraude revêt la forme d'un acte de droit privé. Ce principe peut conduire l'administration, qui doit exercer ses compétences sans pouvoir renvoyer une question préjudicielle à l'autorité judiciaire, à ne pas tenir compte, dans l'exercice de ces compétences, d'actes de droit privé opposables aux tiers. Tel est le cas pour la mise en oeuvre des dispositions du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui n'ont pas entendu écarter l'application des principes ci-dessus rappelés. Par conséquent, si la reconnaissance d'un enfant est opposable aux tiers, en tant qu'elle établit un lien de filiation et, le cas échéant, en tant qu'elle permet l'acquisition par l'enfant de la nationalité française, dès lors que cette reconnaissance a été effectuée conformément aux conditions prévues par le code civil et s'impose donc en principe à l'administration tant qu'une action en contestation de filiation n'a pas abouti, il appartient néanmoins au préfet, s'il est établi, lors de l'examen d'une demande de titre de séjour présentée sur le fondement du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que la reconnaissance de paternité a été souscrite dans le but de faciliter l'obtention de la nationalité française ou d'un titre de séjour, de faire échec à cette fraude et de refuser, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, tant que la prescription prévue par les articles 321 et 335 du code civil n'est pas acquise, la délivrance de la carte de séjour temporaire sollicitée par la personne se présentant comme père ou mère d'un enfant français.
7. Il ressort des pièces du dossier que Mme A... a donné naissance aux Abymes, le 19 novembre 2014, à une fille nommée Lorana, qui a été reconnue le 31 mars 2016 par M. C..., de nationalité française. Le préfet de la Guadeloupe qui, dans son arrêté a estimé que Mme A... n'établissait pas être la mère d'un enfant français, a soutenu devant le tribunal, comme il le fait devant la cour, que la reconnaissance de paternité dont l'intéressée fait état avait pour but exclusif de permettre à Mme A... d'obtenir de manière frauduleuse un titre de séjour en qualité de parent d'enfant français. Toutefois, si Mme A... ne justifie pas d'une vie commune avec ce ressortissant français ni que celui-ci participe à l'éducation et à l'entretien de l'enfant, il n'en demeure pas moins que les déclarations qu'elle a faites lors de son audition, après son arrestation par les services de police le 14 octobre 2019, mentionnant notamment son arrivée en France le 2 février 2014, ne traduisent pas une impossibilité matérielle quant à la conception de l'enfant, quand bien même il n'y a jamais eu de communauté de vie. Ainsi, si la fiche telemofpra produite par le préfet mentionne l'arrivée de Mme A... sur le territoire en avril 2014 et la présence des deux premiers enfants de Mme A... en Haïti, ces circonstances, en l'absence notamment de toute enquête diligentée pour reconnaissance frauduleuse de paternité, ne permettent pas à elles seules de contredire les éléments résultant du procès-verbal d'audition sur sa date d'arrivée en France. Au demeurant, la paternité de M. C... ne serait pas incompatible avec une arrivée en France de Mme A... au mois d'avril 2014. Dans ces conditions, ces seules circonstances ne peuvent pas suffire à démontrer que la reconnaissance serait frauduleuse, alors d'ailleurs ainsi qu'il a été dit, qu'aucune plainte n'a été déposée par le préfet auprès du parquet. Par suite, il n'est pas établi que la reconnaissance de paternité effectuée par M. C..., même si elle a été faite deux ans après la naissance de l'enfant, serait frauduleuse. La délivrance de plein droit d'un titre de séjour en application des dispositions précitées de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile n'étant pas subordonnée à la démonstration, par le parent étranger, de la participation de l'autre parent à l'éducation et à l'entretien de l'enfant, Mme A..., dont il n'est pas contesté qu'elle assume l'entretien et l'éducation de son enfant, doit être ainsi regardée comme justifiant remplir les conditions prévues par ces dispositions.
8. Par suite, le préfet de la Guadeloupe n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Guadeloupe a annulé la décision contestée portant obligation de quitter le territoire français ainsi que, par voie de conséquence, la décision fixant le pays de destination, au motif que Mme A... justifiait remplir les conditions de délivrance de plein droit d'un titre de séjour en application des dispositions de l'article L. 313-11 6° du code précité et ne pouvait donc être éloignée.
DECIDE :
Article 1er : La requête du préfet de la Guadeloupe est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... A... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de la Guadeloupe.
Délibéré après l'audience du 26 janvier 2021 à laquelle siégeaient :
Mme Elisabeth Jayat, président,
M. Frédéric Faïck, président-assesseur,
Mme Caroline B..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 février 2021.
Le président,
Elisabeth Jayat
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 20BX02269