Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 7 juin 2019, la caisse primaire d'assurance maladie du Hainaut, représentée par Me C... D..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'ordonner avant dire droit une expertise médicale ;
3°) de condamner le centre hospitalier de Valenciennes à lui verser la somme globale de 1 373 486, 06 euros en remboursement de ses débours ;
4°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Valenciennes une somme de 1 047 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue à l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale ;
5°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Valenciennes le versement d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Anne Khater, premier conseiller,
- les conclusions de M. Bertrand Baillard, rapporteur public,
- et les observations de Me B... F... pour le centre hospitalier de Valenciennes et la société hospitalière d'assurances mutuelles.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... E..., alors âgé de cinquante et un ans et suivi depuis le mois de juin 2012 en médecine interne au centre hospitalier de Valenciennes pour un angio-oedème histaminique, a été admis le 26 avril 2013 dans ce même établissement au sein du service de néphrologie, pour investigations diagnostiques sur l'origine de sa pathologie. Il y a été placé en chambre double, partagée avec un voisin de chambre qui a été transféré en réanimation le 29 avril 2013, suite à la dégradation de son état respiratoire. M. E... a regagné son domicile le 30 avril 2013. Le 9 mai 2013, il a été victime d'un malaise avec révulsion oculaire, justifiant son admission le jour même au centre hospitalier régional universitaire de Lille, dans le service des maladies infectieuses. Entre-temps, le 1er mai 2013, avait été posée pour son ancien voisin de chambre l'hypothèse d'un cas de Middle East Respiratory Syndrom Coronavirus (MERS Co V). Le 12 mai 2013, M. E... a été transféré dans le service de réanimation du centre hospitalier régional universitaire de Lille, en raison de la dégradation rapide de son état respiratoire, consécutive à une pneumonie d'origine virale. Le 20 janvier 2014, il a été transféré en rééducation, avant d'être de nouveau admis en réanimation, à compter du 11 avril 2014, pour la prise en charge de complications respiratoires. Le 3 novembre 2014, M. E... est décédé au centre hospitalier régional universitaire de Lille.
2. Saisie par la veuve de M. E..., la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux a, suite au dépôt du rapport de l'expertise diligentée à sa demande et confiée au docteur Sollet et au docteur Denis, médecins spécialisés en maladies infectieuses, émis un avis, en date du 23 septembre 2015, en faveur d'une indemnisation par l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, au titre de la solidarité nationale, en considérant que le décès de M. E... était dû à une infection à caractère nosocomial par la transmission du MERS-CoV par son voisin de chambre au centre hospitalier de Valenciennes. Estimant que le centre hospitalier de Valenciennes avait commis une faute à l'origine du décès de M. E..., la caisse primaire d'assurance maladie du Hainaut a saisi le tribunal administratif de Lille d'une demande de remboursement par l'établissement de santé des débours exposés en faveur de son assuré. Par un jugement du 10 avril 2019, le tribunal administratif de Lille a mis hors de cause l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, rejeté la demande de la caisse primaire d'assurance maladie du Hainaut et mis à la charge de la caisse le versement d'une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. La caisse primaire d'assurance maladie du Hainaut forme appel contre ce jugement.
Sur le caractère nosocomial de l'infection contractée par M. E... :
3. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. / Les établissements, services et organismes susmentionnés sont responsables des dommages résultant d'infections nosocomiales, sauf s'ils rapportent la preuve d'une cause étrangère (...) ". Doit être regardée, au sens de ces dispositions, comme présentant un caractère nosocomial une infection survenant au cours ou au décours de la prise en charge d'un patient et qui n'était ni présente, ni en incubation au début de celle-ci, sauf s'il est établi qu'elle a une autre origine que la prise en charge.
4. Il résulte de l'instruction et, notamment, du rapport d'expertise du 2 juillet 2015 que lors de son hospitalisation dans le service de néphrologie, M. E... a eu pour voisin de chambre, du 26 avril au 29 avril 2013, un patient pour lequel le diagnostic a été posé, le 9 mai suivant, d'une contamination au MERS Co V et que la contamination de M. E... a résulté de la transmission interhumaine intra-hospitalière de ce virus entre les deux patients. M. E... est décédé le 3 novembre 2014 des complications respiratoires de cette infection qui n'était ni présente, ni en incubation au début de son hospitalisation au centre hospitalier de Valenciennes et dont il n'est pas établi, ni même soutenu, qu'elle aurait une autre origine que sa prise en charge dans cet établissement. Par suite, la contamination de M. E... présente le caractère d'une infection nosocomiale au sens des dispositions citées au point précédent.
Sur la responsabilité du centre hospitalier de Valenciennes :
5. Il résulte des dispositions du septième alinéa de l'article L. 1142-17 et du deuxième alinéa de l'article L. 1142-21 du code de la santé publique que le législateur, dérogeant dans cette hypothèse aux dispositions du second alinéa du I de l'article L. 1142-1, qui prévoit un régime de responsabilité de plein droit des établissements de santé en cas d'infection nosocomiale, a entendu que la responsabilité de l'établissement où a été contractée une infection nosocomiale dont les conséquences présentent le caractère de gravité défini à l'article L. 1142-1-1 ne puisse être recherchée qu'en cas de faute établie à l'origine du dommage, notamment un manquement caractérisé aux obligations posées par la réglementation en matière de lutte contre les infections nosocomiales. Il suit de là que, lorsque le degré de gravité des dommages résultant de l'infection nosocomiale excède le seuil prévu à l'article L. 1142-1-1, c'est seulement au titre d'une telle faute qu'une caisse de sécurité sociale ayant versé des prestations à la victime peut exercer une action subrogatoire contre l'établissement où l'infection a été contractée.
6. En l'espèce, la caisse primaire d'assurance maladie du Hainaut soutient que le décès de M. E... trouve son origine dans la faute du centre hospitalier de Valenciennes qui n'a pas pris les mesures nécessaires, notamment d'isolement du voisin de chambre de M. E... lors de son hospitalisation dans le service de néphrologie alors que dès le 26 avril 2013, le patient déjà présent en chambre devait être regardé comme le cas index d'infection au MERS Co V compte tenu des signes cliniques et radiologiques qu'il présentait et de son séjour récent à Dubaï.
7. Il résulte de l'instruction que le 19 mars 2013, alors qu'aucun cas n'avait encore été identifié en France, le Haut Conseil de la santé publique a diffusé un avis recommandant aux établissements hospitaliers, afin d'éviter le risque de contagion au MERS Co V, d'isoler les patients ayant voyagé ou séjourné dans l'un des pays de la péninsule arabique et présentant des signes cliniques et/ou radiologiques de détresse respiratoire aiguë ou d'infection du parenchyme pulmonaire, conjugués à une fièvre supérieure à 38° C avec toux, sans autre étiologie identifiée pouvant expliquer la pathologie. Il n'est pas contesté que le voisin de chambre de M. E..., qui a été diagnostiqué le 7 mai suivant porteur de ce coronavirus, avait déclaré avoir séjourné à Dubaï du 7 au 13 avril 2013. Cependant, ce patient, qui souffrait d'une insuffisance rénale, avait été admis le 23 avril 2013 pour des diarrhées, ce qui ne correspondait pas a priori au profil d'alerte établi par le Haut Conseil de la santé publique dans son avis du 19 mars précédent. Si le scanner abdominal réalisé le 25 avril 2013 a mis en évidence chez ce patient des condensations pulmonaires justifiant des investigations pour éliminer les étiologies d'infections respiratoires envisageables, ce n'est que le 26 avril que sont apparus des signes respiratoires importants nécessitant une oxygénothérapie, ce qui ne correspondait pas encore aux signes de détresse respiratoire aiguë décrits par le Haut Conseil de la santé publique. En définitive, les premiers signes de détresse respiratoire aiguë n'ont été décrits qu'à compter du 29 avril suivant, date à laquelle ce patient a été transféré en réanimation. C'est donc à juste titre que les premiers juges ont relevé qu'il ne résultait pas de l'instruction, et notamment du rapport du service d'hygiène du centre hospitalier de Valenciennes, que le patient index aurait présenté les signes cliniques de détresse respiratoire aiguë ou d'infection du parenchyme pulmonaire avec une fièvre supérieure à 38° C et de la toux, décrits dans l'avis du Haut Conseil de la santé publique, justifiant son isolement. Dans ces conditions, le centre hospitalier de Valenciennes ne peut être regardé comme ayant commis un manquement caractérisé aux obligations posées par la réglementation en matière de lutte contre les infections nosocomiales constitutif d'une faute de nature à engager sa responsabilité.
8. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'ordonner une nouvelle expertise, que la caisse primaire d'assurance maladie du Hainaut n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande de remboursement des débours exposés en faveur de M. E... et, par voie de conséquence, sa demande présentée au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion.
Sur les frais liés à l'instance :
9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge du centre hospitalier de Valenciennes le versement à la caisse primaire d'assurance maladie du Hainaut d'une somme au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la caisse primaire d'assurance maladie du Hainaut est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la caisse primaire d'assurance maladie du Hainaut, au centre hospitalier de Valenciennes, à la société hospitalière d'assurances mutuelles et à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.
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N°19DA01340