Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 19 décembre 2018, le préfet du Pas-de-Calais demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter les conclusions de première instance.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union Européenne ;
- le règlement (CE) n° 1987/2006 du Parlement européen et du Conseil du 20 décembre 2006 sur l'établissement, le fonctionnement et l'utilisation du système d'information Schengen de deuxième génération (SIS II) ;
- les arrêts de la Cour de justice de l'Union européenne C166/13 du 5 novembre 2014, et C249/13 du 11 décembre 2014 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Christine Courault, présidente de chambre, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. A la suite de son interpellation par les services de police, M. A...C..., ressortissant albanais né le 15 février 1997, a fait l'objet le 25 octobre 2018 d'un arrêté du préfet du Pas-de-Calais l'obligeant à quitter sans délai le territoire français, fixant le pays de renvoi et prononçant à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an. Le préfet du Pas-de-Calais interjette appel du jugement du 31 octobre 2018 par lequel le magistrat désigné par le tribunal administratif de Lille a annulé ses décisions.
Sur le moyen retenu par le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille :
2. Aux termes de l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " 1. Toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions et organes de l'Union. / 2. Ce droit comporte notamment : / le droit de toute personne d'être entendue avant qu'une mesure individuelle qui l'affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre ; (...) ". Le moyen tiré de la méconnaissance de ces stipulations, applicables uniquement aux relations entre les institutions européennes et les administrés, est inopérant à l'encontre de la décision obligeant M. C...à quitter le territoire français. Cependant, le droit d'être entendu préalablement à toute décision qui affecte sensiblement et défavorablement les intérêts de son destinataire constitue l'une des composantes du respect des droits de la défense, principe général du droit de l'Union européenne.
3. Selon la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne CJUE, (5 novembre 2014, Mukarubega, C166/13 et CJUE, 11 décembre 2014, Boudjilida, C249/13), le droit à être entendu se définit comme celui de toute personne à faire connaître, de manière utile et effective, ses observations écrites ou orales au cours d'une procédure administrative, avant l'adoption de toute décision susceptible de lui faire grief. Ce droit n'implique pas systématiquement l'obligation, pour l'administration, d'organiser, de sa propre initiative, un entretien avec l'intéressé, ni même d'inviter ce dernier à produire ses observations, mais suppose seulement que, informé de ce qu'une décision lui faisant grief est susceptible d'être prise à son encontre, il soit en mesure de présenter spontanément des observations écrites ou de solliciter un entretien pour faire valoir ses observations orales. Une atteinte à ce droit n'est susceptible d'affecter la régularité de la procédure à l'issue de laquelle la décision faisant grief est prise que si la personne concernée a été privée de la possibilité de présenter des éléments pertinents qui auraient pu influer sur le contenu de la décision, ce qu'il lui revient, le cas échéant, d'établir devant la juridiction saisie.
4. En l'espèce, il ressort du procès-verbal d'audition de M. C...par les services de police le 25 octobre 2018, que ce dernier, assisté par un interprète en langue albanaise, langue qu'il a déclaré comprendre, a pu présenter des observations sur la légalité de son séjour et sur sa situation personnelle. Il a notamment été interrogé sur les raisons de son départ hors de son pays d'origine et son parcours, sur sa situation personnelle et familiale, sur sa situation administrative au regard des règles du droit au séjour en France. Il a été informé de l'éventualité d'une mesure d'éloignement vers son pays d'origine et d'une interdiction de retour en France, et interrogé sur les éventuelles observations qu'il avait à formuler. Ainsi, M. C...a été à même de présenter de manière utile et effective les éléments pertinents qui auraient pu influer sur la décision de l'autorité préfectorale qui n'était alors pas tenue de lui indiquer qu'il pouvait spontanément présenter des observations écrites. Dès lors, il n'a pas été privé du droit d'être entendu préalablement à toute mesure individuelle qui l'affecterait défavorablement, principe général du droit de l'Union européenne. Par suite, c'est à tort, que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille s'est fondé sur ce motif pour annuler l'arrêté du 25 octobre 2018.
5. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M.C....
Sur le moyen commun à l'ensemble des décisions contestées :
6. Par un arrêté du 18 décembre 2017, régulièrement publié au recueil des actes administratifs spécial n° 121 du même jour, le préfet du Pas-de-Calais a donné délégation à M. D... B..., chef du bureau du contentieux du droit des étrangers, à l'effet de signer, notamment, les décisions contenues dans l'arrêté attaqué. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire des décisions contestées doit être écarté.
Sur l'obligation de quitter le territoire :
7. Aux termes du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) La décision énonçant l'obligation de quitter le territoire français est motivée (...). ". L'arrêté contesté précise les conditions d'entrée en France de M.C..., ainsi que les raisons pour lesquelles le préfet du Pas-de-Calais a estimé que celles-ci étaient irrégulières, et indique que l'intéressé, entrant dans le cas prévu par le 1° du I de l'article L. 511-1 du code précité, pouvait faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français. Cette mesure répond, ainsi, aux exigences de motivation prévues par cet article.
8. Contrairement à ce que soutient M.C..., la décision l'obligeant à quitter le territoire mentionne les éléments personnels relatifs à sa situation et en particulier, qu'il n'est présent en France que depuis une semaine, qu'il ne dispose pas de liens privés et familiaux en France et qu'il n'établit pas être exposé à des risques en cas de retour dans son pays d'origine. Ainsi, il ne résulte ni de la motivation de la décision attaquée, ni d'aucune pièce du dossier que le préfet du Pas-de-Calais n'aurait pas procédé à un examen particulier de la situation de M. C... avant de prendre cette décision.
9. Il ne ressort pas des pièces du dossier, et notamment du procès-verbal d'audition de M. C... par les services de police du 25 octobre 2018, que celui-ci aurait manifesté à cette date l'intention de demander l'asile en France, alors notamment qu'il a indiqué avoir quitté son pays pour trouver du travail et souhaiter se rendre en Grande-Bretagne, ou qu'il aurait été empêché de le faire. L'obligation de quitter le territoire français prise à son encontre n'a, dès lors, pas méconnu le droit constitutionnel de l'asile. En outre, si M. C...a soutenu à l'audience devant le premier juge qu'il aurait déposé une demande d'asile alors qu'il était en rétention, cette allégation n'est en tout état de cause pas établie.
10. Aux termes du premier paragraphe de l'article 33 de la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés : " Aucun des États contractants n'expulsera ou ne refoulera, de quelque manière que ce soit, un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ".
11. M. C...ne peut utilement se prévaloir du principe de non-refoulement énoncé par les stipulations précitées de la convention de Genève dès lors qu'il n'établit pas avoir la qualité de réfugié. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 33 de la convention de Genève du 28 juillet 1951 doit être écarté.
12. La décision obligeant M. C...à quitter le territoire français n'implique pas par elle-même son renvoi vers son pays d'origine. Par suite, est inopérant à l'encontre d'une telle décision le moyen tiré de ce qu'elle serait entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences à l'égard de l'intéressé en cas de retour dans son pays d'origine.
13. Il résulte de ce qui précède que M. C...n'est pas fondé à soutenir que la décision l'obligeant à quitter le territoire français serait illégale.
Sur la décision fixant le pays de destination :
14. La décision par laquelle le préfet du Pas-de-Calais a fixé le pays de destination énonce les considérations de droit et de fait sur lesquelles elle se fonde. Par suite, le moyen tiré du défaut de motivation de cette décision doit être écarté.
15. M. C...n'assortit d'aucun élément probant ses affirmations selon lesquelles il aurait fui l'Albanie en raison d'une vendetta à l'encontre des descendants masculins de sa famille. Si l'intéressé se borne à citer des extraits d'un rapport de la Commission canadienne de l'immigration et du statut de réfugié, qui revêtent des considérations de portée générale, il n'établit toutefois pas qu'il se trouverait actuellement et personnellement exposé dans son pays à des risques pour sa vie et sa sécurité. Dans ces conditions, la décision fixant le pays de renvoi n'a méconnu ni les dispositions de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ni les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
16. Il résulte de ce qui a été dit au point 13, que M. C...n'est pas fondé à exciper de l'illégalité de la décision l'obligeant à quitte le territoire français à l'encontre de la décision fixant le pays de destination.
Sur le refus de délai de départ volontaire :
17. Aux termes du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) L'autorité administrative peut, par une décision motivée, décider que l'étranger est obligé de quitter sans délai le territoire français : / (...) 3° S'il existe un risque que l'étranger se soustraie à cette obligation. Ce risque est regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : / a) Si l'étranger, qui ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, n'a pas sollicité la délivrance d'un titre de séjour ; / (...) f) Si l'étranger ne présente pas de garanties de représentation suffisantes, notamment parce qu'il ne peut justifier de la possession de documents d'identité ou de voyage en cours de validité, ou qu'il a dissimulé des éléments de son identité, ou qu'il n'a pas déclaré le lieu de sa résidence effective ou permanente, ou qu'il s'est précédemment soustrait aux obligations prévues par les articles L. 513-4, L. 552-4, L. 561-1 et L. 561-2 (...). ".
18. La décision attaquée, qui cite les dispositions précitées, indique notamment que M. C..., qui n'a pas sollicité la délivrance d'un titre de séjour et n'a pas déclaré de lieu de résidence permanente et effective, présente un risque de se soustraire à la mesure d'éloignement dont il fait l'objet. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de la décision en litige manque en fait et doit être écarté.
19. Il ressort des pièces du dossier que M C...ne justifie pas séjourner régulièrement sur le territoire français et n'a sollicité ni une protection au titre de l'asile en France, ni la délivrance d'un titre de séjour. En outre, l'intéressé ne présente pas de garanties de représentation suffisantes. Dans ces conditions, le préfet du Pas-de-Calais, en refusant d'accorder à M. C...un délai de départ volontaire, n'a pas commis d'erreur dans son appréciation de la situation de ce dernier au regard des dispositions précitées du 3° du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
20. Il résulte de ce qui a été dit au point 13, que M. C...n'est pas fondé à exciper de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français à l'encontre de la décision lui refusant l'octroi d'un délai de départ volontaire.
Sur l'interdiction de retour sur le territoire français :
21. Il ressort de l'article 2 de l'arrêté attaqué que M. C...a été informé de ce qu'il faisait l'objet d'un signalement aux fins de non-admission dans le système d'information Schengen. L'article 4 du même arrêté communique à l'intéressé diverses informations relatives à l'identité du responsable du traitement, les finalités de celui-ci et les conditions dans lesquelles il peut exercer un droit d'accès et de rectification aux données qui le concernent. Dès lors, M. C... n'est pas fondé à soutenir qu'il n'aurait pas reçu l'information prévue par les dispositions précitées, circonstance qui serait, au demeurant, sans influence sur la légalité de la décision d'interdiction de retour sur le territoire français elle-même.
22. Aux termes du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative, par une décision motivée, assortit l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français, d'une durée maximale de trois ans à compter de sa notification, lorsque aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger ou lorsque l'étranger n'a pas satisfait à cette obligation dans le délai imparti. / Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative ne prononce pas d'interdiction de retour. / (...) / La durée de l'interdiction de retour mentionnée au premier alinéa du présent III ainsi que le prononcé et la durée de l'interdiction de retour mentionnée au quatrième alinéa sont décidés par l'autorité administrative en tenant compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français (...) ".
23. Il ressort des pièces du dossier que M. C...est entré irrégulièrement sur le territoire français, qu'il y séjournait, selon ses déclarations lors de son audition par les services de police, depuis une semaine, lorsqu'il a été interpellé. Il ne se prévaut d'aucune attache privée et familiale en France et indique que son objectif était de gagner le Royaume-Uni. En outre, aucune circonstance humanitaire ne justifiait qu'il ne fasse pas l'objet d'une interdiction de retour d'un an. Par suite, en prononçant à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an, le préfet du Pas-de-Calais n'a pas commis d'erreur d'appréciation au regard des dispositions citées au point 22.
24. Il résulte de ce qui a été dit au point 13, que M. C...n'est pas fondé à exciper de l'illégalité de la décision l'obligeant à quitter le territoire français à l'encontre de la décision portant interdiction de retour sur le territoire national.
25. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet du Pas-de-Calais est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a annulé son arrêté du 25 octobre 2018 par lequel il a obligé M. C...à quitter le territoire français, a refusé de lui accorder un délai de départ volontaire, a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement et lui a interdit le retour sur le territoire français avant l'expiration du délai d'un an.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1809692 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille du 31 octobre 2018 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. C...devant le tribunal administratif de Lille est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. A...C....
Copie en sera adressée au préfet du Pas-de-Calais.
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N°18DA02570