Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 8 juillet 2019, M. J..., représenté par
Me G..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Poitiers et la décision du
20 décembre 2016 par laquelle le président du conseil départemental des Deux-Sèvres a rejeté sa demande du 18 octobre 2016 tendant au retrait de son dossier administratif de la pièce
n° 379 ;
2°) d'enjoindre à cette autorité territoriale de procéder à ce retrait dans le délai de
8 jours à compter de la notification de la décision à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
3°) de mettre à la charge du département des Deux-Sèvres la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, la compétence du signataire de la décision attaquée n'est pas établie ; l'arrêté de délégation de signature du 7 avril 2016 organise des délégations simultanées dans un même champ de compétences générales, alors qu'aucun ordre d'intervention n'est défini parmi les délégataires désignés ; en conséquence,
M. F..., signataire de la décision en litige, ne pouvait valablement signer ce document ; en outre, la délégation de signature est trop générale et emporte un recoupement des matières déléguées ;
- par ailleurs, il n'est nullement établi que les formalités de publicité prévues aux articles L. 3131-1 et L. 3131-2 du code général des collectivités territoriales aient été effectivement réalisées à la date d'édiction de la décision dès lors qu'il n'est pas démontré que l'agent qui a établi la certification du caractère exécutoire de l'acte, Mme I..., ait été régulièrement habilité pour ce faire au nom et pour le compte du président du conseil départemental ; de plus, les mentions du certificat sont dépourvues de valeur probante dès lors qu'elles contiennent des informations contradictoires ; au total, les prescriptions de l'article L. 3131-1 du code général des collectivités territoriales n'ont pas été respectées ;
- c'est à tort que les premiers juges ont considéré que le message électronique en litige pouvait légalement figurer dans son dossier ; les faits qui y sont rapportés sont matériellement inexacts et ne peuvent d'aucune manière " s'inscrire dans le cadre des relations que l'employeur public est amené à entretenir avec l'un de ses agents " ; enfin, leur qualification juridique ne correspond nullement à l'objectif d'insérer au dossier de l'agent " les documents nécessaires à la gestion administrative de la carrière de l'intéressé " au sens de l'article 18 de la loi du 13 juillet 1983 ;
- en outre, les propos portés à son encontre sont qualifiables pénalement, le code pénal réprimant l'injure et la diffamation ainsi que la dénonciation calomnieuse ; en conservant dans son dossier des éléments constitutifs d'une infraction pénale, l'administration pénale se rend coupable de recel ;
- en toute hypothèse, les propos de M. H... à son encontre, qui brossent de lui un portrait psychologique déplaisant n'intéressent en rien sa situation administrative ; il s'agit du sentiment purement subjectif d'un supérieur hiérarchique, des affirmations personnelles, qui ne sont ni étayées ni corroborées d'aucun élément objectif ;
- de surcroît, M. H... porte une appréciation sur sa psychologie qui relève du champ médical, ce qu'il ne pouvait faire en violation de l'article 8 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique et aux libertés, qui interdit la collecte des données à caractère personnel relatives à la santé ; ce diagnostic médical porté par quelqu'un qui n'avait pas compétence pour ce faire viole également les articles L. 1111-7 et L. 1111-8 du code de la santé publique, ses articles R. 4127-102 et 104, et encore l'article L. 4624-8 du code du travail, ainsi que l'article 11-2 du décret n° 85-603 du 10 juin 1985 garantissant le principe d'indépendance du médecin de prévention ; or, par ce courriel, M. H... a porté atteinte à ce principe d'indépendance ;
- pour ces raisons, il est entaché d'un détournement de pouvoir ;
- ce courriel caractérise une volonté de lui nuire et s 'apparente à un harcèlement moral au sens de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 ;
- contrairement encore à ce qu'ont estimé les premiers juges, l'insertion de ce document dans son dossier est une mesure prise en considération de la personne, qui nécessitait une saisine de la CAP, qui constitue une garantie fondamentale ; en outre, en vertu de l'article 65 de la loi du 22 avril 1905, toute mesure de cette nature, qu'elle soit justifiée ou non par l'intérêt du service, ne peut intervenir sans que l'agent ait été mis à même d'obtenir la communication de son dossier ; or, il n'a pas été mis à même de présenter ses observations avant l'insertion de cette pièce dans son dossier ; la décision est donc à tout le moins entachée d'un vice de procédure.
Par un mémoire en défense, enregistré le 30 décembre 2019, le département des Deux-Sèvres, représenté par Me B..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de M. J... la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens soulevés par M. J... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- la loi n°83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n°84-53 du 26 janvier 1984 ;
- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme L...,
- les conclusions de M. Axel Basset, rapporteur public,
- et les observations de Me B..., représentant le département des Deux-Sèvres.
Considérant ce qui suit :
1. M. K... J..., réintégré le 13 février 2009 au grade de directeur territorial dans les services du département des Deux-Sèvres, où il occupait des fonctions de chargé de mission, a sollicité, par courrier du 18 octobre 2016, le retrait de son dossier administratif de la pièce n° 379 consistant en un message électronique adressé le 21 juin 2016 par le directeur général adjoint des services départementaux en charge du pôle des ressources et des moyens, auquel le poste de chargé de mission occupé par l'intéressé était rattaché, à
M. A..., ingénieur de prévention, responsable du service " santé et vie au travail ".
M. J... fait appel du jugement du tribunal administratif de Poitiers du 7 mai 2019, qui a rejeté son recours tendant à l'annulation de la décision du 20 décembre 2016 par laquelle le président du conseil départemental a rejeté sa demande de retrait du courriel précité du
21 juin 2016 de son dossier administratif.
Sur les conclusions à fin d'annulation de la décision de refus de retrait de son dossier de la pièce n° 379 :
2. En premier lieu, d'une part, il y a lieu d'adopter le motif pertinemment retenu par les premiers juges pour écarter le moyen tiré de l'incompétence du signataire de la décision attaquée, M. D... F..., directeur général des services, qui disposait d'une délégation de signature qui n'était ni générale ni imprécise. D'autre part, le moyen, nouveau en appel, tiré de l'incompétence de Mme I... à signer l'attestation portant certification exécutoire de l'arrêté n° 2016-196 du 7 avril 2016 relatif aux délégations de signature de la direction générale des services, et de la violation qui en découlerait de l'article L. 3131-1 du code général des collectivités territoriales, doit être écarté comme inopérant, Mme I... n'étant pas la signataire dudit document.
3. En deuxième lieu, aux termes de l'article 18 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Le dossier du fonctionnaire doit comporter toutes les pièces intéressant la situation administrative de l'intéressé, enregistrées, numérotées et classées sans discontinuité. Il ne peut être fait état, dans le dossier d'un fonctionnaire, de même que dans tout document administratif, des opinions ou des activités politiques, syndicales, religieuses ou philosophiques de l'intéressé (...) ". Il résulte de ces dispositions que le dossier individuel du fonctionnaire ne peut légalement comporter que des documents nécessaires à la gestion administrative de la carrière de l'intéressé.
4. Il ressort des pièces du dossier que, le 1er juin 2016, le Dr Julinet, médecin de prévention, a adressé à M. H..., directeur général de l'administration et supérieur hiérarchique de M. J..., un courrier mentionnant que celui-ci se plaignait, notamment, d'une " charge de travail globalement insuffisante avec sous-utilisation de ses compétences professionnelles " et préconisant " dans l'intérêt de la santé de M. J..., que celui-ci puisse se voir attribuer une mission sur la durée (...) ". Le courriel du 21 juin 2016, dont
M. J... demande le retrait de son dossier, intitulé " situation de M. J... ", a été adressé par M. H... à M. A..., chef du service de la médecine préventive en réponse à ce courrier du 1er juin 2016. M. H..., d'une part, relève que le contenu du courrier du
Dr Julinet a été rédigé en prenant en compte les seuls propos de M. J..., sans consultation ni échange préalable avec son supérieur hiérarchique, plusieurs éléments lui apparaissant erronés et devant être à ce titre précisés ou rectifiés notamment en ce qui concerne les missions actuelles de l'intéressé, lesquelles portent sur l'application et le suivi de la mise en oeuvre de la loi " NOTRe " du 7 août 2015, travail qui est " loin d'être abouti ", ce sujet ne constituant pas la seule mission qui lui a été confiée, puisqu'il a été également missionné pour envisager les opportunités de mutualisation avec les satellites de la collectivité, notamment le SDIS. D'autre part, il informe M. A... de sa crainte que " la personnalité complexe de M. J... et les relations pour le moins délicates qu'il entretient historiquement avec la collectivité ne le poussent à être dans un rapport de manipulation avec la médecine de prévention ", M. H... concluant qu'il restait " disponible pour tous échanges à ce sujet " avec le médecin de prévention.
5. Ainsi, ce courriel contient seulement des observations se rapportant à la situation administrative de M. J..., aux missions qui lui ont été confiées, aux conditions d'exercice de ses fonctions et à sa manière de servir, M. H... ayant exercé son pouvoir d'appréciation hiérarchique, sans en excéder l'exercice normal. Si le requérant fait valoir qu'il est fondé sur des faits matériellement inexacts, il ne l'établit pas, alors qu'il ressort des pièces du dossier, d'une part, que le comportement de l'intéressé envers sa hiérarchie et certains de ses collègues lui a valu, en 2004, l'édiction d'une sanction disciplinaire du 3ème groupe portant rétrogradation au grade d'attaché principal, sanction dont la légalité a été confirmée par un arrêt de la cour du 26 juin 2007, devenu définitif, et d'autre part, que tant la façon dont il exécute les missions qui lui sont confiées que ses relations avec ses collègues et sa hiérarchie continuent à être problématiques, comme le montre le rapport hiérarchique de saisine du conseil de discipline établi le 26 août 2016, à la suite de la demande de M. J... d'effacement de son dossier individuel de la sanction précitée, produit par le département.
6. Par suite, comme l'ont déjà relevé les premiers juges, ce courriel n'est ni une mesure prise en considération de la personne, ni une sanction disciplinaire déguisée décidée sans communication préalable du dossier de l'intéressé et ne nécessitait pas la consultation préalable de la commission administrative paritaire. Par ailleurs, son contenu ne peut être considéré comme diffamatoire ou constituant une attaque personnelle étrangère à la manière de servir de M. J... ni comme portant à son endroit des accusations mensongères et outrancières ou une atteinte à son honneur et à sa réputation, alors en outre que ce document n'a jamais été diffusé et n'a pas eu de caractère public. Enfin, la présence dans le dossier de
M. J... de ce message électronique n'est pas prohibée par les dispositions précitées de l'article 18 de la loi du 13 juillet 1983 dès lors que ce document ne fait nulle mention des opinions ou activités politiques, syndicales, religieuses ou philosophiques de l'intéressé. Au demeurant, comme le fait valoir le département sans être contredit, d'une part, l'insertion de la pièce litigieuse dans le dossier administratif de l'agent s'est faite en parallèle à la procédure du conseil de discipline réuni à la suite de sa demande d'effacement de son dossier de la sanction de rétrogradation mentionnée ci-dessus, si bien qu'il a pu utilement prendre connaissance du contenu de son dossier et, d'autre part, le courriel en cause n'a été ni cité ni produit devant le conseil de discipline.
7. En troisième lieu, contrairement à ce que soutient le requérant, le courriel du
21 juin 2016 ne contient aucune appréciation sur son état de santé, et encore moins de " diagnostic médical ", mais se borne à faire état des observations de son supérieur hiérarchique sur sa manière de servir et son comportement professionnel. Au demeurant, ni les dispositions de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, ni celles de l'article 11-2 du décret n° 85-603 du 10 juin 1985 relatives à l'indépendance de l'activité du médecin de service de prévention, ni celles du code de la santé publique ou encore du code du travail, ne peuvent être utilement invoquées dans un litige relatif à la composition du dossier d'un fonctionnaire, régie par les dispositions précitées de l'article 18 de la loi du 13 juillet 1983, Enfin, si M. J... fait valoir que la décision contestée est motivée de façon erronée par rapport à sa demande, dès lors qu'elle se fonde, pour refuser de retirer la pièce n° 379 de son dossier administratif, notamment sur le fait que le courriel incriminé " ne comporte aucun élément d'ordre médical ", il est constant que, par sa demande en date du 18 octobre 2016, l'intéressé a sollicité le retrait de cette pièce au motif que son contenu était diffamatoire, mais également au motif que, contenant une appréciation sur son état de santé, elle ne pouvait être versée à son dossier administratif.
8. En quatrième lieu, aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983, issu de la loi du 17 janvier 2002 de modernisation sociale : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la formation, la notation, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire en prenant en considération : 1° Le fait qu'il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral visés au premier alinéa ; 2° Le fait qu'il ait exercé un recours auprès d'un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements ; 3° Ou bien le fait qu'il ait témoigné de tels agissements ou qu'il les ait relatés. (...) ".
9. D'une part, il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. D'autre part, pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral. En revanche, la nature même des agissements en cause exclut, lorsque l'existence d'un harcèlement moral est établie, qu'il puisse être tenu compte du comportement de l'agent qui en a été victime pour atténuer les conséquences dommageables qui en ont résulté pour lui.
10. Si M. J... allègue d'un harcèlement moral à son encontre, il n'a soumis au juge aucun élément de fait susceptible de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que la décision contestée aurait été prise en violation de l'article 6 quinquies précité ne peut qu'être écarté.
11. En dernier lieu, il résulte également de ce qui a été dit au point 5 ci-dessus que le détournement de pouvoir allégué n'est pas établi.
12. Il résulte de tout ce qui précède que M. J... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :
13. Le présent arrêt rejette les conclusions à fin d'annulation présentées par
M. J.... Par suite, ses conclusions à fin d'injonction et d'astreinte ne peuvent être accueillies.
Sur les frais de l'instance :
14. Il n'y a pas lieu de mettre à la charge du département des Deux-Sèvres, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, de tels frais. En revanche, il sera mis à la charge de M. J... une somme de 1 500 euros, à verser sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative au département des Deux-Sèvres.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. J... est rejetée.
Article 2 : M. J... versera au département des Deux-Sèvres la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. K... J... et au département des
Deux-Sèvres.
Délibéré après l'audience du 14 décembre 2020 à laquelle siégeaient :
M. Dominique Naves, président,
Mme E... C..., présidente-assesseure,
Mme L..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 11 janvier 2021.
Le président,
Dominique Naves
La République mande et ordonne au préfet des Deux-Sèvres, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N° 19BX02823