Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 24 février 2016, le préfet de la Somme demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Rouen du 22 janvier 2016 ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. E...alias B...devant le tribunal administratif de Rouen.
Il soutient que :
- le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Rouen a annulé à tort les arrêtés en litige car la consultation des données personnelles du système " Visabio " présumées exactes en vertu des dispositions combinées du 3° de l'article 10 du règlement du Parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009 établissant un code communautaire des visas et de l'article R. 611-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile a permis de constater que M. E...avait déposé en décembre 2014 une demande de visa aux autorités portugaises sous l'identité de D...B...né en Angola le 19 mai 1995 ; or l'attestation de naissance qu'il a produite, établie sous une autre identité et dépourvue de photo, est dénuée de toute valeur juridique et M. B...ne produit ainsi aucun élément de nature à infirmer la présomption d'exactitude figurant dans la base de données " Visabio ".
La requête a été communiquée à M. E...alias B...qui n'a pas produit de mémoire en défense.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant signée à New York le 26 janvier 1990 ;
- la directive 2008/115/CE du 16 décembre 2008 ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi du 12 avril 2000 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Muriel Milard, première conseillère, a été entendu au cours de l'audience publique.
1. Considérant qu'à la suite de la demande de M.E..., de nationalité congolaise né selon ses déclarations le 9 janvier 2000, de prise en charge en qualité de mineur isolé présentée aux services de police d'Amiens le 19 janvier 2016, le préfet de la Somme a pris à son encontre le 20 janvier 2016 un arrêté lui faisant obligation de quitter le territoire français sans délai, fixant le pays à destination duquel il pourrait être reconduit d'office et un arrêté du même jour le plaçant en rétention administrative ; que le préfet de la Somme relève appel du jugement du 22 janvier 2016 par lequel le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Rouen a, à la demande de M.E..., annulé ces arrêtés ;
2. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil " ; qu'aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité " ; que cet article pose une présomption de validité des actes d'état civil établis par une autorité étrangère ; qu'il incombe à l'administration de renverser cette présomption en apportant la preuve du caractère irrégulier, falsifié ou non conforme à la réalité des actes en question ;
3. Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article L. 611-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Afin de mieux garantir le droit au séjour des personnes en situation régulière et de lutter contre l'entrée et le séjour irréguliers des étrangers en France, les empreintes digitales ainsi qu'une photographie des ressortissants étrangers qui sollicitent la délivrance, auprès d'un consulat ou à la frontière extérieure des Etats parties à la convention signée à Schengen le 19 juin 1990, d'un visa afin de séjourner en France ou sur le territoire d'un autre Etat partie à ladite convention peuvent être relevées, mémorisées et faire l'objet d'un traitement automatisé dans les conditions fixées par la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés. / Ces empreintes et cette photographie sont obligatoirement relevées en cas de délivrance d'un visa. " ; qu'aux termes de l'article R. 611-8 de ce code : " Est autorisée la création, sur le fondement de l'article L. 611-6, d'un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé VISABIO, relevant du ministère des affaires étrangères et du ministère chargé de l'immigration. / (...) " ;
4. Considérant que M. E...s'est présenté aux services de police d'Amiens le 19 janvier 2016 afin d'être pris en charge par l'aide sociale à l'enfance en qualité d'étranger mineur ; que pour démontrer sa minorité, l'intéressé a produit une attestation de naissance délivrée par le bourgmestre de la commune de Kisenso dans la province de Maniema mentionnant qu'il était né le 9 janvier 2000 ; que cette attestation, non prévue par le code de la famille en vigueur en République démocratique du Congo et ne correspondant à aucune inscription dans un registre d'état civil, ne constitue pas un acte d'état civil rédigé dans les formes usitées dans ce pays au sens des dispositions précitées de l'article 47 du code précité ; qu'en outre, elle est dépourvue de valeur probante dans la mesure où elle ne comporte aucune photographie et est établie sous une identité qui n'est corroborée par aucun élément probant ; que par ailleurs, il ressort des autres investigations menées par l'administration et notamment de la consultation de la base de données " Visabio " que le requérant a été enregistré en qualité de demandeur de visa auprès des autorités portugaises le 22 décembre 2014 sous l'identité de D...B..., né le 19 mai 1995 à Luanda en Angola après avoir présenté un passeport précisant qu'il était né à cette date ; que, dans ces conditions, l'administration doit être regardée comme apportant des éléments suffisants pour renverser la présomption d'authenticité du document fourni ; que M. E...alias B...ne produit aucun autre élément permettant de justifier de sa minorité ; que par suite, le préfet de la Somme est fondé à soutenir que c'est à tort que le premier juge s'est fondé sur le caractère probant de l'attestation de naissance fournie par l'étranger pour établir la minorité de M. E...alias B...et prononcer l'annulation des arrêtés en litige ;
5. Considérant, toutefois, qu'il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. E...alias B...devant le tribunal administratif de Rouen ;
Sur le moyen commun aux décisions attaquées :
6. Considérant que, par un arrêté du 1er janvier 2016, régulièrement publié le même jour au recueil spécial n° 1 des actes administratifs de la préfecture de la Somme, le préfet de la Somme a donné délégation à M. Jean-Charles Geray, secrétaire général de la préfecture de la Somme, à l'effet de signer notamment les obligations de quitter le territoire français avec ou sans délai de départ volontaire, les décisions fixant le pays de destination et les décisions de placement en rétention administrative ; que, par suite, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur des décisions attaquées manque en fait ;
Sur l'obligation de quitter le territoire français :
7. Considérant que la décision attaquée comporte les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement ; que, par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de la décision attaquée doit être écarté ;
8. Considérant qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que M. E...alias B...aurait sollicité en vain un entretien avec les services préfectoraux, ni qu'il aurait été empêché de présenter spontanément des observations avant que ne soit prise la décision d'éloignement, ni même, au demeurant, qu'il disposait d'éléments pertinents tenant à sa situation personnelle susceptibles d'influer sur le sens de la décision lors de son audition par les services de police ; que, dès lors, le requérant n'a pas été privé du droit d'être entendu tiré du principe général du droit de l'Union européenne ;
9. Considérant qu'il ne ressort pas des pièces du dossier, notamment des termes de la décision attaquée, que le préfet de la Somme ne se serait pas livré à un examen particulier de la situation de M. E...alias B...avant de lui faire obligation de quitter le territoire français ;
10. Considérant que M. E...alias B...soutient que la décision en litige est de nature à porter atteinte à son droit à un procès équitable, tel que garanti par les stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, au motif que l'exécution de la mesure d'éloignement l'empêcherait de faire valoir ses droits devant le tribunal de grande instance d'Amiens ; que toutefois, l'intéressé dispose de la possibilité de se faire représenter par l'intermédiaire d'un avocat ; que par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté ;
11. Considérant que pour les mêmes motifs que ceux retenus au point 4, M. E...alias B...ne saurait utilement invoquer à l'encontre de la décision en litige le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions du 1° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile aux termes duquel : " Ne peuvent faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français : / 1° L'étranger mineur de dix-huit ans (...) " ;
12. Considérant que M. E...alias B...est célibataire et sans enfant à charge ; qu'il n'établit pas avoir constitué des liens personnels et familiaux en France ; que par suite, la décision contestée n'est pas entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle de l'intéressé ;
Sur le refus de délai de départ volontaire :
13. Considérant que la décision attaquée comporte les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement ; que, par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de la décision attaquée doit être écarté ;
14. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. E...alias B...n'est pas fondé à exciper de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français pour soutenir que la décision attaquée serait privée de base légale ;
Sur le pays de destination :
15. Considérant que si la motivation de fait de la décision fixant le pays de destination ne se confond pas nécessairement avec celle obligeant l'étranger à quitter le territoire, la motivation en droit de ces deux décisions est identique et résulte des termes mêmes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, lequel est d'ailleurs mentionné dans la décision attaquée ; que, par ailleurs, le préfet a suffisamment motivé en fait sa décision en mentionnant que le requérant n'est pas exposé à des peines ou traitements contraires à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en cas de retour dans son pays d'origine ;
16. Considérant que, par les dispositions de l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le législateur a entendu déterminer l'ensemble des règles de procédure, administratives et contentieuses, auxquelles sont soumises les décisions portant éloignement du territoire français, à l'exception des arrêtés d'expulsion, ainsi que les décisions qui les accompagnent, telle la décision fixant le pays de destination de la mesure d'éloignement ; qu'il suit de là que le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 24 de la loi du 12 avril 2000 est inopérant et doit être écarté ;
17. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. E...alias B...n'est pas fondé à exciper, à l'appui de ses conclusions dirigées contre la décision fixant le pays de destination, de l'illégalité de la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français ;
18. Considérant qu'aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants " et qu'aux termes du dernier alinéa de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 " ; que M. E...alias B...ne produit aucun document de nature à établir qu'il serait soumis, de manière actuelle et personnelle, à des traitements inhumains et dégradants en cas de retour dans son pays d'origine ; que, par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté ;
Sur le placement en rétention administrative :
19. Considérant que la décision attaquée, qui se réfère aux articles L. 551-1, L. 551-2, L. 551-3 et suivants du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, indique, qu'eu égard à l'absence de document de voyage en cours de validité et de domicile stable, M. E... alias B...ne présente pas de garanties de représentation suffisantes et qu'il peut être placé en rétention administrative ; qu'elle comporte, ainsi, l'ensemble des considérations de droit et de fait sur lesquelles elle se fonde et est, dès lors, suffisamment motivée ;
20. Considérant qu'il résulte des procès-verbaux d'audition du requérant, que M. E... alias B...a été mis à même de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur l'irrégularité de son séjour ; que, par suite, la circonstance que l'administration n'ait pas mis à même l'intéressé de présenter ses observations sur la décision le plaçant en rétention dans l'attente de l'exécution de la mesure d'éloignement ne l'a pas privé de la garantie consistant dans le droit à être entendu préalablement à la décision attaquée ;
21. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. E...alias B...n'est pas fondé à exciper, à l'appui de ses conclusions dirigées contre la décision de placement en rétention administrative, de l'illégalité des décisions lui faisant obligation de quitter le territoire français et refusant de lui accorder un délai de départ volontaire ;
22. Considérant que, pour les mêmes motifs que ceux retenus au point 4, M. E...aliasB..., qui n'était pas mineur, ne saurait utilement invoquer à l'encontre de la décision en litige le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations du 1. de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
23. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M. E...alias B...était dépourvu de tout document d'identité et de voyage et ne disposait pas d'un domicile stable ; qu'ainsi, il ne pouvait être regardé comme présentant, à la date de l'arrêté en litige, des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque qu'il se soustraie à l'obligation de quitter le territoire français dont il faisait l'objet ; que par suite, le moyen tiré de l'erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de la décision en litige sur sa situation doit être écarté ;
24. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Somme est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Rouen a annulé ses arrêtés du 20 janvier 2016 ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1600187 du 22 janvier 2016 du magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Rouen est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. E...alias B...devant le tribunal administratif de Rouen est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. E...alias D...B....
Copie sera adressée au préfet de la Somme.
Délibéré après l'audience publique du 29 novembre 2016 à laquelle siégeaient :
- M. Marc Lavail Dellaporta, président-assesseur, assurant la présidence de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
- Mme Muriel Milard, première conseillère,
- M. Rodolphe Féral, premier conseiller.
Lu en audience publique le 13 décembre 2016.
Le rapporteur,
Signé : M. A...Le président-assesseur,
Signé : M. F...
Le greffier,
Signé : M.T. LEVEQUE
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme
Le greffier,
Marie-Thérèse Lévèque
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N°16DA00415