Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 24 août 2020, la préfète de la Vienne demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Poitiers du 27 juillet 2020 ;
2°) de rejeter la demande présentée par Mme D... devant le tribunal administratif de Poitiers.
Elle soutient que :
- elle a correctement examiné la situation personnelle de l'intéressée, conformément aux principes de confidentialité de la procédure d'asile et aux éléments que l'intéressée lui a fourni lors de l'instruction de son dossier ; elle a procédé à un examen attentif de la situation personnelle de Mme D..., compte-tenu des éléments dont elle disposait ; l'arrêté répond aux obligations de motivation et résulte bien de l'examen personnel de la situation de l'intéressée, conformément aux éléments qu'elle a transmis ;
- en tout état de cause, la circonstance que la soeur de Mme D... réside en France ne change rien quant à l'appréciation qu'elle a faite de sa vie privée et familiale sur le fondement de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Mme D... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 29 octobre 2002.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme E... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A... D..., ressortissante géorgienne, née en 1975, est entrée sur le territoire français le 6 novembre 2018. Le 31 juillet 2019, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) a rejeté sa demande d'asile. A la suite de ce rejet, la préfète de la Vienne a, le 20 mai 2019, pris à l'encontre de Mme D... un arrêté portant obligation de quitter le territoire français dans un délai de 30 jours et fixant le pays de renvoi. La préfète fait appel du jugement du magistrat désigné du tribunal administratif de Poitiers du 27 juillet 2020 qui a annulé l'arrêté précité du 20 mai 2020 et lui a enjoint de délivrer à Mme D... une autorisation provisoire de séjour dans l'attente du réexamen de son dossier.
Sur le bien-fondé du jugement :
2. Pour annuler la mesure d'éloignement prise à l'encontre de Mme D... et, par voie de conséquence, les autres mesures contenues dans l'arrêté du 20 mai 2020, le magistrat désigné du tribunal administratif de Poitiers a estimé que, faute de la mention de la présence de sa soeur en France, l'arrêté attaqué ne pouvait être regardé comme ayant été pris après un examen de la situation personnelle de la requérante et se trouvait, par suite, entaché d'une erreur de droit.
3. Cependant, si, comme le relève le jugement attaqué, Mme D... avait fait état, au cours de sa demande d'asile, de la présence en France de sa soeur, de nationalité française, la confidentialité des éléments d'information détenus par l'OFPRA relatifs à la personne sollicitant la qualité de réfugié est une garantie essentielle du droit d'asile, principe de valeur constitutionnelle. Par suite, les services de la préfecture, qui ont instruit le dossier de Mme D... n'avaient pas connaissance du contenu de son dossier de demande d'asile, instruit par l'OFPRA, et donc n'avaient pas connaissance de la présence en France de la soeur de Mme D.... En tout état de cause, dès lors que Mme D... avait sollicité la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement du droit d'asile, elle ne pouvait ignorer, en raison même de l'accomplissement de cette démarche, qu'en cas de rejet, elle pourrait faire l'objet d'une mesure d'éloignement assortie d'une décision fixant le pays de destination. Ainsi il lui appartenait, au cours de l'instruction de cette demande, de faire valoir auprès de l'administration, qui n'était pas tenue de l'inviter à user de cette possibilité, toute observation complémentaire utile, au besoin en faisant état d'éléments nouveaux de nature à justifier son admission au séjour, y compris sur un fondement autre que l'asile. En l'espèce, Mme D... n'a pas informé la préfecture de la présence de sa soeur de nationalité française sur le territoire national et n'a pas sollicité un titre de séjour en se prévalant de ce lien. Dans ces conditions, le préfet ne peut être regardé, en n'ayant pas mentionné la présence de cette soeur dans l'arrêté attaqué, comme ayant entaché celui-ci d'un défaut d'examen de la situation personnelle de Mme D... ou comme ayant commis une erreur de droit. La préfète de la Vienne est ainsi fondée à demander l'annulation du jugement dont elle fait appel.
4. Il appartient à la cour saisie du litige par l'effet dévolutif de l'appel d'examiner les autres moyens soulevés en première instance par Mme D... à l'encontre de l'arrêté du 20 juin 2020.
Sur la demande présentée par Mme D... devant le tribunal administratif :
En ce qui concerne l'arrêté dans son ensemble :
5. En premier lieu, il ressort des dispositions de l'article 3 de l'arrêté du 3 février 2020, donnant délégation de signature à M. B... C..., produit par la préfète devant les premiers juges et régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture de la Vienne, que M. C..., secrétaire général de la préfecture de la Vienne, disposait d'une délégation de signature à l'effet de signer l'ensemble des décisions et actes relevant des dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il s'ensuit que le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'acte doit être écarté.
6. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 211-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : 1° Restreignent l'exercice des libertés publiques ou, de manière générale, constituent une mesure de police (...) ". Aux termes de l'article L. 211-5 du même code : " La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ".
7. L'arrêté attaqué comporte les considérations de droit et de fait et de fait sur lesquelles il se fonde. Au titre des considérations de droit, il vise notamment les articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions pertinentes du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en particulier ses articles L. 511-1-I-2° et L. 743-2. Au titre des considérations de fait, il fait état d'éléments relatifs à l'identité de l'intéressée et à ses conditions d'entrée et de séjour sur le territoire français. Il indique ainsi que Mme D... s'est vue débouter de sa demande d'asile le 31 juillet 2019, traitée en procédure accélérée, par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides. L'arrêté mentionne également que la mesure d'éloignement ne portera pas atteinte au droit de l'intéressée au respect de sa vie privée et familiale et qu'il n'est pas établi que celle-ci serait exposée à des peines ou traitements contraires à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en cas de retour dans son pays d'origine. Par suite, et alors que la préfète n'était pas tenue de décrire de façon exhaustive la situation personnelle de l'intéressé, et compte tenu de ce qui a été dit au point 3 ci-dessus concernant la mention de la présence en France de sa soeur, l'arrêté qu'elle a édicté est suffisamment motivé au regard des exigences des articles L. 211-2 et L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration.
8. En troisième lieu, il ne ressort pas de cette motivation que la préfète de la Vienne se serait abstenue de procéder à un examen réel et sérieux de la situation personnelle de Mme D..., ni qu'elle se serait sentie liée par la décision de l'OFPRA.
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :
9. En premier lieu, aux termes de l'article L. 743-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Le demandeur d'asile dont l'examen de la demande relève de la compétence de la France et qui a introduit sa demande auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides bénéficie du droit de se maintenir sur le territoire français jusqu'à la notification de la décision de l'office (...) ". Aux termes de l'article L. 743-2 de ce code : " Par dérogation à l'article L. 743-1, (...), le droit de se maintenir sur le territoire français prend fin (...) lorsque : (...) 7° L'office a pris une décision de rejet dans les cas prévus au I et au 5° du III de l'article L. 723-2 (...) ". A cet égard, l'article L. 723-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose que: " I. - L'office statue en procédure accélérée lorsque : 1° Le demandeur provient d'un pays considéré comme un pays d'origine sûr (...) ". Enfin, aux termes de l'article L. 511-1-I de ce même code : " I. - L'autorité administrative peut obliger à quitter le territoire français un étranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne (...) lorsqu'il se trouve dans l'un des cas suivants : (...) 6°) Si la reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire a été définitivement refusé à l'étranger ou si l'étranger ne bénéficie plus du droit de se maintenir sur le territoire français en application des articles L. 743-1 et L. 743-2 (...) ". En application de ces dispositions, l'étranger dont la demande d'asile a été rejetée au motif qu'il provient d'un pays considéré comme sûr, comme l'est désormais la Géorgie, perd le droit de se maintenir sur le territoire français lorsque l'OFPRA a pris sa décision de rejet alors même que ce rejet ferait l'objet d'un recours devant la Cour nationale du droit d'asile.
10. Il ressort des termes de l'arrêté que la préfète de la Vienne a fondé sa décision obligeant Mme D... à quitter le territoire français sur le 6° du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et a mentionné que, en application des dispositions du 7° de l'article L. 743-2 du même code, elle ne disposait plus du droit de se maintenir sur le territoire français et pouvait donc être éloignée, sa demande d'asile ayant été rejetée le 31 juillet 2019 par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides qui statuait en procédure accélérée sur le fondement du 1° du I de l'article L. 723-2 du même code. Il ne ressort pas de cette motivation, qui précise notamment que l'intéressée provient d'un pays sûr, que la préfète de la Vienne se serait estimée lié par l'avis de l'Office français de l'immigration et de l'intégration.
11. En second lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
12. Mme D... fait valoir qu'elle est désormais bien intégrée en France, où elle vit aux côtés de son compagnon, ressortissant français, devenu son époux depuis leur mariage le 7 mars 2020, dont le très mauvais état de santé requiert sa présence, et où résident également sa soeur, qui vient d'acquérir la nationalité française, et son neveu. Cependant, elle n'est en France que depuis moins de deux ans à la date de l'arrêté attaqué et son mariage, dont elle n'a d'ailleurs aucunement fait état auprès des services préfectoraux, n'est antérieur que d'un mois et demi à ce même arrêté. En outre, ses deux enfants, nés en 1997 et 1993, ses deux parents, ainsi que son frère et sa soeur, résident en Géorgie, où elle a vécu jusqu'à l'âge de 43 ans. Dans ces conditions, et alors qu'il appartient à l'intéressée, si elle s'y croit fondée, de solliciter la délivrance d'un titre " conjoint de Français ", en prenant la décision d'éloignement en litige, la préfète de la Vienne n'a pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des buts en vue desquels elle a pris la décision contestée et n'a, dès lors, pas méconnu l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
En ce qui concerne l'octroi d'un délai de départ volontaire :
13. Si la requérante fait valoir que la situation sanitaire liée à la covid-19 ne lui permet pas de retourner dans son pays d'origine dans le délai de 30 jours, cette circonstance, à la supposer établie, est seulement susceptible de modifier, le cas échéant, les conditions de l'exécution de cet arrêté mais demeure sans incidence sur sa légalité. Par suite, le moyen tiré de ce que le préfet aurait à tort refusé de lui octroyer un délai de départ plus important pour ce motif doit être écarté.
En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi :
14. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que Mme D... n'est pas fondée à exciper de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français pour demander l'annulation de la décision fixant le pays de destination.
15. En second lieu, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".
16. Si Mme D... invoque une violation de ces stipulations, elle n'apporte au soutien de ses dires aucun élément de nature à établir qu'elle encourrait des risques personnels et actuels de mauvais traitements en cas de retour dans son pays d'origine. Par suite, la décision fixant le pays de renvoi ne méconnaît pas les stipulations précitées de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
17. Il résulte de tout ce qui précède que la préfète de la Vienne est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de Poitiers a annulé l'arrêté du 20 mai 2020 et lui a enjoint de délivrer à Mme D... une autorisation provisoire de séjour. Dès lors, ce jugement doit être annulé et les conclusions de première instance présentées par Mme D... doivent être rejetées.
En ce qui concerne les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :
18. Le présent arrêt rejette les conclusions à fin d'annulation présentées par Mme D.... Par suite, ses conclusions à fin d'injonction et d'astreinte ne peuvent être accueillies.
En ce qui concerne les conclusions au titre des articles 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative :
19. Ces dispositions font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme dont Mme D... demande le versement à son conseil sur ces fondements.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2001382 du 27 juillet 2020 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Poitiers est annulé.
Article 2 : La demande de première instance présentée par Mme D... est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à Mme A... D.... Copie en sera adressée à la préfète de la Vienne.
Délibéré après l'audience du 19 octobre 2020 à laquelle siégeaient :
M. Dominique Naves, président,
Mme Karine Butéri, président-assesseur,
Mme E..., premier conseiller.
Lu en audience publique, le 16 novembre 2020.
Le rapporteur,
E...Le président,
Dominique Naves
Le greffier,
Cindy Virin
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 20BX02757