Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 6 août 2020 et le 14 octobre 2020, le préfet de la Seine-Maritime demande à la cour d'annuler ce jugement et de rejeter la demande présentée par Mme A... devant le tribunal administratif de Rouen.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant, signée à New-York le 26 janvier 1990 ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Anne Khater, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Le préfet de la Seine-Maritime interjette appel du jugement du 30 juin 2020 par lequel le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Rouen a, à la demande de Mme B... C... A... alias Mme E... C..., ressortissante angolaise née le 25 mars 1992 à Uige (Angola), annulé son arrêté du 27 mars 2020 ordonnant le transfert de l'intéressée aux autorités portugaises, responsables de l'examen de sa demande d'asile.
Sur l'aide juridictionnelle provisoire :
2. Aux termes de l'article 20 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique : " Dans les cas d'urgence /.../ l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle peut-être prononcée soit par le président du bureau ou de la section compétente du bureau d'aide juridictionnelle, soit par la juridiction compétente ou son président ". Aux termes de l'article 62 du décret du 19 décembre 1991 portant application de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique : " L'admission provisoire est demandée sans forme au président du bureau ou de la section ou au président de la juridiction saisie. Elle peut être prononcée d'office si l'intéressé a formé une demande d'aide juridictionnelle sur laquelle il n'a pas encore été définitivement statué ". Il y a lieu, par application de ces dispositions, d'admettre Mme A... à l'aide juridictionnelle à titre provisoire.
Sur le moyen d'annulation retenu par le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Rouen :
3. Aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. L'Etat membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'Etat membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité (...) ".
4. Il ressort des pièces du dossier, ainsi que l'a relevé le premier juge, que Mme A... est entrée en France le 25 octobre 2019 munie d'un visa délivré par les autorités portugaises et accompagnée de ses deux enfants nés en 2010 et 2015. Elle a donné naissance sur le territoire français à un troisième enfant le 17 novembre 2019. Elle a retrouvé son frère, qui vit à Vernon (Eure) sous couvert d'un titre de séjour, ainsi qu'une cousine de nationalité française, qui attestent tous deux pouvoir l'aider durant l'examen de sa demande d'asile en France. Il est établi que son aîné est scolarisé en classe de CM1 et son deuxième enfant à l'école maternelle. Toutefois, ces seuls éléments ne suffisent pas à établir qu'à la date du 27 mars 2020 de la décision attaquée, sa situation familiale rendait nécessaire l'usage de ses pouvoirs discrétionnaires par le préfet de la Seine-Maritime alors qu'aucun obstacle ne s'opposait à ce que les enfants poursuivent leur scolarité au Portugal, que Mme A... avait déclaré vivre maritalement avec un compatriote ne résidant pas sur le territoire français et qu'il n'était pas établi que la situation de Mme A... requerrait l'aide de son frère et de sa cousine avec lesquels les liens ne sont pas d'une particulière intensité. Dans ces conditions, le préfet de la Seine-Maritime est fondé à soutenir que c'est à tort que le premier juge a considéré que le préfet de la Seine-Maritime avait commis une erreur manifeste d'appréciation en ne faisant pas usage du pouvoir discrétionnaire qu'il tient de l'article 17 du règlement du 26 juin 2013.
5. Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de prononcer l'annulation du jugement du tribunal administratif de Rouen du 30 juin 2020.
6. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme A... devant le tribunal administratif de Rouen.
Sur les autres moyens soulevés en première instance par Mme A... :
7. En premier lieu, l'arrêté contesté fait état des éléments de fait relatifs à la situation personnelle et administrative de l'intéressée et vise notamment le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. Il mentionne que les autorités portugaises, saisies sur le fondement de l'article 12-4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, ont explicitement donné leur accord pour la prise en charge de Mme A... le 19 mars 2020. L'arrêté en litige comporte ainsi l'énoncé des considérations de fait et de droit sur lesquelles il se fonde. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation doit être écarté.
8. En deuxième lieu, aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un État membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, et notamment : / a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un État membre différent ainsi que des conséquences du passage d'un État membre à un autre pendant les phases au cours desquelles l'État membre responsable en vertu du présent règlement est déterminé et la demande de protection internationale est examinée ; / b) des critères de détermination de l'État membre responsable, de la hiérarchie de ces critères au cours des différentes étapes de la procédure et de leur durée, y compris du fait qu'une demande de protection internationale introduite dans un État membre peut mener à la désignation de cet État membre comme responsable en vertu du présent règlement même si cette responsabilité n'est pas fondée sur ces critères ; / c) de l'entretien individuel en vertu de l'article 5 et de la possibilité de fournir des informations sur la présence de membres de la famille, de proches ou de tout autre parent dans les États membres, y compris des moyens par lesquels le demandeur peut fournir ces informations ; / d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert ; (...) / 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel (...) ".
9. Aux termes de l'article 5 de ce règlement : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4 (...) 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national.6. L'État membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. L'État membre veille à ce que le demandeur et/ou le conseil juridique ou un autre conseiller qui représente le demandeur ait accès en temps utile au résumé. "
10. Il ressort des pièces du dossier et, notamment, du compte-rendu de l'entretien que Mme A... a bénéficié de l'entretien individuel prévu par les dispositions précitées de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 dans les locaux de la préfecture du Nord, le 24 janvier 2020, selon des modalités permettant le respect de la confidentialité. En outre, l'agent de la préfecture qui a mené cet entretien doit être regardé comme une personne qualifiée en vertu du droit national pour mener cet entretien au sens des dispositions citées au point précédent. Le préfet de la Seine-Maritime établit, par la production de la première page des brochures communes signée par l'intéressée, lui avoir remis les deux brochures d'information A " j'ai demandé l'asile dans l'Union européenne - quel pays sera responsable de l'analyse de ma demande ' " et B " je suis sous procédure Dublin - qu'est-ce que cela signifie ' " et le guide du demandeur d'asile, en langue française que Mme A... a déclaré comprendre. Dès lors, le moyen tiré de ce que la décision de transfert aurait été prise en méconnaissance des dispositions des articles 4 et 5 du règlement (UE) n° 604/2013 doit être écarté.
11. En dernier lieu, aux termes du point 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Aux termes de l'article 6 du règlement (UE) n° 604/2013 précité : " 1. L'intérêt supérieur de l'enfant est une considération primordiale pour les États membres dans toutes les procédures prévues par le présent règlement. " En l'espèce, la décision attaquée fait mention des enfants mineurs de la requérante qui doivent être transférés au Portugal en même temps que leur mère. L'allégation selon laquelle l'administration n'aurait pas tenu compte de l'intérêt supérieur de ces enfants en ne procédant pas à l'examen de leur situation au regard de leurs conditions de voyage et d'accueil n'est corroborée par aucun élément. Le moyen tiré de la méconnaissance des articles susmentionnés doit donc être écarté.
12. Il résulte de tout ce qui précède qu'il y a lieu de prononcer l'annulation du jugement du 30 juin 2020 du magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Rouen et de rejeter la demande de première instance de Mme A... et, par voie de conséquence, ses conclusions présentées en appel au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : Mme A... est admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire.
Article 2 : Le jugement n° 2001774 du magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Rouen du 30 juin 2020 est annulé.
Article 3 : La demande présentée par Mme A... devant le tribunal administratif de Rouen et ses conclusions d'appel sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à Mme B... C... A... alias Mme E... C... et à Me D....
Copie sera transmise au préfet de la Seine-Maritime.
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N°20DA01186