Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 7 mai 2018, le préfet du Pas-de-Calais demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande de première instance.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement (CE) n° 1987/2006 du 20 décembre 2006 du Parlement européen et du Conseil ;
- la directive 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil du 24 octobre 1995 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Dominique Bureau, première conseillère, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... C...Le, ressortissant vietnamien né le 15 mai 1954, a été interpellé le 19 mars 2018 alors qu'il se trouvait démuni de tout document l'autorisant à entrer ou à séjourner sur le territoire français. Par un arrêté du même jour, le préfet du Pas-de-Calais a, en particulier, obligé M. Le à quitter sans délai le territoire français, a désigné le pays dont il a la nationalité comme pays de renvoi et a pris à son encontre une interdiction de retour d'une durée d'un an. Le préfet du Pas-de-Calais relève appel du jugement du 27 mars 2018 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a annulé ces décisions.
Sur le moyen d'annulation retenu par le magistrat désigné :
2. Il ressort des indications figurant dans le procès-verbal de consultation des fichiers biométriques dressé par un agent de police judiciaire produit pour la première fois en appel, dont les mentions font foi jusqu'à preuve contraire, que la consultation du système Eurodac réalisée à partir des empreintes décadactylaires de M. Le a révélé que celles-ci n'avaient pas été enregistrées dans ce système. M. Le n'a, pour sa part, fourni aucun élément probant selon lequel il aurait demandé une protection internationale en Allemagne et n'a pas formulé de demande en ce sens sur le territoire français. Il s'ensuit que le préfet du Pas-de-Calais s'est suffisamment assuré de l'absence de demande d'asile présentée par l'intéressé avant de l'obliger à quitter le territoire français. Par suite, c'est à tort que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille s'est fondé sur le caractère incomplet de l'examen par l'administration de la situation particulière de M. Le pour annuler les décisions contestées.
3. Toutefois, il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, de statuer sur l'ensemble des moyens présentés par M. Le.
Sur les autres moyens invoqués par M. Le :
En ce qui concerne la compétence du signataire des décisions contestées :
4. Par un arrêté du 18 décembre 2017, publié au recueil spécial n° 121 du même jour des actes administratifs de la préfecture du Pas-de-Calais, le préfet de ce département a donné à M. D... B..., chef du bureau de l'éloignement, délégation à l'effet de signer, notamment, les décisions contestées. Ainsi, le signataire de ces décisions était compétent à cet effet.
En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :
5. En premier lieu, l'arrêté du 19 mars 2018 comporte l'énoncé des circonstances de droit et de fait sur lesquelles le préfet du Pas-de-Calais s'est fondé pour obliger M. Le à quitter le territoire français. Cette obligation est, ainsi, suffisamment motivée au regard des exigences du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors même que l'arrêté ne mentionne pas les raisons pour lesquelles l'intéressé n'a pas bénéficié des dispositions de l'article L. 316-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoyant la délivrance d'un titre de séjour aux victimes de trafic d'êtres humains ou de proxénétisme.
6. En deuxième lieu, les dispositions de l'article L. 316-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoient que, sauf si sa présence sur le territoire français constitue une menace pour l'ordre public, un titre de séjour est délivré à l'étranger qui dépose plainte contre une personne qu'il accuse d'avoir commis à son encontre les infractions de traite d'être humain ou de proxénétisme. Les dispositions de l'article R. 316-1 de ce code chargent les services de police d'une mission d'information, à titre conservatoire et préalablement à toute qualification pénale, des victimes potentielles de tels faits. Ainsi, lorsque ces services ont des motifs raisonnables de considérer que l'étranger pourrait en être reconnu victime, il leur appartient d'informer ce dernier de ses droits en application de ces dispositions. En l'absence d'une telle information, l'étranger est fondé à se prévaloir du délai de réflexion d'un mois, prévu à l'article R. 316-2 du même code, pendant lequel aucune mesure de reconduite à la frontière ne peut être prise, ni exécutée, notamment dans l'hypothèse où il a effectivement porté plainte par la suite.
7. Il ressort des pièces du dossier que M. Le, qui a déclaré lors de son audition par les services de police avoir quitté le Vietnam pour des raisons économiques et être arrivé en Allemagne par avion, en provenance directe de son pays, avant de gagner en voiture le territoire français dans le but de se rendre en Angleterre, n'a donné aucune indication constituant un motif raisonnable de considérer qu'il pourrait être reconnu victime de faits de traite d'être humain. Sa seule nationalité était insuffisante à cet égard, en l'absence d'indication complémentaire. Ainsi, M. Le n'est pas fondé à soutenir que l'absence de délivrance par les services de police de l'information mentionnée au point précédent aurait entaché d'illégalité l'obligation de quitter le territoire français prise à son encontre.
8. En troisième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que, dans les circonstances de l'espèce, l'obligation de quitter le territoire français serait entachée d'une erreur manifeste commise par le préfet du Pas-de-Calais dans l'appréciation des conséquences de cette mesure sur la situation personnelle de M. Le.
En ce qui concerne la décision de ne pas accorder de délai de départ volontaire :
9. L'arrêté contesté comporte l'énoncé des circonstances de droit et de fait sur lesquelles le préfet du Pas-de-Calais s'est fondé pour ne pas accorder à M. Le un délai de départ volontaire. Cette décision est, ainsi, suffisamment motivée au regard des exigences du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
10. Il résulte de ce qui a été dit aux points 2 à 8, que M. Le n'est pas fondé à invoquer, par voie d'exception, l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français.
11. Pour décider que M. Le devait quitter sans délai le territoire français, le préfet du Pas-de-Calais s'est fondé sur ce que l'intéressé, d'une part, entré en France irrégulièrement, n'avait pas sollicité de titre de séjour et, d'autre part, n'avait pas déclaré le lieu de sa résidence effective et permanente. Ces circonstances, visées respectivement au a) et au f) du 3° du II de l'article L. 511-1, sont au nombre de celles qui permettent, sauf circonstances exceptionnelles, de regarder un risque de fuite comme établi. Ainsi, en se bornant à soutenir que l'exclusion d'un délai de départ volontaire n'est pas automatique et qu'il " n'a pas tenté de se soustraire de façon intentionnelle à la décision de l'autorité administrative ", M. Le ne soutient pas sérieusement que le préfet du Pas-de-Calais aurait fait une inexacte application de ces dispositions.
En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi :
12. Il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet du Pas-de-Calais aurait procédé à un examen insuffisant des risques auxquels M. Le, qui n'a fait état d'aucune crainte de cet ordre lors de son audition par les services de police, affirme devant le juge de l'excès de pouvoir être exposé dans son pays.
13. L'arrêté contesté vise le I de l'article L. 511-1, ainsi que l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et mentionne la nationalité de M. Le. Cet arrêté énonce que sa situation ne répond pas aux conditions de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. La décision fixant le pays de renvoi est, ainsi, suffisamment motivée au regard des exigences de l'article L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration.
14. Il résulte de ce qui a été dit aux points 2 à 8, que M. Le n'est pas fondé à invoquer, par voie d'exception, l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français.
15. M. Le, qui se borne à invoquer les risques particulièrement élevés d'exploitation sexuelle ou de soumission au travail forcé encourus de manière générale par la population vietnamienne, n'assortit d'aucun élément probant ses allégations selon lesquelles son retour dans son pays l'exposerait personnellement à de tels traitements. Dans ces conditions, la décision fixant le pays de renvoi n'a méconnu ni les dispositions de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ni les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
En ce qui concerne l'interdiction de retour :
16. La légalité de l'interdiction de retour sur le territoire français n'est pas subordonnée à la délivrance à l'intéressé de l'information prévue par l'article 42 du règlement du 20 décembre 2006 sur l'établissement, le fonctionnement et l'utilisation du système d'information Schengen de deuxième génération, conformément aux exigences de la directive du 24 octobre 1995 relative à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données.
17. L'arrêté contesté cite les dispositions du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il énonce que l'obligation de quitter sans délai le territoire français doit être assortie d'une interdiction de retour et que M. Le ne bénéficie pas d'un délai de départ volontaire, indiquant ainsi dans quel cas d'édiction d'une interdiction de retour sur le territoire français se trouve l'intéressé. Cet arrêté explicite, par ailleurs, les éléments retenus par le préfet du Pas-de-Calais au regard des quatre critères prévus par la loi pour fixer la durée de l'interdiction. Enfin, M. Le ne s'est prévalu, lors de son audition par les services de police, d'aucune circonstance humanitaire au sens des dispositions du III de l'article L. 511-1, de sorte que le préfet du Pas-de-Calais n'était pas tenu de se prononcer expressément sur ce point. L'interdiction de retour répond, par suite, aux exigences de motivation résultant de ces dispositions.
18. Il résulte de ce qui a été dit aux points 2 à 15, que M. Le n'est pas fondé à invoquer, par voie d'exception, l'illégalité des décisions l'obligeant à quitter sans délai le territoire français.
19. Il ressort du procès-verbal d'audition de M. Le par les services de police que celui-ci n'était présent sur le territoire français que depuis une journée lorsque la mesure d'éloignement a été prise, et n'y a aucune attache. Dans ces contions, le préfet du Pas-de-Calais n'a pas fait une inexacte application des dispositions du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en prononçant à l'encontre de M. Le une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an, alors même que l'intéressé n'a jamais troublé l'ordre public.
20. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet du Pas-de-Calais est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a prononcé l'annulation des décisions obligeant M. Le à quitter sans délai le territoire français, fixant le pays de renvoi et prononçant à son encontre une interdiction de retour d'un an.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1802378 du 27 mars 2018 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. Le devant le tribunal administratif de Lille est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. A... C...Le.
Copie en sera adressée au préfet du Pas-de-Calais.
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N°18DA00922