Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 20 février 2018, le préfet de l'Eure demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande de M.D....
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention de Genève du 28 juillet 1951 ;
- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Jimmy Robbe, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M.D..., ressortissant guinéen, a déposé en France une demande d'asile le 13 novembre 2017. Les contrôles effectués par les services de la préfecture ont révélé que l'intéressé avait été identifié en Italie le 23 juin 2017 sous le numéro IT1VA03J3U. Le préfet de l'Eure a saisi les autorités italiennes d'une demande de reprise en charge, en application de l'article 13.1 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, qui a fait l'objet d'un accord implicite. Par un arrêté du 12 janvier 2018, le préfet de l'Eure a ordonné son transfert aux autorités italiennes. Le préfet de l'Eure relève appel du jugement du 6 février 2018 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen a, à la demande de M.D..., annulé cet arrêté.
Sur le motif d'annulation retenu par le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen :
2. Aux termes de l'article 7 - hiérarchie des critères - du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride : " (...) / 2. La détermination de l'État membre responsable en application des critères énoncés dans le présent chapitre se fait sur la base de la situation qui existait au moment où le demandeur a introduit sa demande de protection internationale pour la première fois auprès d'un État membre. (...) / ". Aux termes de l'article 8 - Mineurs - de ce même règlement : " (...) 4. En l'absence de membres de la famille, de frères ou soeurs ou de proches visés aux paragraphes 1 et 2, l'État membre responsable est celui dans lequel le mineur non accompagné a introduit sa demande de protection internationale, à condition que ce soit dans l'intérêt supérieur du mineur. / (...) ".
3. M. D...a toujours déclaré, jusqu'à l'intervention de la décision en litige, être né le 1er août 1999. A cet égard, l'allégation selon laquelle il aurait, à l'occasion de sa seconde audition par les services de la préfecture, indiqué être né le 26 mai 2001 ne repose sur aucun commencement de preuve. Pour revenir sur ses propres déclarations et tenter de justifier de sa minorité au moment où il a introduit sa demande de protection internationale, M. D...produit copie d'un " jugement supplétif tenant lieu d'acte de naissance ", qui aurait été rendu le 11 janvier 2018 par le tribunal de première instance de Conakry III - Mafanco, et déclarant que " que M. F... D...est né le 26 mai 2001 à Conakry ". Cependant, il ressort d'une note d'actualité établie le 1er décembre 2017 par la division de l'expertise en fraude documentaire et à l'identité, relevant de la direction générale de la police nationale du ministère de l'intérieur, qu'il existe, ainsi que le relève lui-même le service de sécurité intérieure (SSI) de Guinée (Conakry), une fraude généralisée relative aux actes d'état civil et aux jugements supplétifs " tenant lieu d'acte de naissance " en Guinée (Conakry). M. D... ne remet pas en cause l'existence de cette fraude généralisée. S'il verse également au dossier la copie d'un diplôme de baccalauréat du second degré, qui lui aurait été délivré le 10 août 2016 par le ministère de l'enseignement supérieur pré-universitaire et de l'éducation civique de la République de Guinée, d'un document intitulé " contribution de vie étudiante et de campus ", établi le 5 octobre 2015 par le ministère français de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation, et d'une attestation d'inscription à l'université de Rouen-Normandie au titre de l'année 2018/2019 ces documents, qui indiquent que M. D...est né le 26 mai 2001, mais qui ne constituent pas des actes d'état civil, sont insuffisants, compte tenu des déclarations initiales de M. D..., à établir la minorité de celui-ci au moment où il a introduit sa demande de protection internationale.
4. C'est par suite à tort que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen a considéré que l'intéressé était mineur à la date de présentation de sa demande d'asile et qu'il a, au motif de la méconnaissance du 4. de l'article 8 du règlement n° 604/2013, annulé la décision de transfert aux autorités italiennes.
5. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. D... à l'encontre de l'arrêté attaqué devant le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen.
Sur les autres moyens :
6. Par un arrêté du 2 janvier 2018, publié le même jour au recueil des actes administratifs spécial de la préfecture de l'Eure, le préfet de l'Eure a donné délégation à Mme C...E..., cheffe du bureau migration et intégration de la préfecture de l'Eure, aux fins de signer, notamment, la décision en litige. Le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de la décision contestée manque donc en fait et doit être écarté.
7. Pour les motifs énoncés au point 3, doit aussi être écarté le moyen tiré de ce que l'arrêté en litige, en tant qu'il mentionne que M. D...est né le 1er août 1999, est entaché d'erreur de fait.
8. La décision en litige, par laquelle a été ordonné le transfert de M. D...aux autorités italiennes, trouve son fondement légal dans les dispositions de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, aux termes desquelles : " Sous réserve du second alinéa de l'article L. 742-1, l'étranger dont l'examen de la demande d'asile relève de la responsabilité d'un autre État peut faire l'objet d'un transfert vers l'État responsable de cet examen ". Cette mesure ne constitue pas une obligation de quitter le territoire français prise en vertu des dispositions de l'article L. 511-1 du même code. Dès lors, M. D...ne peut utilement se prévaloir du moyen tiré de la méconnaissance des dispositions du 1° de l'article L. 511-4 de ce code, qui font obstacle à ce qu'une telle obligation soit prise à l'encontre d'un étranger mineur de dix-huit ans. En tout état de cause, et ainsi qu'il a déjà été indiqué, M. D...n'établit pas être mineur de dix-huit ans à la date de l'arrêté attaqué.
9. Aux termes de l'article 17 - Clauses discrétionnaires - du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / (...) ". Il en résulte que la faculté qu'ont les autorités françaises d'examiner une demande d'asile présentée par un ressortissant d'un état tiers, alors même que cet examen ne leur incombe pas, relève de l'entier pouvoir discrétionnaire du préfet et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.
10. Il ressort des pièces du dossier que l'entrée en France de M. D...est très récente et que, dépourvu de toute ressource propre et hébergé de façon précaire, il n'a aucune famille sur le territoire national. Dans ces conditions, le moyen tiré de l'erreur manifeste que le préfet de l'Eure aurait commise dans l'appréciation de la situation de l'intéressé au regard des dispositions de l'article 17 du règlement n° 604/2013 précité doit être écarté.
11. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de l'Eure est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen a annulé l'arrêté du 12 janvier 2018 ordonnant le transfert de M. D...aux autorités italiennes et lui a enjoint d'examiner de nouveau la situation de celui-ci. Les conclusions tendant à l'annulation de cet arrêté étant ainsi rejetées, les conclusions à fin d'injonction présentées par M. D... doivent, par voie de conséquence et en tout état de cause, être également rejetées.
Sur les frais liés au litige :
12. Les dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'État, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement au conseil de M. D...de la somme qu'il demande sur ce fondement.
DÉCIDE :
Article 1er : Les articles 2 à 4 du jugement du 6 février 2018 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen sont annulés.
Article 2 : La demande présentée par M. D...devant le tribunal administratif de Rouen, tendant à l'annulation de l'arrêté 12 janvier 2018 ordonnant son transfert aux autorités italiennes et au prononcé d'injonctions, est rejetée.
Article 3 : Les conclusions présentées en appel par le conseil de M. D...sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à M. F...D...et à Me B...A....
Copie en sera adressée pour information au préfet de l'Eure.
N°18DA00382 2