Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 12 juin 2019, Mme B... A... représentée par Me D..., demande à la cour:
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Limoges du 14 mars 2019;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet de la Haute-Vienne du 11 octobre 2018 ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Haute-Vienne de lui délivrer un titre de séjour ou à défaut de statuer à nouveau sur sa demande dans un délai de vingt jours suivant la notification de la décision à intervenir, sous astreinte de 200 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement au profit de son conseil de la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
En ce qui concerne la décision portant refus de séjour :
- elle méconnaît les dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation, dès lors qu'elle ne peut pas effectivement bénéficier d'un traitement approprié pour sa prise en charge médicale en Albanie ; deux des médicaments qui lui sont prescrits, le Norset et le Noctamide, ne sont pas commercialisés dans ce pays ; elle souffre d'un syndrome de stress post-traumatique en relation avec une agression qu'elle a subie en septembre 2015 dans son pays d'origine ;
- elle porte une atteinte excessive à son droit au respect de sa vie privée et familiale et méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dès lors qu'elle réside depuis près de trois ans sur le territoire français avec son époux, qui bénéficie d'une promesse d'embauche, et ses deux filles scolarisées et que l'ensemble de la famille est bien intégré en France ; pour les mêmes motifs, cette décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation ;
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :
- elle est dépourvue de base légale en raison de l'illégalité de la décision de refus de titre de séjour qui la fonde ;
- elle porte une atteinte excessive à son droit au respect de sa vie privée et familiale, méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation ;
En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi :
- elle est dépourvue de base légale en raison de l'illégalité de la décision de refus de titre de séjour qui la fonde.
Par un mémoire en défense enregistré le 3 octobre 2019 le préfet de la Haute-Vienne conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir qu'aucun des moyens soulevé n'est fondé.
Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 23 mai 2019.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme H... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B... C... épouse A..., ressortissante albanaise, née le 18 octobre 1983, est entrée irrégulièrement en France le 18 décembre 2015 selon ses dires, accompagnée de son mari, M. G... A..., également ressortissant albanais, et de leurs deux filles mineures. Leurs demandes d'asile ont été rejetées par des décisions du 11 avril 2016 de l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides, confirmées par des décisions du 23 mai 2017 de la Cour nationale du droit d'asile. Le 22 juin 2017, Mme A... a sollicité son admission au séjour en qualité d'étranger malade sur le fondement du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Le 21 juillet 2017, M. A... a sollicité l'octroi d'un titre de séjour mention " vie privée et familiale ". Par deux arrêtés du 11 octobre 2018, le préfet de la Haute-Vienne a refusé de leur délivrer les titres de séjour sollicités, les a obligés à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. Par deux jugements distincts du 14 mars 2019, le tribunal administratif de Limoges a rejeté les demandes des époux A... dirigées contre ces arrêtés. L'appel de M. A... dirigé contre le jugement le concernant a été rejeté par une ordonnance n° 19BX02328 de la présidente de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 18 septembre 2019. L'objet de la présente instance est l'appel de Mme A... contre le jugement du 14 mars 2019 du même tribunal la concernant.
En ce qui concerne le refus de titre de séjour :
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) 11° A l'étranger résidant habituellement en France, si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. La condition prévue à l'article L. 313-2 n'est pas exigée. La décision de délivrer la carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. (...) ".
3. Sous réserve des cas où la loi attribue la charge de la preuve à l'une des parties, il appartient au juge administratif saisi de l'affaire, au vu des pièces du dossier et compte tenu, le cas échéant, de l'abstention d'une des parties à produire les éléments qu'elle est seule en mesure d'apporter et qui ne sauraient être réclamés qu'à elle-même, d'apprécier si l'état de santé d'un étranger nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve de l'absence d'un traitement approprié dans le pays de renvoi et de la possibilité d'y bénéficier effectivement d'un traitement approprié, sauf circonstance humanitaire exceptionnelle. La partie qui justifie d'un avis du collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration qui lui est favorable doit être regardée comme apportant des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence ou l'absence d'un état de santé de nature à justifier la délivrance ou le refus d'un titre de séjour. Dans ce cas, il appartient à l'autre partie, dans le respect des règles relatives au secret médical, de produire tous éléments permettant d'apprécier l'état de santé de l'étranger et, le cas échéant, l'existence ou l'absence d'un traitement approprié dans le pays de renvoi et la possibilité d'en bénéficier effectivement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si l'état de santé d'un étranger justifie la délivrance d'un titre de séjour dans les conditions ci-dessus rappelées, se détermine au vu de ces échanges contradictoires.
4. D'une part, pour contredire les termes de cet avis s'agissant de la disponibilité d'un traitement approprié à son état de santé en Albanie et de la possibilité d'en bénéficier effectivement, la requérante, qui a levé le secret médical, produit un certificat médical établi le 7 novembre 2018, au demeurant postérieurement à la décision attaquée, par un médecin psychiatre du centre hospitalier spécialisé Esquirol Limoges, établissant qu'elle souffre d'un " état de stress post-traumatique avec comorbidité anxiodépressive ", traité par l'administration d'un anxiolytique de la famille des benzodiazépines sous la forme commerciale du Seresta dont le principe actif est l'oxazépam, d'un hypnotique également de la famille des benzodiazépines sous la forme commerciale du Noctamide dont le principe actif est le lormétazépam, d'un antidépresseur sous la forme commerciale du Norset dont le principe actif est la mirtazapine, d'un inhibiteur sélectif de la recapture de la sérotonine utilisant comme principe actif la sertraline sous une forme commerciale éponyme, et de deux antipsychotiques utilisant comme principe actif pour l'un la lévomépromazine, sous la forme commerciale du Nozinan et pour l'autre la rispéridone sous la forme commerciale du Risperdal. Ce même certificat établit la nécessité d'une prise en charge psychothérapeutique auprès d'un spécialiste en psychiatrie dans le cadre d'une structure adaptée. Mme A... produit également un certificat médical très circonstancié établi le 13 novembre 2018 par un médecin généraliste de Limoges, qui décrit pour la requérante la même pathologie et la même prise en charge médicamenteuse. En appel, Mme A... produit deux certificats médicaux émanant de deux médecins albanais. Si ces certificats traduits ont été traduits par un interprète inscrit sur la liste des experts près la cour d'appel de Limoges, ils se bornent à mentionner que les spécialités " Norset 15 mg " et " Noctamide 2 mg " " ne se trouvent pas " ou " ne circulent pas " en Albanie. Ce faisant la requérante n'établit ni même n'allègue que les principes actifs de ces deux spécialités commerciales, ou des molécules équivalentes, ne seraient pas disponibles dans ce pays. Ainsi, si les éléments produits décrivent de manière circonstanciée la pathologie de Mme A... et les modalités de sa prise en charge, ni les éléments déjà produits devant les premiers juges, ni les nouveaux éléments produits en appel ne se prononcent nullement sur la disponibilité en Albanie des traitements administrés à Mme A... ni sur la possibilité qu'elle puisse en bénéficier effectivement dans ce pays. D'autre part, si la requérante soutient qu'elle ne peut pas effectivement bénéficier d'un traitement approprié pour sa prise en charge médicale en Albanie au motif qu'elle souffre d'un syndrome de stress post-traumatique en relation avec une agression qu'elle a subie en septembre 2015 dans ce pays, elle n'apporte pas d'élément probant de nature à tenir pour établis la réalité de ces violences et l'existence d'un lien entre ses troubles et des évènements traumatisants vécus dans son pays d'origine.
5. Dans ces conditions, en refusant d'admettre Mme A... au séjour, le préfet de la Haute-Vienne n'a pas méconnu les dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il n'a pas davantage entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation.
6. En second lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Pour l'application des stipulations précitées, l'étranger qui invoque la protection due à son droit au respect de sa vie privée et familiale en France doit apporter toute justification permettant d'apprécier la réalité et la stabilité de ses liens personnels et familiaux effectifs en France au regard de ceux qu'il a conservés dans son pays d'origine.
7. Mme A... fait valoir qu'elle réside depuis près de trois ans sur le territoire français avec son époux, qui bénéficie d'une promesse d'embauche, et ses deux filles scolarisées et que l'ensemble de la famille est bien intégré en France. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que Mme A..., entrée irrégulièrement en France le 18 décembre 2015, n'a été autorisée à y séjourner que le temps de l'examen de sa demande d'asile qui a été définitivement rejetée le 23 mai 2017. Par ailleurs, si elle se prévaut de son insertion dans la société française, les documents qu'elle produit au soutien de ses allégations, à savoir des attestations faisant état de son engament bénévole au sein du Secours populaire français et de la Banque alimentaire, une attestation de présence à des cours de français depuis le 11 octobre 2016 et une promesse d'embauche au bénéfice de son époux à compter du 3 décembre 2018 pour un poste de manoeuvre ne suffisent pas à l'établir. Enfin, Mme A... ne démontre pas être dans l'impossibilité de poursuivre sa vie familiale dans son pays d'origine avec son époux, qui fait également l'objet d'une mesure d'éloignement, dont la légalité a été confirmée par un jugement du tribunal administratif du même jour que le jugement attaqué et par une ordonnance de la cour de céans du 18 septembre 2019, et ses deux filles, dont il ne ressort pas des pièces du dossier qu'elles ne pourraient être scolarisées en Albanie. Elle ne démontre pas davantage qu'elle n'aurait plus d'attaches dans son pays d'origine où elle a vécu jusqu'à l'âge de 32 ans. Dès lors, eu égard aux conditions de son séjour, la décision en litige n'a pas porté une atteinte disproportionnée au droit de Mme A... au respect de sa vie privée et familiale au regard des buts dans lesquelles elle a été prise. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté. Pour les mêmes motifs, le préfet n'a pas commis d'erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de cette décision sur la situation personnelle de l'intéressée.
En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :
8. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à exciper de l'illégalité de la décision portant refus de séjour à l'appui de ses conclusions tendant à l'annulation de la décision portant obligation de quitter le territoire français.
9. En second lieu, Mme A... fait valoir qu'elle a fourni de multiples efforts d'intégration, qu'elle est suivie sur le plan psychique et que l'idée de retourner en Albanie génère chez ses enfants un état de stress et d'angoisse, alors qu'ils sont bien intégrés dans leurs établissements scolaires. Toutefois, Mme A..., qui ne produit aucun document de nature à établir la réalité et l'actualité des risques qu'elle et sa famille encourraient en cas de retour en Albanie, alors que sa demande d'asile a été définitivement rejetée par la Cour nationale du droit d'asile, ne démontre pas davantage, ainsi qu'il a été dit précédemment, qu'elle ne pourrait pas être soignée dans ce pays. Dans ces conditions et pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 7, Mme A... n'est pas fondée à soutenir que la décision contestée porte une atteinte excessive à son droit au respect de sa vie privée et familiale et méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Elle n'est pas davantage fondée à soutenir que le préfet a entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle.
En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi :
10. Il résulte de ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à exciper de l'illégalité du refus de titre de séjour à l'appui de ses conclusions tendant à l'annulation de la décision fixant le pays de destination.
11. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué du 14 mars 2019, le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet de la Vienne du 11 octobre 2018. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction, d'astreinte et celles présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ne peuvent être accueillies.
DECIDE :
Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... C... épouse A... et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Vienne.
Délibéré après l'audience du 18 novembre 2019 à laquelle siégeaient :
M. Pierre Larroumec, président,
Mme F... E..., présidente-assesseure,
Mme H..., premier conseiller.
Lu en audience publique, le 16 décembre 2019.
Le rapporteur,
H...Le président,
Pierre Larroumec
Le greffier,
Cindy Virin
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N° 19BX02368