Procédure devant la cour :
I° Par une requête et des mémoires, enregistrés les 17 et 23 septembre et 9 décembre 2020, le préfet de la Haute-Garonne demande à la cour d'annuler le jugement du tribunal administratif de Toulouse du 29 juillet 2020 en tant qu'il a annulé la décision fixant le pays de destination et lui a enjoint de réexaminer la situation de M. D....
Le préfet de la Haute-Garonne soutient que c'est à tort que le premier juge se fonde sur des documents que l'intéressé n'aurait pu produire lors du réexamen de sa demande d'asile, en l'espèce un extrait de casier judiciaire faisant apparaître une condamnation à trois ans et neuf mois d'emprisonnement à raison de son soutien public à des partis politiques pro-kurdes, alors que ces documents ont été produits devant l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 12 septembre 2019 et que ni ce dernier ni la Cour nationale du droit d'asile ne l'ont regardé comme probant.
Par un mémoire en défense, enregistré le 27 novembre 2020, M. D..., représenté par Me Brel, demande à la cour :
- à titre principal, de rejeter la requête du préfet ;
- à titre subsidiaire, d'annuler l'obligation de quitter le territoire français et la décision fixant le pays de renvoi ;
- d'enjoindre au préfet de lui délivrer un titre de séjour dans le délai d'un mois sous astreinte de 100 euros par jour de retard ou, à défaut, de procéder au réexamen de sa situation ;
- de mettre à la charge de l'État la somme de 2 000 euros sur le fondement des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.
M. D... soutient que :
- la requête est irrecevable car signée d'une personne qui n'a pas reçu délégation pour agir au nom du préfet ;
- il encourt des risques de traitements prohibés par l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en cas de retour en Turquie
- il reprend ses moyens de première instance contre l'obligation de quitter le territoire français et la décision fixant le pays de renvoi.
Par décision du 19 novembre 2020, M. D... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.
II°) Par une requête et des mémoires, enregistrés les 17 septembre et 9 décembre 2020 sous le n° 20BX03151, le préfet de la Haute-Garonne demande à la cour de surseoir à l'exécution du jugement du tribunal administratif de Toulouse du 29 juillet 2020, et se prévaut des mêmes moyens que dans la requête n° 20BX03150.
Par un mémoire en défense, enregistré le 27 novembre 2020, M. D..., représenté par Me Brel, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de l'État la somme de 2 000 euros sur le fondement des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.
Par ordonnance du 27 novembre 2020, la clôture d'instruction a été fixée au 28 décembre 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif ;
- le code de justice administrative.
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteura publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de Mme G... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B... D..., de nationalité turque, est entré en France le 24 octobre 2018 et y a sollicité l'asile le 21 novembre suivant. Sa demande a été rejetée par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 12 mars 2019, confirmée le 31 mai 2019 par la Cour nationale du droit s'aile. Le 3 septembre 2019, M. D... a sollicité le réexamen de sa demande d'asile et sa demande a fait l'objet d'une décision d'irrecevabilité, rendue le 25 septembre 2019, par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et confirmée, le 9 décembre 2019, par la Cour nationale du droit d'asile. Par arrêté du 25 mai 2020, le préfet de la Haute-Garonne a pris à son encontre une obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours en fixant le pays de destination, mais, à la demande de M. D..., le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse, par un jugement du 29 juillet 2020, a annulé cet arrêté en tant qu'il fixe la Turquie comme pays de destination et enjoint au préfet de réexaminer la situation de M. D.... Le préfet relève appel de ce jugement en tant qu'il fait droit aux conclusions de M. D....
2. Les requêtes n° 20BX03150 et n° 20BX03151 sont relatives à un même jugement et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.
Sur la recevabilité de la requête :
3. Les requêtes du préfet de la Haute-Garonne sont signées de Mme C... F..., cheffe du bureau de l'éloignement et du contentieux, laquelle a reçu délégation, par arrêté du 2 avril 2020 régulièrement publié au recueil des actes de la préfecture du 2 avril 2020, pour signer " L'ensemble des pièces, mémoires en défense et requêtes en appel, relatives au contentieux de toutes décisions prises en matière de droit des étrangers, devant les juridictions administratives et judiciaires ". Par suite, les fins de non-recevoir tirées de l'incompétence du signataire des requêtes doivent être écartées.
Sur le motif d'annulation retenue par le premier juge :
4. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Aux termes de L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ".
5. M. D... soutient qu'il a milité au sein du parti HDP (parti démocratique des peuples) dont de très nombreux militants ont été incarcérés en Turquie. Il explique qu'il a été arrêté pendant la campagne législative, le 20 juin 2018, par les autorités turques, qui l'ont menacé de représailles s'il poursuivait son activité politique, et a été interpellé à son domicile le 22 octobre 2018, à la suite d'un match de football. À cette occasion, la section anti-terroriste du commissariat central de Sakarya l'aurait interrogé et accusé de faire la propagande du terrorisme, ce qui l'aurait conduit à fuir la Turquie pour trouver refuge en France. À l'appui de ses dires, M. D... produit un mandat d'arrêt et une décision du " tribunal de paix " de Sakarya du 12 mars 2020, qui mentionnent que l'intéressé se serait rendu coupable de propagande terroriste, et une " date du crime " du 28 janvier 2020, alors qu'à cette date M. D... avait quitté la Turquie depuis plus de quinze mois. Il produit également des courriers, dont on ne sait s'ils ont pour auteur le procureur de la République de Sakarya ou s'ils lui sont adressés, en date des 8 juillet et 30 septembre 2020, et dont la traduction approximative ne permet pas de comprendre l'objet. L'intéressé produit également un courrier adressé le 2 octobre 2020 par le " directeur adjoint de succursale antiterroriste " au procureur de la République de Sakarya, selon lequel M. D... aurait demandé à " être informé de son dossier et de son statut ", et qui affirme qu'après une recherche effectuée sur les réseaux sociaux, il aurait été constaté que l'intéressé se livrait à une propagande en faveur de l'organisation terroriste PKK/KCK. Or, ni devant le juge de l'asile, ni devant le tribunal administratif, M. D... n'a prétendu être soupçonné d'appartenir à une de ces organisations kurdes. Ainsi, les documents produits, qui ne cadrent pas avec le récit de l'intéressé, ne permettent pas de comprendre pourquoi, après avoir quitté le territoire turc en 2018, l'intéressé y serait encore activement recherché, alors mêmes que le rapport d'investigation du 2 octobre 2020 précise sa présence et son adresse en France. Ainsi, M. D..., dont au demeurant la demande d'asile a été rejetée à deux reprises par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et la Cour nationale du droit d'asile, et qui reste très vague sur son appartenance au HDP, son rôle dans le parti et les raisons pour lesquelles, après un match de football, les autorités turques souhaiteraient le poursuivre pour propagande terroriste, n'établit pas qu'il serait personnellement exposé à des risques de mauvais traitements en cas de retour en Turquie. Par suite, le préfet de la Haute-Garonne est fondé à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse s'est fondé sur ce motif pour annuler la décision fixant le pays de renvoi.
6. Il appartient, toutefois, à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. D... devant le tribunal administratif de Toulouse et devant la cour.
7. M. D... reprend en appel, sans les assortir d'arguments nouveaux ou de critique utile du jugement, les moyens tirés de ce que l'arrêté contesté serait entaché d'incompétence, insuffisamment motivé et méconnaîtrait l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il convient d'écarter ces moyens par adoption des motifs pertinents retenus par les premiers juges.
8. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Haute-Garonne est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse a annulé la décision fixant le pays de renvoi et lui a enjoint de réexaminer la situation de M. D.... Il y a lieu, en tout état de cause, de rejeter les conclusions d'appel incident présentées par M. D... y compris ses conclusions à fin d'injonction et celles présentées au titre des dispositions des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : Les articles 2 et 3 du jugement du tribunal administratif de Toulouse du 29 juillet 2020 sont annulés.
Article 2 : Les conclusions de M. D... sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... D... et au ministre de l'intérieur. Une copie en sera adressée au préfet de la Haute-Garonne.
Délibéré après l'audience du 11 mars 2021 à laquelle siégeaient :
M. Éric Rey-Bèthbéder, président,
Mme Frédérique Munoz-Pauziès, présidente-assesseure,
M. Manuel Bourgeois, premier conseiller.
Rendu public après dépôt au greffe le 8 avril 2021.
Le président de chambre,
Éric Rey-Bèthbéder
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 20BX03150-20BX03151