Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 15 février 2017 et 29 septembre 2018, M. E... A..., représenté par Me C..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 13 décembre 2016 ;
2°) d'annuler la décision implicite intervenue, selon lui, le 7 septembre 2015 et la décision expresse du 15 octobre 2015 par lesquelles le maire d'Arcachon a refusé de mettre en ligne et de publier sa tribune dans l'espace réservé dans le bulletin municipal à l'expression des conseillers municipaux n'appartenant pas à la majorité municipale ;
3°) d'enjoindre au maire d'Arcachon de publier sa tribune dans le prochain bulletin municipal ;
4°) de mettre à la charge de la commune d'Arcachon la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- les écritures en défense de la commune sont irrecevables, faute pour celle-ci de rapporter la preuve de l'habilitation du maire à la défendre ;
- c'est à tort que le tribunal administratif a jugé irrecevables ses conclusions dirigées contre la décision du 7 septembre 2015 ; en vertu de l'usage éditorial, sa tribune aurait dû être mise en ligne le lendemain ; en outre, le 8 septembre, la directrice de la communication a motivé le refus de publication en cause ; cette décision existe donc et, de plus, a été prise par une autorité incompétente ;
- la décision du 15 octobre 2015 a méconnu les stipulations de l'article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions de l'article L. 2121-27-1 du code général des collectivités territoriales ; l'injure renvoie à une définition juridique bien précise, au sens de l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881 ; il n'y a rien d'injurieux en l'espèce, dès lors qu'il n'a en aucune façon réitéré les termes pour lesquels il avait été condamné pénalement, puisqu'il n'y porte aucun jugement sur la personne du maire, seulement sur sa politique, ce qui relève de la liberté d'opinion et de la libre expression de celle-ci.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 27 août 2018 et le 23 septembre 2019, la commune d'Arcachon, représentée par le Cabinet B...-Cazcarra, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de M. A... la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que les moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés.
Par une ordonnance en date du 23 septembre 2019, la clôture de l'instruction a été fixée au 7 octobre 2019.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme F...,
- les conclusions de Mme Béatrice Molina-Andréo, rapporteur public,
- et les observations de Me D..., représentant M. A..., et de Me B..., représentant la commune d'Arcachon.
Une note en délibéré pour la commune d'Arcachon a été enregistrée le 22 octobre 2019.
Considérant ce qui suit :
1. La commune d'Arcachon diffusait un bulletin d'information municipale intitulée " Arcachon 360° le mag ", distribué sur support papier et accessible en ligne. Ce bulletin comporte un espace de libre expression pour les élus municipaux. Le site web d'information de la commune " Arcachon en ligne " prévoit également une rubrique, dénommée " Tribunes ", réservée à l'expression des différentes sensibilités politiques représentées au conseil municipal. M. A..., conseiller municipal n'appartenant pas à la majorité municipale, a été confronté en décembre 2014 et en janvier 2015 à plusieurs refus du maire d'Arcachon en sa qualité de directeur de la publication du bulletin municipal de publier ses tribunes au motif qu'elles étaient inadéquates en ce qu'elles présentaient un caractère polémique et injurieux qui ne trouvait pas sa place dans ce bulletin d'information. Ces décisions de refus ont été déférées devant le tribunal administratif de Bordeaux par M. A... qui a obtenu leur annulation par jugements du 29 décembre 2015. Le 6 septembre 2015, M. A... a adressé au maire d'Arcachon une tribune à mettre en ligne sur le site internet, constituée d'une bande dessinée mettant en scène des oiseaux dialoguant entre eux. La directrice de la communication de la ville d'Arcachon a accusé réception de la transmission de M. A.... Constatant que sa tribune n'avait pas été mise en ligne, M. A... a sollicité le 12 octobre 2015 l'insertion de cette même tribune cette fois dans le bulletin municipal. Par un courrier du 15 octobre 2015, le premier adjoint au maire d'Arcachon a refusé de publier cette tribune au motif que " les propos qui sont tenus dans celle-ci sont susceptibles de constituer une injure publique. ". M. A... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler, d'une part, le refus implicite qui serait intervenu, selon lui, le 7 septembre 2015 du fait du constat de la non-publication de sa tribune dont il aurait demandé la mise en ligne à cette date, et, d'autre part, la décision explicite du 15 octobre 2015 de refus publication de sa tribune dans le magazine municipal. M. A... fait appel du jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 13 décembre 2016, qui a rejeté sa demande.
Sur les conclusions dirigées contre la décision implicite réputée intervenue le 7 septembre 2015 :
2. Il ressort des pièces du dossier que M. A... a transmis le dimanche 6 septembre 2015 à 14 h 29 par courrier électronique à la directrice de la communication de la commune d'Arcachon, co-directrice de la publication " d'Arcachon en ligne ", une tribune sous forme de bande dessinée qu'il souhaitait publier sur le site web de la commune. Cette envoi, dont la destinataire a accusé réception le 6 septembre 2015 à 14 h 30, ne précisait pas de date de publication. Dans ces conditions, comme l'ont relevé les premiers juges, alors même qu'il existerait un usage éditorial en vertu duquel, si un élu demande la parution d'une tribune sur le site internet, cette insertion est effective le lundi suivant, faute pour M. A... d'avoir demandé que sa tribune soit mise en ligne le lundi 7 septembre 2015, aucune décision implicite de refus, susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir ne peut être regardée comme étant intervenue à cette date alléguée, une décision implicite de refus n'étant susceptible d'être intervenue, conformément au droit commun, que dans le délai de deux mois. Par suite, les conclusions dirigées contre une décision de cette nature en date du 7 septembre 2015 sont irrecevables, faute pour cette décision d'exister.
3. En appel, pour contester l'irrecevabilité qui lui a ainsi été opposée par les premiers juges, M. A... invoque un courriel de la directrice de la communication en date du 8 septembre, en soutenant qu'il s'agit bel et bien d'une décision, motivant le refus de publication de la veille, illégale car prise par une personne incompétente. Cependant, à supposer que ce courriel puisse être regardé comme une décision, qui ne serait alors plus la décision implicite attaquée, l'intéressé est irrecevable à la contester pour la première fois en appel.
Sur les conclusions à fin d'annulation de la décision explicite du 15 octobre 2015 :
Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens :
4. Aux termes de l'article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière (...) /2. L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique (...) à la protection de la réputation ou des droits d'autrui (...) ".
5. Aux termes de l'article L. 2121-27-1 du code général des collectivités territoriales : " Dans les communes de 3 500 habitants et plus, lorsque la commune diffuse, sous quelque forme que ce soit, un bulletin d'information générale sur les réalisations et la gestion du conseil municipal, un espace est réservé à l'expression des conseillers n'appartenant pas à la majorité municipale ". Aux termes de l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse : " Toute allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation. La publication directe ou par voie de reproduction de cette allégation ou de cette imputation est punissable, même si elle est faite sous forme dubitative ou si elle vise une personne ou un corps non expressément nommés, mais dont l'identification est rendue possible par les termes des discours, cris, menaces, écrits ou imprimés, placards ou affiches incriminés. / Toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l'imputation d'aucun fait est une injure ". Aux termes de l'article 42 de la même loi : " Seront passibles, comme auteurs principaux des peines qui constituent la répression des crimes et délits commis par la voie de la presse, dans l'ordre ci-après, savoir : / 1° Les directeurs de publications ou éditeurs, quelles que soient leurs professions ou leurs dénominations (...) ".
6. Il résulte des dispositions de l'article L. 2121-27-1 du code général des collectivités territoriales qu'une commune de 3 500 habitants et plus est tenue de réserver dans son bulletin d'information municipale, lorsqu'elle diffuse un tel bulletin, un espace d'expression réservé à l'opposition municipale. Ni le conseil municipal, ni le maire de la commune ne sauraient, en principe, contrôler le contenu des articles publiés, sous la responsabilité de leurs auteurs, dans cet espace. Ainsi, si le maire d'une commune, en sa qualité de directeur de publication d'un bulletin d'information municipal, est en droit de refuser de publier un écrit qu'il estime diffamatoire ou injurieux, ou portant atteinte à l'ordre public et aux bonnes moeurs, lorsqu'il ressort à l'évidence de son contenu qu'un tel article est de nature à engager la responsabilité pénale du directeur de la publication, notamment s'il présente un caractère manifestement outrageant, diffamatoire ou injurieux de nature à engager la responsabilité du maire, directeur de publication du bulletin municipal, sur le fondement des dispositions précitées de la loi du 29 juillet 1881, il ne saurait pour autant porter au droit d'expression des élus, qui constitue une liberté fondamentale et une condition essentielle du débat démocratique, des restrictions au-delà de ce qui est nécessaire pour respecter les droits d'autrui.
7. Il ressort des pièces du dossier que, le 23 janvier 2015, M. A... a publié sur son blog une tribune sous le titre " Minable ce mec qui est maire d'Arcachon ". Constatant que le terme " minable " avait " une connotation injurieuse, d'autant qu'il était renforcé par l'emploi du terme argotique 'mec'", et que l'emploi de ce terme avait " pour but de porter atteinte à la dignité du maire et de le rabaisser publiquement ", et relevant que, " si, dans un contexte de polémique politique, une plus grande liberté de ton peut être reconnue (...), celle-ci doit (...) cesser là où commencent les atteintes au respect de la dignité de la personne humaine ", le tribunal correctionnel de Bordeaux a, par un jugement du 3 septembre 2015 passé en force de chose jugée, déclaré M. A... coupable d'injure publique envers un citoyen chargé d'un mandat public, sur le fondement de l'article 29 alinéa 2 et de l'article 33 alinéa 1 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, l'a condamné à payer 1 000 euros d'amende avec sursis et a ordonné, sous astreinte, le retrait des propos injurieux du blog de l'intéressé.
8. La tribune dont la publication a été refusée est une bande dessinée comportant trois planches où figurent des oiseaux, échangeant les dialogues suivants : " J'ai le droit de penser que quelqu'un est minable ' " " Oui, mais garde-le pour toi, car s'il est susceptible tu risques la condamnation pour injure ad hominem " " Et si j'écris que la politique de quelqu'un est minable ' " " C'est une opinion, tu as le droit ... " " Oui' alors, la politique d'Yves Foulon est vraiment minable ". Ce faisant, M. A... exprimait son opinion sur la gestion communale et l'action politique du maire, critiquant cette fois son action, et non la personne elle-même. Ainsi, contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, si le contenu de cette bande dessinée est rédigé sur un ton volontairement polémique et accusateur, il ne saurait pour autant être regardé comme présentant un caractère injurieux, diffamatoire ou outrageant envers la personne du maire, de nature à faire obstacle au droit d'expression des élus n'appartenant pas à la majorité municipale, consacré par les dispositions précitées de l'article L. 2121-27-1 du code général des collectivités territoriales, ni davantage comme excédant les limites à la liberté d'expression garantie par l'article 10 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
9. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée aux écritures en défense de la commune, que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande, en tant qu'elle tendait à l'annulation de la décision du 15 octobre 2015 ayant refusé la publication de sa tribune.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
10. M. A... ne réitérant pas expressément en appel ses conclusions à fin d'astreinte, le motif d'annulation retenu par le présent arrêt implique seulement que la commune publie la tribune en litige sur son site internet et, s'il existe encore, dans la prochaine édition papier de son magazine municipal.
Sur les conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune d'Arcachon, une somme de 1 500 euros que demande M. A... sur ce fondement. En revanche, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de ce dernier la somme que demande la commune sur le même fondement.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1504734 du 13 décembre 2016 du tribunal administratif de Bordeaux est annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions de M. A... dirigées contre la décision du 15 octobre 2015.
Article 2 : La décision du 15 octobre 2015 de refus de publication de la tribune de M. A... dans le bulletin municipal est annulée.
Article 3 : La commune d'Arcachon versera à M. A... la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Il est enjoint à la commune d'Arcachon de publier, sur le site internet de la ville et, le cas échéant, dans la prochaine édition papier de son magazine municipal, la tribune que lui avait adressée M. A... le 6 septembre 2015.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de M. A... et les conclusions de la commune d'Arcachon présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... A... et à la commune d'Arcachon.
Délibéré après l'audience du 21 octobre 2019 à laquelle siégeaient :
M. Pierre Larroumec, président,
Mme F..., premier conseiller,
M. Paul-André Braud, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 18 novembre 2019.
Le rapporteur,
F...Le président,
Pierre Larroumec
Le greffier,
Cindy Virin
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N° 17BX00530 7