Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 21 mars 2019, M. A..., représenté par Me C... D..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler pour excès de pouvoir cet arrêté ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Seine-Maritime de prendre en charge sa demande d'asile sans délai à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Christian Boulanger, président de chambre, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant somalien né le 11 juin 1997, déclare avoir quitté son pays en raison de craintes de traitements inhumains ou dégradants. Il a déposé en France une demande d'asile le 27 septembre 2018. La consultation d'Eurodac a fait apparaître l'existence d'une demande d'asile en Suisse. Ce pays, consulté par la France, a accepté de le reprendre en charge. M. A... relève appel du jugement par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 14 novembre 2018 édicté par la préfète de la Seine-Maritime et ordonnant son transfert vers la Suisse.
2. A la différence de l'obligation d'information instituée par le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, qui prévoit un document d'information sur les droits et obligations des demandeurs d'asile, dont la remise doit intervenir au début de la procédure d'examen des demandes d'asile pour permettre aux intéressés de présenter utilement leur demande aux autorités compétentes, l'obligation d'information prévue par les dispositions de l'article 29, paragraphe 1, du règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013, a uniquement pour objet et pour effet de permettre d'assurer la protection effective des données personnelles des demandeurs d'asile concernés, laquelle est garantie par l'ensemble des Etats membres relevant du régime européen d'asile commun. Le droit d'information des demandeurs d'asile contribue, au même titre que le droit de communication, le droit de rectification et le droit d'effacement de ces données, à cette protection. Dès lors, la méconnaissance de cette obligation d'information ne peut être utilement invoquée à l'encontre des décisions par lesquelles le préfet transfère un demandeur d'asile aux autorités compétentes de l'Etat qui s'est reconnu responsable de l'examen de sa demande.
3. Aux termes de l'article 4 - Droit à l'information - du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un Etat membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, et notamment: a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un Etat membre différent ainsi que des conséquences du passage d'un Etat membre à un autre pendant les phases au cours desquelles l'Etat membre responsable en vertu du présent règlement est déterminé et la demande de protection internationale est examinée; / b) des critères de détermination de l'Etat membre responsable, de la hiérarchie de ces critères au cours des différentes étapes de la procédure et de leur durée, y compris du fait qu'une demande de protection internationale introduite dans un Etat membre peut mener à la désignation de cet Etat membre comme responsable en vertu du présent règlement même si cette responsabilité n'est pas fondée sur ces critères ; / c) de l'entretien individuel en vertu de l'article 5 et de la possibilité de fournir des informations sur la présence de membres de la famille, de proches ou de tout autre parent dans les Etats membres, y compris des moyens par lesquels le demandeur peut fournir ces informations; / d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert; / e) du fait que les autorités compétentes des Etats membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d'exécuter leurs obligations découlant du présent règlement; / f) de l'existence du droit d'accès aux données le concernant et du droit de demander que ces données soient rectifiées si elles sont inexactes ou supprimées si elles ont fait l'objet d'un traitement illicite, ainsi que des procédures à suivre pour exercer ces droits, y compris des coordonnées des autorités visées à l'article 35 et des autorités nationales chargées de la protection des données qui sont compétentes pour examiner les réclamations relatives à la protection des données à caractère personnel. / 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les Etats membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. / Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel visé à l'article 5. / 3. La Commission rédige, au moyen d'actes d'exécution, une brochure commune ainsi qu'une brochure spécifique pour les mineurs non accompagnés, contenant au minimum les informations visées au paragraphe 1 du présent article. Cette brochure commune comprend également des informations relatives à l'application du règlement (UE) n°603/2013 et, en particulier, à la finalité pour laquelle les données relatives à un demandeur peuvent être traitées dans Eurodac. La brochure commune est réalisée de telle manière que les Etats membres puissent y ajouter des informations spécifiques aux Etats membres. Ces actes d'exécution sont adoptés en conformité avec la procédure d'examen visée à l'article 44, paragraphe 2, du présent règlement ".
4. Il ressort des pièces du dossier que M. A... s'est vu remettre l'information sur les règlements communautaires, à savoir les brochures A " j'ai demandé l'asile dans l'Union européenne - quel pays sera responsable de l'analyse de ma demande ' " et B " je suis sous procédure Dublin - qu'est-ce que cela signifie ' " en langue somali qu'il a déclaré comprendre. En revanche, le guide du demandeur d'asile lui a été remis en langue française qu'il ne comprend pas. Il ressort cependant des mentions figurant sur la page de garde de ce guide, non contestées par l'intéressé, que les informations contenues dans ce document ont été portées à sa connaissance par l'intermédiaire d'un interprète. Dans ces conditions, M. A... n'a pas été privé de la garantie instituée par l'article 4 précité. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de cet article doit être écarté.
5. L'article 5 du règlement (UE) du 26 juin 2013 dispose que : " Entretien individuel : / 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, l'Etat membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4 / (...) / 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les Etats membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national / (...) ".
6. Il ressort des pièces du dossier, notamment des éléments versés aux débats par le préfet, que M. A... a bénéficié de l'entretien individuel prévu par les dispositions précitées de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 dans les locaux de la préfecture des Hauts-de-Seine le 27 septembre 2018. Il a, à cette occasion, été assisté d'un interprète en langue somali. Il ne ressort pas des pièces du dossier, et il n'est pas établi par l'appelant, que cet entretien ne se serait pas déroulé dans les conditions, notamment de confidentialité, prévues par l'article 5 précité. En outre, en l'absence de tout élément de nature à faire naître un doute sérieux sur ce point, il n'est pas établi que l'agent de la préfecture qui a mené cet entretien n'aurait pas été mandaté à cet effet après avoir bénéficié d'une formation appropriée et ne serait, par suite, pas une " personne qualifiée en vertu du droit national " au sens des dispositions citées au point précédent. Le requérant ne précise d'ailleurs pas en quoi l'agent de la préfecture n'aurait pas mené cet entretien conformément aux exigences prévues par le règlement du 26 juin 2013, ni en quoi la procédure de détermination de l'Etat responsable aurait été faussée en l'espèce compte tenu des conditions dans lesquelles cet entretien s'est déroulé. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que les obligations prévues à l'article 5 du règlement n'auraient pas été satisfaites doit être écarté.
7. En application de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la décision de transfert dont fait l'objet un ressortissant de pays tiers ou un apatride qui a déposé auprès des autorités françaises une demande d'asile dont l'examen relève d'un autre Etat membre ayant accepté de le prendre ou de le reprendre en charge doit être motivée, c'est-à-dire qu'elle doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement.
8. Pour l'application de ces dispositions, est suffisamment motivée une décision de transfert qui mentionne le règlement du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et comprend l'indication des éléments de fait sur lesquels l'autorité administrative se fonde pour estimer que l'examen de la demande présentée devant elle relève de la responsabilité d'un autre Etat membre, une telle motivation permettant d'identifier le critère du règlement communautaire dont il est fait application.
9. L'arrêté en litige vise le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et précise que M. A... a demandé l'asile en Suisse le 24 août 2015 et que les autorités suisses, saisies par la France le 9 novembre 2018 sur le fondement du paragraphe b) du 1 de l'article 18 de ce règlement, ont explicitement accepté de le reprendre en charge le 12 novembre 2018 sur le fondement du paragraphe d) du 1 de l'article 18 du même règlement. Dès lors, l'arrêté en litige énonce les considérations de droit et de fait sur lesquelles il se fonde avec une précision suffisante pour permettre à M. A... de comprendre les motifs de la décision et, le cas échéant, d'exercer utilement son recours. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de l'arrêté contesté doit être écarté.
10. Aux termes de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 - Accès à la procédure d'examen d'une demande de protection internationale : " (...) / 2. Lorsqu'aucun Etat membre responsable ne peut être désigné sur la base des critères énumérés dans le présent règlement, le premier Etat membre auprès duquel la demande de protection internationale a été introduite est responsable de l'examen. / Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable. / (...) ". Aux termes de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Nul ne peut être soumis à la torture, ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".
11. M. A... ne peut utilement faire valoir qu'il serait personnellement exposé à des risques de traitements inhumains ou dégradants en cas de retour ultérieur en Somalie, à l'encontre de la décision attaquée, qui ne prononce pas son éloignement vers ce pays mais son transfert aux autorités suisses. Si la Suisse a accepté de reprendre en charge l'intéressé sur son territoire sur le fondement du d) du premier paragraphe de l'article 18 du règlement du 26 juin 2013, qui prévoit la reprise en charge après le rejet d'une demande d'asile, il n'est pas allégué que les autorités de cet Etat n'auraient pas procédé à un examen sérieux et attentif de cette demande. En outre, si le requérant fait valoir qu'il fait l'objet, de la part des autorités suisses, d'une mesure d'éloignement, il n'est pas établi que cette mesure doit s'effectuer à destination de la Somalie, ni que, en pareil cas, il ne disposerait pas d'une voie de recours effective contre cette mesure, ni enfin, en tout état de cause, que les autorités suisses n'évalueront pas, avant l'exécution d'une telle mesure, les risques réels et actuels de mauvais traitements qui naîtraient pour lui du fait de son éventuel retour en Somalie. Dès lors, les moyens tirés de la méconnaissance de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne doivent être écartés.
12. Pour les motifs évoqués au point précédent, la préfète de la Seine-Maritime n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation en ne faisant pas usage du pouvoir discrétionnaire qu'elle tient de l'article 17 du règlement du 26 juin 2013.
13. Le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation des conséquences de la décision attaquée sur la situation personnelle du requérant n'est pas assorti des précisions suffisantes permettant à la cour d'en apprécier l'éventuel bien-fondé.
14. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et celles présentées sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., au ministre de l'intérieur et à Me C... D....
Copie en sera transmise pour information au préfet de la Seine-Maritime.
N°19DA00706 6