Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 1er avril 2019, et un mémoire en réplique, enregistré le 20 juin 2019, Mme A..., représentée par Me G..., puis par Me F..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 11 décembre 2018 ;
2°) d'annuler l'arrêté précité du préfet de la Gironde du 18 juin 2018 ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Gironde de lui délivrer un titre de séjour dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 80 euros par jour de retard ou, à défaut, de procéder au réexamen de sa situation dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte et de lui remettre en attendant une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761 1 du code de justice administrative et de l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- la décision de refus de titre de séjour est entachée d'un défaut de motivation en fait au regard de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration et au regard de l'article L. 311-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (ceseda), ce qui témoigne d'une absence d'examen sérieux de sa situation ;
- cette décision est entachée d'un vice de procédure au regard de l'article R. 313-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dès lors que l'avis rendu par le collège de médecins ne l'a pas été à l'issue d'une délibération pouvant prendre les formes prévues par l'article 6 de l'arrêté du 27 décembre 2016 ; elle a ainsi été privée d'une garantie ;
- le préfet a commis une erreur de droit, car il s'est estimé lié par l'avis du collège de médecins de l'OFII et a méconnu sa compétence ;
- l 'avis du collège des médecins est irrégulier en ce qu'il ne se prononce pas sur l'accès effectif aux soins, en violation de l'article 6 de l'arrêté du 27 décembre 2016 et des articles L. 313-12 et R. 313-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; l'absence de l'examen de cette condition a privé le préfet d'une parfaite information ;
- son droit à être entendue a été méconnu, en violation de l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux, d'autant plus qu'un délai de 6 mois s'est écoulé entre l'avis rendu par le collège de médecins et la décision contestée ; ses droits à la défense n'ont ainsi pas été respectés ;
- l'arrêté attaqué viole l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de sa situation et de la situation médicale de son fils, qui ne pourra avoir en Algérie un accès effectif aux soins requis par son état de santé ; cet arrêté est ainsi également contraire à l'article L. 313-11-11 et à l'article L. 511-4-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; la trisomie de son fils, qui a été reconnu par la MDPH comme ayant un taux d'incapacité de 80 à 95 %, entraîne de multiples pathologies, dont la prise en charge est complexe et doit être pluridisciplinaire ;
- la mesure fixant le pays de renvoi méconnaît l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ainsi que l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, en raison de l'état de santé de son fils, de l'impossibilité qu'il aura d'être soigné dans son pays d'origine et de la discrimination, voire de l'abandon social dont sont victimes les enfants trisomiques dans ce pays ;
- l'arrêté viole l'article 3-1 de la CIDE, ainsi que ses articles 6-2 et 28 ; en France, son fils peut bénéficier d'une prise en charge qui peut le faire progresser alors qu'en Algérie, il ne bénéficiera plus d'aucun accompagnement spécifique.
Par un mémoire en défense, enregistré le 3 juin 2019, le préfet de la Gironde conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que le moyens soulevés par Mme A... ne sont pas fondés ; faute de nouvel élément produit par la requérante, il confirme les termes de son mémoire en défense de première instance.
Par une ordonnance en date du 20 juin 2019, la clôture de l'instruction a été fixée au 25 juillet 2019.
Par une décision du 20 mars 2019, l'aide juridictionnelle totale a été accordée à Mme A....
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant signée à New York le 26 janvier 1990 ;
- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 relatif à la circulation, à l'emploi et au séjour en France des ressortissants algériens et de leurs familles ;
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- l'arrêté du 27 décembre 2016 relatif aux conditions d'établissement et de transmission des certificats médicaux, rapports médicaux et avis mentionnés aux articles R. 313-22, R. 313-23 et R. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile
- le code des relations entre le public et l'administration :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme I... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme E... A..., ressortissante algérienne née le 22 mai 1964 à Boufakir, est entrée en France le 12 février 2017 muni d'un visa de court séjour valable 90 jours. Le 20 avril 2017, elle a sollicité la délivrance d'un titre de séjour en qualité d'accompagnant d'enfant malade dans le cadre de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 relatif à la circulation, à l'emploi et au séjour en France des ressortissants algériens et de leurs familles. Son dossier a été transmis au collège des médecins de l'office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), qui a rendu un avis, le 22 décembre 2017, sur l'état de santé de l'enfant mineur H... C..., fils de Mme A.... Par arrêté du 18 juin 2018, le préfet de la Gironde lui a opposé un refus de titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays d'éloignement. Mme A... fait appel du jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 11 décembre 2018, qui a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur les conclusions à fin d'annulation du refus de séjour :
Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens :
2. Aux termes de l'article L. 311-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si leur présence constitue une menace pour l'ordre public, une autorisation provisoire de séjour est délivrée aux parents étrangers de l'étranger mineur qui remplit les conditions mentionnées au 11° de l'article L. 313-11, ou à l'étranger titulaire d'un jugement lui ayant conféré l'exercice de l'autorité parentale sur ce mineur, sous réserve qu'ils justifient résider habituellement en France avec lui et subvenir à son entretien et à son éducation, sans que la condition prévue à l'article L. 313-2 soit exigée. / L'autorisation provisoire de séjour mentionnée au premier alinéa, qui ne peut être d'une durée supérieure à six mois, est délivrée par l'autorité administrative, après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans les conditions prévues au 11° de l'article L. 313-11. Cette autorisation provisoire de séjour ouvre droit à l'exercice d'une activité professionnelle. Elle est renouvelée pendant toute la durée de la prise en charge médicale de l'étranger mineur, sous réserve que les conditions prévues pour sa délivrance continuent d'être satisfaites ". Aux termes de l'article R. 313-22 de ce code : " Pour l'application du 11° de l'article L. 313-11, le préfet délivre la carte de séjour au vu d'un avis émis par un collège de médecins à compétence nationale de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. / L'avis est émis dans les conditions fixées par arrêté du ministre chargé de l'immigration et du ministre chargé de la santé au vu, d'une part, d'un rapport médical établi par un médecin de l'Office français de l'immigration et de l'intégration et, d'autre part, des informations disponibles sur les possibilités de bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans le pays d'origine de l'intéressé. (...) ". Aux termes de l'article R. 313-23 du même code : " (...) Le collège à compétence nationale, composé de trois médecins, émet un avis dans les conditions de l'arrêté mentionné au premier alinéa du présent article. La composition du collège et, le cas échéant, de ses formations est fixée par décision du directeur général de l'office. Le médecin ayant établi le rapport médical ne siège pas au sein du collège / (...) Le collège peut demander au médecin qui suit habituellement le demandeur, au médecin praticien hospitalier ou au médecin qui a rédigé le rapport de lui communiquer, dans un délai de quinze jours, tout complément d'information. Le demandeur en est simultanément informé. Le collège de médecins peut entendre et, le cas échéant, examiner le demandeur et faire procéder aux examens estimés nécessaires. Le demandeur présente au service médical de l'office les documents justifiant de son identité. Il peut être assisté d'un interprète et d'un médecin. Lorsque l'étranger est mineur, il est accompagné de son représentant légal ". Aux termes de l'article 6 de l'arrêté du 27 décembre 2016 relatif aux conditions d'établissement et de transmission des certificats médicaux, rapports médicaux et avis mentionnés aux articles R. 313-22, R. 313-23 et R. 511-1 dudit code : " ( ...) un collège de médecins (...) émet un avis, conformément au modèle figurant à l'annexe C du présent arrêté, précisant : / a) si l'état de santé de l'étranger nécessite ou non une prise en charge médicale ; / b) si le défaut de cette prise en charge peut ou non entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité sur son état de santé ; / c) si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont le ressortissant est originaire, il pourrait ou non y bénéficier effectivement d'un traitement approprié ; / d) la durée prévisible du traitement. / Dans le cas où le ressortissant étranger pourrait bénéficier effectivement d'un traitement approprié, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, le collège indique, au vu des éléments du dossier du demandeur, si l'état de santé de ce dernier lui permet de voyager sans risque vers ce pays. / Cet avis mentionne les éléments de procédure. / (...) L'avis émis à l'issue de la délibération est signé par chacun des trois médecins membres du collège ".
3. Si les dispositions de l'article L. 311-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne sont pas applicables aux ressortissants algériens, dont la situation est entièrement régie par les stipulations de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968, il n'est toutefois pas interdit au préfet de délivrer à ces ressortissants, dans le cadre de son pouvoir discrétionnaire d'appréciation, une autorisation provisoire de séjour pour l'accompagnement de leur enfant malade. En l'espèce, le préfet de la Gironde a usé de ce pouvoir pour apprécier la situation de Mme A....
4. Cependant, pour former son appréciation, le préfet relève que " d'après l'avis du collège des médecins de l'OFII du 22 décembre ", " il apparaît que " l'état de santé de l'enfant nécessite une prise en charge médicale, que le défaut de prise en charge ne devrait pas entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, qu'au vu des éléments du dossier et à la date de l'avis, l'état de santé de cet enfant peut lui permettre de voyager sans risque vers son pays d'origine et qu'en tout état de cause, l'existence d'un traitement approprié dans le pays d'origine est sans incidence. Après avoir ainsi reproduit la teneur de l'avis du collège des médecins, le préfet en conclut que Mme A... " ne peut donc se voir délivrer une autorisation provisoire de séjour en qualité d'accompagnant d'enfant malade ". Comme le fait valoir la requérante, cette rédaction révèle que le préfet n'a pas exercé son propre pouvoir d'appréciation mais s'est senti lié par l'avis du collège des médecins. Par suite, le moyen tiré d'une erreur de droit dont est entaché le refus de séjour doit être accueilli.
Sur les conclusions à fin d'annulation des autres mesures :
5. L'annulation du refus de séjour implique nécessairement l'annulation des mesures d'éloignement et de fixation du pays de renvoi contenues dans l'arrêté attaqué.
6. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet de la Gironde du 18 juin 2018.
Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :
7. Le motif d'annulation retenu par le présent arrêt implique seulement que le préfet de la Gironde statue à nouveau sur la situation de Mme A... dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt et lui délivre, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour lui permettant de travailler. Il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 :
8. Il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat, sur le fondement de ces dispositions, la somme de 1 500 euros au profit du conseil de Mme A..., sous réserve que celui-ci renonce au bénéfice de la part contributive de l'Etat.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1804153 du tribunal administratif de Bordeaux du 11 décembre 2018, ainsi que l'arrêté du préfet de la Gironde du 18 juin 2018, sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Gironde de réexaminer la situation de Mme A... dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt et de lui délivrer, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour lui permettant de travailler.
Article 3 : L'Etat versera au conseil de Mme A... la somme de 1 500 euros sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que ledit conseil renonce au bénéfice de la part contributive de l'Etat.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A..., au ministre de l'intérieur et à Me F.... Copie pour information en sera adressée au préfet de la Nouvelle-Aquitaine.
Délibéré après l'audience du 23 septembre 2019 à laquelle siégeaient :
M. Pierre Larroumec, président,
Mme D... B..., présidente-assesseure,
Mme I..., premier conseiller,
Lu en audience publique, le 21 octobre 2019.
Le rapporteur,
I...Le président,
Pierre Larroumec
Le greffier,
Caroline Brunier
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N° 19BX01320