Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 31 août 2016 et 15 mars 2017, la société Granimond, représentée par Me A...B..., demande à la cour :
1°) de réformer ce jugement en tant qu'il a limité à 2 500 euros l'indemnité qui lui est due par la commune de Camon ;
2°) de condamner la commune de Camon à lui verser la somme de 23 406,28 euros au titre de la perte de chance d'obtenir le contrat et du manque à gagner ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Camon le versement de la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La clôture de l'instruction a été fixée au 21 février 2018 par une ordonnance du 7 février 2018.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des marchés publics ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Charles-Edouard Minet, premier conseiller,
- les conclusions de Mme Amélie Fort-Besnard, rapporteur public,
- et les observations de Me C...D..., représentant la commune de Camon.
Considérant ce qui suit :
1. Par un avis d'appel public à la concurrence du 13 janvier 2012, la commune de Camon a lancé une procédure adaptée sur le fondement de l'article 28 du code des marchés publics ayant pour objet la fourniture et la pose d'un columbarium dans le cimetière communal. Par une lettre du 16 avril 2012, la commune a informé la société Granimond que son offre n'était pas retenue. La société Granimond a demandé au tribunal administratif d'Amiens d'engager la responsabilité pour faute de la commune de Camon et de la condamner à lui verser la somme de 28 000 euros en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait de son éviction du marché. Elle relève appel du jugement du 28 juin 2016 par lequel le tribunal administratif d'Amiens a limité la condamnation de la commune à lui verser une somme de 2 500 euros à ce titre. Par voie d'appel incident, la commune de Camon demande à la cour d'annuler ce jugement et de rejeter la demande de la société Granimond.
Sur la responsabilité de la commune de Camon :
En ce qui concerne la faute retenue par le tribunal administratif :
2. Aux termes du I de l'article 53 du code des marchés publics, alors en vigueur : " Pour attribuer le marché au candidat qui a présenté l'offre économiquement la plus avantageuse, le pouvoir adjudicateur se fonde : / 1° Soit sur une pluralité de critères non discriminatoires et liés à l'objet du marché, notamment la qualité, le prix, la valeur technique, le caractère esthétique et fonctionnel, les performances en matière de protection de l'environnement, les performances en matière de développement des approvisionnements directs de produits de l'agriculture, les performances en matière d'insertion professionnelle des publics en difficulté, le coût global d'utilisation, les coûts tout au long du cycle de vie, la rentabilité, le caractère innovant, le service après-vente et l'assistance technique, la date de livraison, le délai de livraison ou d'exécution, la sécurité d'approvisionnement, l'interopérabilité et les caractéristiques opérationnelles. D'autres critères peuvent être pris en compte s'ils sont justifiés par l'objet du marché ; / 2° Soit, compte tenu de l'objet du marché, sur un seul critère, qui est celui du prix ".
3. Pour assurer le respect des principes de liberté d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, l'information appropriée des candidats sur les critères d'attribution d'un marché public est nécessaire, dès l'engagement de la procédure d'attribution du marché, dans l'avis d'appel public à concurrence ou le cahier des charges tenu à la disposition des candidats. Dans le cas où le pouvoir adjudicateur souhaite retenir d'autres critères que celui du prix, l'information appropriée des candidats doit alors porter également sur les conditions de mise en oeuvre de ces critères. Il appartient au pouvoir adjudicateur d'indiquer les critères d'attribution du marché et les conditions de leur mise en oeuvre selon les modalités appropriées à l'objet, aux caractéristiques et au montant du marché concerné.
4. Il est constant que la commune de Camon a retenu quatre critères d'attribution du marché portant, en premier lieu, sur le prix, en deuxième lieu, sur l'esthétique des modèles présentés, en troisième lieu, sur le dossier technique et les références et, en dernier lieu, sur le délai d'exécution des travaux qu'elle a pondérés à hauteur respectivement de 50 %, 30 %, 10 % et 10 %. La commune de Camon, qui était libre de choisir les critères d'attribution du marché dès lors qu'ils lui permettaient de déterminer l'offre économiquement la plus avantageuse, pouvait, eu égard à l'objet du marché, retenir le critère esthétique. Toutefois, il résulte de l'instruction que la commune n'a pas communiqué aux candidats, ni par l'intermédiaire des documents de la consultation, ni par d'autres modalités, de précisions pertinentes sur les conditions de mise en oeuvre du critère esthétique. Dès lors, eu égard à l'insuffisante définition de ses attentes en la matière, ainsi qu'à la marge de choix discrétionnaire qu'elle s'est ainsi réservée, - ce dont témoigne au demeurant le classement des offres réalisé au terme de la procédure, un candidat ayant été noté 10/10 et les trois autres 0/10 -, la commune n'a pas prévu des modalités d'examen des offres garantissant l'égalité de traitement des candidats et la transparence de la procédure. S'il est vrai que le critère esthétique n'occupait pas la place prépondérante dans le jugement des offres, le coefficient de pondération de 30 % qui lui était affecté, le plaçait néanmoins en deuxième position, ce qui a contribué à lui conférer un poids important dans l'appréciation globale, notamment également au regard des notations retenues qui ont été rappelées précédemment. Dans ces conditions, la commune de Camon a manqué aux obligations de publicité et de mise en concurrence qui lui incombaient. Elle a, par suite, commis une faute de nature à engager sa responsabilité.
En ce qui concerne les autres fautes invoquées par la société Granimond :
5. En se bornant à soutenir que la méthode de notation des offres était viciée dès lors qu'elle a permis d'attribuer le marché à une offre qui n'était pas la meilleure, la société Granimond, qui n'assortit ce moyen d'aucune autre précision, ne peut être regardée comme établissant l'irrégularité de cette méthode.
6. Aux termes de l'article 83 du code des marchés publics, alors en vigueur : " Le pouvoir adjudicateur communique à tout candidat écarté qui n'a pas été destinataire de la notification prévue au 1° du I de l'article 80 les motifs du rejet de sa candidature ou de son offre dans les quinze jours de la réception d'une demande écrite à cette fin. / Si le candidat a vu son offre écartée alors qu'elle n'était aux termes de l'article 35 ni inappropriée, ni irrégulière, ni inacceptable, le pouvoir adjudicateur est en outre tenu de lui communiquer les caractéristiques et les avantages relatifs de l'offre retenue ainsi que le nom du ou des attributaires du marché ou de l'accord-cadre ". Ces dispositions ont notamment pour objet de permettre à la société évincée de contester le rejet qui lui est opposé. Il en résulte qu'une méconnaissance de l'obligation de communication qui incombe au pouvoir adjudicateur constitue une atteinte aux obligations de publicité et de mise en concurrence susceptible de léser cette société en l'empêchant de contester utilement le rejet de son offre.
7. Il résulte de l'instruction que le courrier du maire de Camon du 16 avril 2012, informant la société Granimond que sa candidature n'a pas été retenue, ne comportait aucune précision sur les motifs du rejet de son offre. Interrogé par la société Granimond, par un courrier du 26 avril 2012, sur le nom de l'entreprise retenue et les caractéristiques de son offre, le maire de Camon n'a pas davantage communiqué ces informations. Il en résulte que la commune a méconnu les dispositions citées au point 6 et ainsi commis une faute de nature à engager sa responsabilité.
8. Enfin, la circonstance, à la supposer établie, que l'entreprise choisie par la commune n'aurait pas exécuté le contrat conformément à ses stipulations n'est pas, en tout état de cause, de nature à établir l'existence d'une faute de la commune lors de la passation du marché.
Sur le lien de causalité entre la faute et l'éviction de la société Granimond :
9. Lorsqu'un candidat à l'attribution d'un contrat public demande la réparation du préjudice qu'il estime avoir subi du fait de l'irrégularité ayant, selon lui, affecté la procédure ayant conduit à son éviction, il appartient au juge, si cette irrégularité est établie, de vérifier qu'il existe un lien direct de causalité entre la faute en résultant et les préjudices dont le candidat demande l'indemnisation. Il s'en suit que lorsque l'irrégularité ayant affecté la procédure de passation n'a pas été la cause directe de l'éviction du candidat, il n'y a pas de lien direct de causalité entre la faute résultant de l'irrégularité et les préjudices invoqués par le requérant à raison de son éviction. Sa demande de réparation des préjudices allégués ne peut alors qu'être rejetée.
10. Il résulte de l'instruction que l'irrégularité du critère esthétique a exercé une influence directe sur la sélection des offres puisque seule l'entreprise Munier a obtenu la note de 10/10 pour ce critère, les trois autres entreprises candidates ayant obtenu la note de 0/10 et ayant ainsi été éliminées. Une meilleure définition des attentes de la commune en la matière aurait été de nature à placer les quatre candidats sur un terrain d'égalité de traitement et, par suite, à influer sur le classement des offres. Il existe, dès lors, un lien direct de causalité entre la faute relevée au point 4 et les préjudices invoqués par la société Granimond à raison de son éviction.
11. En revanche, aucun lien de causalité direct et certain n'est établi entre la faute, relevée au point 7, ayant consisté, postérieurement à l'attribution du marché, à ne pas avoir communiqué les motifs du rejet de l'offre à la société Granimond et les préjudices qu'elle invoque qui tiennent à son éviction du marché en cause compte tenu des modalités d'examen des offres.
Sur le préjudice subi par la société Granimond :
12. Lorsqu'une entreprise candidate à l'attribution d'un marché public demande la réparation du préjudice né de son éviction irrégulière de ce marché, il appartient au juge de vérifier d'abord si l'entreprise était dépourvue de toute chance de remporter le marché. Dans l'affirmative, l'entreprise n'a droit à aucune indemnité. Dans la négative, elle a droit en principe au remboursement des frais qu'elle a engagés pour présenter son offre. Dans le cas où l'entreprise avait des chances sérieuses d'emporter le marché, elle a droit à l'indemnisation de l'intégralité du manque à gagner qu'elle a subi.
13. Il résulte de l'instruction qu'à l'issue de la procédure d'examen des offres, la société Granimond a été classée en dernière position derrière les trois autres entreprises candidates à l'attribution du marché. Dans l'hypothèse où le critère esthétique, dont l'irrégularité a été établie au point 4, serait neutralisé, la société Granimond se trouverait classée en troisième position au regard du critère du prix, valorisé à 50 %, pour lequel elle a été classée en troisième position, et du critère du délai pour lequel elle a obtenu la note de 0/10, le quatrième critère ayant donné lieu à la même note pour les quatre candidates. En outre, s'agissant du seul critère esthétique, il résulte de l'instruction que, au regard de son catalogue, la société Granimond n'aurait pas été la mieux placée pour satisfaire aux attentes de la commune de Camon. En effet, il s'est avéré qu'elle recherchait un modèle de forme originale et son choix s'est porté à l'unanimité sur une forme pyramidale. Dans ces conditions, si compte tenu des qualités de son offre et de la notation attribuée aux trois critères qui n'étaient pas entachés d'irrégularité, la société Granimond n'était pas dépourvue de toute chance de remporter le contrat, elle doit être regardée, en revanche, comme ayant été dépourvue d'une chance sérieuse de l'emporter.
14. Il s'en suit que la société Granimond ne peut prétendre qu'à une indemnité correspondant au remboursement des frais qu'elle a engagés pour présenter son offre selon les règles rappelées au point 12.
15. Il résulte de ce qui a été dit aux points 2 à 14 que les conclusions d'appel principal de la société Granimond doivent être rejetées. Au titre de son appel incident, la commune de Camon est fondée, quant à elle, à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Amiens a prononcé sa condamnation à indemniser la société Granimond du manque à gagner qu'elle aurait subi du fait de son éviction irrégulière du marché.
16. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par la société Granimond devant la juridiction administrative.
17. Ainsi qu'il a été dit au point 14, la société Granimond ne peut prétendre qu'à une indemnité correspondant au remboursement des frais qu'elle a engagés pour présenter son offre selon les règles rappelées au point 12.
18. Il résulte de l'instruction, et notamment des pièces produites par la société Granimond, qu'il sera fait une juste appréciation des frais exposés par cette dernière pour la présentation de son offre en les fixant à la somme de 1 500 euros.
19. Il résulte de tout ce qui précède que la société Granimond qui n'est pas fondée, par la voie de l'appel principal, ainsi qu'il a été dit au point 15, à demander une augmentation du montant de la condamnation de la commune de Camon, peut seulement prétendre, à la suite de l'appel incident de la commune, au maintien d'une condamnation à l'encontre de cette collectivité. Pour sa part, la commune de Camon qui n'est pas fondée, par la voie de l'appel incident, à demander le rejet de toute condamnation à son égard, est seulement fondée à demander que la condamnation prononcée à son encontre soit réduite. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, ainsi qu'il a été dit au point 18, de ramener la condamnation prononcée à l'encontre de la commune de Camon de la somme de 2 500 euros à celle de 1 500 euros. En l'absence au demeurant de débat sur ce point, cette somme sera, ainsi qu'il en a été jugé par le tribunal, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 17 mai 2014, et ces intérêts seront capitalisés à compter du 21 mai 2015 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date. L'article 1er du jugement du tribunal administratif d'Amiens est réformé dans le sens de ce qui précède.
Sur les frais liés au litige :
20. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'une ou l'autre des parties le versement à son adversaire de la somme qu'elles demandent en appel sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : Le montant que la commune de Camon a été condamnée à verser à la société Granimond, par l'article 1er du jugement du 28 juin 2016 du tribunal administratif d'Amiens, est ramené à la somme de 1 500 euros. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 17 mai 2014. Ces intérêts seront capitalisés au 21 mai 2015, ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la société Granimond et de la commune de Camon est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Granimond et à la commune de Camon.
Copie en sera adressée pour information au préfet de la Somme.
Délibéré après l'audience publique du 22 mars 2018 à laquelle siégeaient :
- M. Olivier Yeznikian, président de chambre,
- M. Michel Richard, président-assesseur,
- M. Charles-Edouard Minet, premier conseiller.
Lu en audience publique le 5 avril 2018.
Le rapporteur,
Signé : C.-E. MINETLe premier vice-président de la cour,
Président de chambre,
Signé : O. YEZNIKIAN
Le greffier,
Signé : C. SIRE
La République mande et ordonne au préfet de la Somme et au ministre de l'économie et des finances chacun en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
Le greffier en chef,
Par délégation,
Le greffier,
Christine Sire
N°16DA01558 2