Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 15 avril 2019, M. B... D..., représenté par Me A..., demande à la cour:
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Limoges du 13 décembre 2018 ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet des Bouches-du-Rhône du 1er mars 2018 ;
3°) d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône de lui délivrer un titre de séjour dans le délai de vingt jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 200 euros par jour de retard et, à défaut, de procéder à un nouvel examen de sa situation ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros à verser à son conseil en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
En ce qui concerne la décision portant refus de titre de séjour :
- elle méconnaît les stipulations du 7) de l'article 6 de l'accord franco-algérien et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation quant aux conséquences du défaut de prise en charge sur sa situation personnelle caractérisée par un état d'extrême vulnérabilité et de handicap ;
- le défaut de prise en charge médicale aurait des conséquences d'une exceptionnelle gravité sur son état de santé dont le suivi n'est pas possible en Algérie.
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :
- elle est dépourvue de base légale en raison de l'illégalité de la décision portant refus de titre de séjour ;
- est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
En ce qui concerne la décision portant fixation du pays de destination :
- elle est dépourvue de base légale en raison de l'illégalité de la décision portant refus de titre de séjour.
Par un mémoire en défense, enregistré le 27 août 2019, le préfet des Bouches-du-Rhône conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'il y a lieu, par adoption des motifs retenus par le tribunal administratif de Limoges, d'écarter l'ensemble des moyens invoqués en appel.
Par une ordonnance du 27 août 2019, la clôture d'instruction a été fixée au 27 septembre 2019 à 12 h 00.
Par une décision en date du 20 mars 2019, M. D... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord franco-algérien modifié du 27 décembre 1968 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République algérienne démocratique et populaire relatif à la circulation, à l'emploi et au séjour des ressortissants algériens et de leurs familles ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme E... C... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. D..., ressortissant algérien né le 11 novembre 1967, est entré en France le 10 juin 2013 selon ses déclarations. Sa demande d'asile a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 24 janvier 2014 puis par la Cour nationale du droit d'asile le 3 mars 2015. Le 30 mars 2015, il a sollicité son admission au séjour en qualité d'étranger malade. Par arrêté du 16 octobre 2015, le préfet de la Haute-Garonne a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. Par un arrêt du 10 octobre 2016, la présente cour a confirmé le jugement du tribunal administratif de Toulouse du 13 avril 2016 qui avait rejeté la demande de M. D... tendant à l'annulation de cet arrêté. Le 23 mai 2017, M. D... a de nouveau sollicité la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement du 7) de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968. Par arrêté du 1er mars 2018, le préfet des Bouches-du-Rhône a refusé de faire droit à sa demande, l'a obligé à quitter le territoire dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. M. D... relève appel du jugement du 13 décembre 2018 par lequel le tribunal administratif de Limoges a rejeté la demande d'annulation de cet arrêté.
Sur la légalité de l'arrêté du 1er mars 2018 :
2. Aux termes de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 relatif à la circulation, à l'emploi et au séjour en France des ressortissants algérien et de leurs familles : " Le certificat de résidence d'un an portant la mention "vie privée et familiale" est délivré de plein droit : / (...) 7) au ressortissant algérien, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve qu'il ne puisse pas effectivement bénéficier d'un traitement approprié dans son pays (...) ". Aux termes de l'article R. 313-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dont les dispositions de procédure s'appliquent aux demandes présentées par les ressortissants algériens sur le fondement des stipulations précitées : " Pour l'application du 11° de l'article L. 313-11, le préfet délivre la carte de séjour au vu d'un avis émis par un collège de médecins à compétence nationale de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. / L'avis est émis dans les conditions fixées par arrêté du ministre chargé de l'immigration et du ministre chargé de la santé au vu, d'une part, d'un rapport médical établi par un médecin de l'Office français de l'immigration et de l'intégration et, d'autre part, des informations disponibles sur les possibilités de bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans le pays d'origine de l'intéressé.(...) ". L'article R. 313-23 du même code dispose que : " Le rapport médical mentionné à l'article R. 313-22 est établi par un médecin de l'Office français de l'immigration et de l'intégration à partir d'un certificat médical établi par le médecin qui suit habituellement le demandeur ou par un médecin praticien hospitalier inscrits au tableau de l'ordre, dans les conditions prévues par l'arrêté mentionné au deuxième alinéa de l'article R. 313-22. (...)./.Sous couvert du directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration le service médical de l'office informe le préfet qu'il a transmis au collège de médecins le rapport médical. (...)./.Le collège à compétence nationale, composé de trois médecins, émet un avis dans les conditions de l'arrêté mentionné au premier alinéa du présent article. La composition du collège et, le cas échéant, de ses formations est fixée par décision du directeur général de l'office. Le médecin ayant établi le rapport médical ne siège pas au sein du collège (...)./.L'avis est transmis au préfet territorialement compétent, sous couvert du directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration ". En vertu de l'article 6 de l'arrêté du 27 décembre 2016, le collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration désigné afin d'émettre un avis doit préciser : " a) si l'état de santé de l'étranger nécessite ou non une prise en charge médicale ; b) si le défaut de cette prise en charge peut ou non entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité sur son état de santé ; c) si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont le ressortissant étranger est originaire, il pourrait ou non y bénéficier effectivement d'un traitement approprié (...) ".
3. Il appartient à l'autorité administrative, lorsqu'elle envisage de refuser la délivrance d'un titre de séjour à un étranger qui en fait la demande au titre des stipulations du 7) de l'article 6 de l'accord franco-algérien, de vérifier, au vu de l'avis émis par le médecin mentionné à l'article R. 313-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que cette décision ne peut avoir de conséquences d'une exceptionnelle gravité sur l'état de santé de l'intéressé et, en particulier, d'apprécier, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, la nature et la gravité des risques qu'entraînerait un défaut de prise en charge médicale dans le pays dont l'étranger est originaire. Lorsque le défaut de prise en charge risque d'avoir des conséquences d'une exceptionnelle gravité sur la santé de l'intéressé, l'autorité administrative ne peut légalement refuser le titre de séjour sollicité que s'il existe des possibilités de traitement approprié de l'affection en cause dans son pays d'origine. Si de telles possibilités existent mais que l'étranger fait valoir qu'il ne peut pas en bénéficier, soit parce qu'elles ne sont pas accessibles à la généralité de la population, eu égard notamment au coût du traitement ou à l'absence de mode de prise en charge adapté, soit parce qu'en dépit de leur accessibilité, des circonstances exceptionnelles tirées des particularités de sa situation personnelle l'empêcheraient d'y accéder effectivement, il appartient à cette même autorité, au vu de l'ensemble des informations dont elle dispose, d'apprécier si l'intéressé peut ou non bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans son pays d'origine.
4. Le collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration a estimé, dans son avis en date du 24 janvier 2018, que l'état de santé de M. D... nécessite une prise en charge médicale dont le défaut ne devrait pas entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité et indique que son état de santé lui permet de voyager sans risque vers son pays d'origine. Il ressort des pièces du dossier que M. D... est atteint d'un diabète insulino-dépendant, du " syndrome de la queue de cheval " provoquant des infections urinaires à répétition et nécessitant des déplacements en fauteuil roulant, de troubles psychologiques et qu'il est porteur d'un neuro-stimulateur médullaire c'est-à-dire d'une sonde de stimulation de la moelle épinière. Pour contester l'avis du collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, M. D... produit en appel plusieurs certificats médicaux qui, s'ils sont postérieurs à l'arrêté contesté, révèlent un état de santé lui préexistant. Il ressort de l'un d'entre eux, établi le 28 décembre 2018 par le docteur Martine, spécialiste en rhumatologie, que la neuro-modulation médullaire posée à M. D... en 2016 " doit être contrôlée au moins une fois par an sous peine de défaillances techniques ayant des conséquences d'une gravité extrême pour le patient " et que si les " auto-sondages à réaliser pluri-quotidiennement " ne l'étaient pas " dans des conditions correctes ", ce patient aurait " un risque infectieux gravissime pouvant conduire au décès. (...) ". L'importance des auto-sondages dont l'arrêt pourrait provoquer " des infections graves " est par ailleurs relevée dans un certificat médical établi le 19 décembre 2018 par le docteur Vidal, médecin généraliste, qui fait mention, dans un certificat médical daté du 28 septembre 2018, " d'une répercussion grave voire extrême " en cas d'absence ou de négligence de soins. Il ressort, en outre, de deux certificats médicaux établis les 26 mars 2018 et 17 octobre 2018 par le docteur Malek, psychiatre, que M. D... souffre d'un trouble dépressif caractérisé depuis octobre 2017 avec verbalisation d'idées auto-agressives et qu'" un défaut de prise en charge psychiatrique (...) et un défaut de prise en charge médicamenteuse peut entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité chez ce patient fragilisé par les pathologies somatiques (...) ". Ces éléments sont de nature infirmer l'avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. Dès lors, le préfet des Bouches-du Rhône ne pouvait, sans méconnaître les stipulations du 7) de l'article 6 de l'accord franco-algérien, rejeter la demande de titre de séjour présentée par M. D....
5. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. D... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du préfet des Bouches-du-Rhône du 1er mars 2018.
Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :
6. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. ".
7. Eu égard au motif d'annulation retenu, l'exécution du présent arrêt implique seulement que le préfet des Bouches-du Rhône réexamine la situation de M. D.... Il est enjoint au préfet des Bouches-du Rhône d'y procéder dans un délai de deux mois suivant la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les conclusions tendant à l'application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros au titre des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, à verser à Me A..., conseil de M. D..., bénéficiaire de l'aide juridique, sous réserve que Me A... renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1801501 du 13 décembre 2018 du tribunal administratif de Limoges et l'arrêté du préfet des Bouches-du-Rhône du 1er mars 2018 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet des Bouches-du-Rhône de réexaminer la situation de M. D... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera une somme de 1 200 euros à Me A... sous réserve qu'elle renonce à percevoir la part contributive de l'Etat, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. D... est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. D..., au ministre de l'intérieur et à Me A.... Copie en sera adressée au préfet des Bouches-du-Rhône.
Délibéré après l'audience du 7 octobre 2019, à laquelle siégeaient :
M. Pierre Larroumec, président,
Mme E... C..., présidente-assesseure,
M. Paul-André Braud, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 4 novembre 2019.
Le rapporteur,
Karine C...Le président,
Pierre Larroumec
Le greffier,
Cindy Virin
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N° 19BX01600 4