----------------------------------------------------------------------------------------------------------
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013 ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil en date du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Christine Courault, présidente de chambre, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M.B..., ressortissant guinéen né le 1er janvier 1975, s'est présenté le 18 juin 2018 aux services de la préfecture de la Seine-Maritime afin de solliciter l'asile. La consultation du fichier Eurodac a révélé que les empreintes digitales de l'intéressé avaient été enregistrées en Espagne le 24 mai 2018. Par un arrêté du 22 août 2018, la préfète de la Seine-Maritime a décidé de transférer M. B...aux autorités espagnoles. La préfète de la Seine-Maritime interjette appel du jugement du 21 septembre 2018 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen a annulé cet arrêté.
Sur le motif d'annulation retenu par le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen :
2. Aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un État membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, et notamment : / a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un État membre différent ainsi que des conséquences du passage d'un État membre à un autre pendant les phases au cours desquelles l'État membre responsable en vertu du présent règlement est déterminé et la demande de protection internationale est examinée ; / b) des critères de détermination de l'État membre responsable, de la hiérarchie de ces critères au cours des différentes étapes de la procédure et de leur durée, y compris du fait qu'une demande de protection internationale introduite dans un État membre peut mener à la désignation de cet État membre comme responsable en vertu du présent règlement même si cette responsabilité n'est pas fondée sur ces critères ; / c) de l'entretien individuel en vertu de l'article 5 et de la possibilité de fournir des informations sur la présence de membres de la famille, de proches ou de tout autre parent dans les États membres, y compris des moyens par lesquels le demandeur peut fournir ces informations ; / d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert ; / e) du fait que les autorités compétentes des États membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d'exécuter leurs obligations découlant du présent règlement ; / f) de l'existence du droit d'accès aux données le concernant et du droit de demander que ces données soient rectifiées si elles sont inexactes ou supprimées si elles ont fait l'objet d'un traitement illicite, ainsi que des procédures à suivre pour exercer ces droits, y compris des coordonnées des autorités visées à l'article 35 et des autorités nationales chargées de la protection des données qui sont compétentes pour examiner les réclamations relatives à la protection des données à caractère personnel. / 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les États membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. (...) ".
3. Il résulte de ces dispositions que le demandeur d'asile auquel l'administration entend faire application du règlement du 26 juin 2013 doit se voir remettre, dès le moment où le préfet est informé de ce qu'il est susceptible d'entrer dans le champ d'application de ce règlement, et, en tout cas, avant la décision par laquelle l'autorité administrative décide de refuser l'admission provisoire au séjour de l'intéressé au motif que la France n'est pas responsable de sa demande d'asile, une information complète sur ses droits, par écrit et dans une langue qu'il comprend. Cette information doit comprendre l'ensemble des éléments prévus au paragraphe 1 de l'article 4 du règlement.
4. Si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d'une procédure administrative préalable n'est de nature à entacher d'illégalité la décision prise que s'il ressort des pièces du dossier qu'il a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou s'il a privé les intéressés d'une garantie. La délivrance par l'autorité administrative de la brochure prévue par les dispositions précitées constituant pour le demandeur d'asile une garantie, il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi du moyen tiré de l'omission ou de l'insuffisance d'une telle information à l'appui de conclusions dirigées contre un refus d'admission au séjour ou une décision de remise, d'apprécier si l'intéressé a été, en l'espèce, privé de cette garantie ou, à défaut, si cette irrégularité a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de cette décision.
5. Il ressort des pièces du dossier, notamment du compte-rendu d'entretien individuel du 18 juin 2018, contresigné par ses soins, que M. B...s'est vu remettre deux brochures d'information en langue française, dite " A " intitulée " J'ai demandé l'asile dans l'Union européenne - Quel pays sera responsable de ma demande ' ", et une brochure dite " B " intitulée " Je suis sous procédure Dublin - qu'est-ce que cela signifie ' ", ainsi que le guide du demandeur d'asile en France, également en français, langue officielle de la République de Guinée. M. B... a compris les informations délivrées dans cette langue dès lors qu'il ressort des pièces du dossier que lors de la remise de ces documents et de l'entretien individuel du 18 juin 2018 où il était assisté d'un interprète en langue soussou, il a pu être vérifié qu'il avait correctement compris les informations dont il devait avoir connaissance, notamment le fait que ses empreintes digitales avaient été enregistrées en Espagne et que l'entretien s'inscrivait dans un processus de détermination de l'Etat membre de l'Union européenne responsable de l'examen de sa demande d'asile. Il a en outre, disposé d'un délai raisonnable pour apprécier en toute connaissance de cause la portée de ces informations avant le 22 août 2018, date à laquelle la préfète de la Seine-Maritime a décidé son transfert aux autorités espagnoles et de la possibilité de formuler des observations. Dans ces circonstances, M. B...n'a ainsi pas été privé de la garantie instituée par les dispositions de l'article 4 du règlement précité. Par suite, la préfète de la Seine-Maritime est fondée à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen a retenu ce motif pour annuler la décision de transfert aux autorités espagnoles.
6. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B...à l'encontre de l'arrêté attaqué devant le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen.
Sur les autres moyens :
7. En application de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la décision de transfert dont fait l'objet un ressortissant de pays tiers ou un apatride qui a déposé auprès des autorités françaises une demande d'asile dont l'examen relève d'un autre Etat membre ayant accepté de le prendre ou de le reprendre en charge doit être motivée, c'est-à-dire qu'elle doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Pour l'application de ces dispositions, est suffisamment motivée une décision de transfert qui mentionne le règlement du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et comprend l'indication des éléments de fait sur lesquels l'autorité administrative se fonde pour estimer que l'examen de la demande présentée devant elle relève de la responsabilité d'un autre Etat membre, une telle motivation permettant d'identifier le critère du règlement communautaire dont il est fait application.
8. Ainsi, doit notamment être regardée comme suffisamment motivée, s'agissant d'un étranger en provenance d'un pays tiers ou d'un apatride ayant, au cours des douze mois ayant précédé le dépôt de sa demande d'asile, pénétré irrégulièrement au sein de l'espace Dublin par le biais d'un Etat membre autre que la France, la décision de transfert à fin de prise en charge qui, après avoir visé le règlement, fait référence à la consultation du fichier Eurodac sans autre précision, une telle motivation faisant apparaître que l'Etat responsable a été désigné en application du critère énoncé à l'article 13 du chapitre III du règlement.
9. L'arrêté en litige vise notamment le règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013, énonce que les autorités espagnoles ont été saisies le 20 juin 2018 d'une demande de prise en charge de l'intéressé à la suite de la consultation du fichier Eurodac, et indique que les autorités espagnoles, saisies en application de l'article 13-1, ont accepté leur responsabilité par un accord express du 10 juillet 2018. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de l'arrêté du 22 août 2018 en litige doit être écarté.
10. Aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et les mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. / (...) / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national (...) ".
11. Il ressort des pièces du dossier, et notamment du compte-rendu produit par la préfète de la Seine-Maritime en première instance, que M. B...a bénéficié d'un entretien individuel le 18 juin 2018 dans les locaux de la préfecture de la Seine-Maritime, entretien réalisé en présence d'un interprète en langue soussou dans les conditions rappelées au point 4 et selon des modalités permettant le respect de la confidentialité. Par ailleurs, la seule circonstance que le procès-verbal ne comporte pas d'informations relatives à l'identité et la qualité de la personne ayant conduit l'entretien ne suffit pas à démontrer qu'il ne se serait pas déroulé dans des conditions conformes aux dispositions de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013. En effet, aucune disposition n'impose que soit portée à la connaissance du demandeur d'asile l'identité de la personne chargée de mener l'entretien individuel, ni la preuve de la qualification de celle-ci. En outre, la directive 2013/32/UE dont se prévaut le requérant a été entièrement transposée par la loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015 et ne peut donc pas être directement invoquée à l'encontre de la décision litigieuse. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit être écarté.
12. Aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) ".
13. La faculté qu'ont les autorités françaises d'examiner une demande d'asile présentée par un ressortissant d'un Etat tiers, alors même que cet examen ne leur incombe pas, relève de l'entier pouvoir discrétionnaire du préfet, et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.
14. Il ressort des termes mêmes de l'arrêté en litige que la préfète de la Seine-Maritime, qui a notamment relevé que l'ensemble des éléments de fait et de droit caractérisant la situation de M. B...ne relevait pas des dérogations prévues par l'article 17 du règlement précité, a effectivement pris en compte la possibilité que la France examine la demande d'asile de l'intéressé alors même qu'elle n'en était pas responsable. En outre, si l'intéressé invoque des problèmes de santé, il ne produit aucun élément probant au soutien de ses allégations. Dès lors, le moyen tiré de ce que la préfète de la Seine-Maritime, qui a aussi examiné l'ensemble des particularités de la situation de M.B..., aurait entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation en ne prenant pas en compte la faculté rappelée au point 11 doit être écarté.
15. Il résulte de tout ce qui précède que la préfète de la Seine-Maritime est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen a annulé l'arrêté du 22 août 2018 en litige. Doivent être rejetées, par voie de conséquence, les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte présentées par M. B... ainsi que celles présentées au titre des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du 21 septembre 2018 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. B...devant le tribunal administratif de Rouen et ses conclusions d'appel sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. A...B....
Copie sera adressée à la préfète de la Seine-Maritime.
5
N°18DA02216