Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 12 février 2019, la préfète de la Seine-Maritime demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. B...devant le tribunal administratif de Rouen.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- les arrêts de la Cour de justice de l'Union européenne C-166/13 du 5 novembre 2014 et C-249/13 du 11 décembre 2014 ;
- la loi n° 91- 647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Julien Sorin, président-assesseur, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. La préfète de la Seine-Maritime interjette appel du jugement du 15 janvier 2019 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen a, à la demande de M.B..., ressortissant marocain né le 8 juillet 1990, annulé son arrêté du 15 octobre 2018 portant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, fixant le pays de renvoi, et obligeant l'intéressé à se présenter une fois par semaine dans les locaux de la gendarmerie du Tréport.
Sur le motif d'annulation retenu par le tribunal :
2. M. B...est entré en France le 7 janvier 2016, sous couvert d'un visa de court séjour. Il est constant qu'il s'est maintenu en situation irrégulière, et n'a entamé aucune démarche pour obtenir un titre de séjour. A la suite du dépôt d'un dossier à la mairie d'Eu, en vue de son mariage avec une ressortissante française, le procureur de la République a prononcé, le 14 septembre 2018, le sursis à la célébration du mariage de M. B...pour une durée d'un mois renouvelable, et a diligenté une enquête. Le 28 septembre, M. B...a été auditionné par les services de gendarmerie du Tréport dans le cadre de cette enquête. Il a, ensuite, fait l'objet d'une procédure de retenue pour vérification de son droit au séjour le 15 octobre 2018, et la préfète de la Seine-Maritime a décidé, ce même jour, de prononcer à son encontre une mesure d'éloignement. Il ressort des pièces du dossier que M. B... séjournait en France de manière irrégulière depuis plus de deux ans à la date de l'arrêté en litige et n'avait engagé aucune démarche en vue de régulariser sa situation. Il ne ressort, ainsi, pas des pièces du dossier que la préfète de la Seine-Maritime aurait été informée du caractère irrégulier de son séjour en France, cette circonstance ayant été révélée au cours de l'audition du 28 septembre 2018. Ainsi la mesure contestée n'a fait que tirer les conséquences de l'irrégularité de la présence en France de M. B... dans un délai rapide mais qui n'est pas inhabituel lorsqu'un cas de séjour irrégulier est révélé au cours d'une enquête de gendarmerie. Dès lors, et dans ces circonstances, il ne ressort pas des pièces du dossier que cette décision a eu pour motif déterminant de faire obstacle au mariage de M.B.... L'arrêté du 15 octobre 2018 n'est, par suite, pas entaché de détournement de pouvoir. Dès lors, la préfète de la Seine-Maritime est fondée à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen l'a annulé, pour ce motif.
3. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B...à l'encontre de l'arrêté attaqué devant le tribunal administratif de Rouen et devant la cour.
Sur la légalité de l'arrêté du 15 octobre 2018 :
En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :
4. L'arrêté du 15 octobre 2018 comporte l'énoncé des circonstances de droit et de fait sur lesquelles la préfète de la Seine-Maritime s'est fondée pour obliger M. B... à quitter le territoire français. Cette obligation est, ainsi, suffisamment motivée au regard des exigences du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
5. Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne que le droit d'être entendu fait partie intégrante du respect des droits de la défense, principe général du droit de l'Union. Ainsi que la Cour de justice de l'Union européenne l'a jugé dans ses arrêts C-166/13 et C-249/13 des 5 novembre et 11 décembre 2014, le droit d'être entendu préalablement à l'adoption d'une décision de retour implique que l'autorité administrative mette le ressortissant étranger en situation irrégulière à même de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur l'irrégularité du séjour et les motifs qui seraient susceptibles de justifier que l'autorité s'abstienne de prendre à son égard une décision de retour.
6. Il ressort du procès-verbal d'audition de M. B...du 15 octobre 2018 que celui-ci a été informé, préalablement à l'édiction de l'obligation de quitter le territoire français, de la possibilité qu'une telle mesure soit prise à son encontre, et invité à présenter ses observations sur ce point. Il a ainsi pu être entendu sur l'irrégularité de son séjour et sur la perspective de son éloignement. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision contestée méconnaîtrait le principe général du droit de l'Union européenne d'être entendu, doit être écarté.
7. Il ne résulte ni de la motivation de l'arrêté en litige, ni d'aucune autre pièce du dossier, que la préfète de la Seine-Maritime n'aurait pas procédé à un examen particulier de la situation de M. B...avant de prendre la décision contestée.
8. M. B...ne peut utilement se prévaloir de l'illégalité de la décision fixant le délai de départ volontaire au soutien de ses conclusions dirigées contre l'obligation de quitter le territoire français.
9. Alors même que M. B...a indiqué, lors de son audition qu'il vivait en concubinage, depuis le mois de juillet 2017, avec une ressortissante française qu'il avait pour projet d'épouser, la préfète de la Seine-Maritime n'a pas, pour autant, commis d'erreur de fait en indiquant que l'intéressé était célibataire et sans charge de famille.
10. Ainsi qu'il a été dit au point 2, M. B...est entré en France le 7 janvier 2016 sous couvert d'un visa de court séjour. Il s'est ensuite maintenu en situation irrégulière jusqu'à la date de la décision en litige. S'il fait valoir qu'il vit en concubinage avec une ressortissante française depuis le mois de juillet 2017, et que ses cousins vivent en France, cette circonstance, compte tenu de la brièveté de sa relation amoureuse et de la présence, dans son pays d'origine, de ses parents et de ses frères, ne suffit pas à établir, compte tenu de la durée et des conditions de son séjour en France, et nonobstant son projet de mariage, que la décision en litige porterait, à son droit au respect de sa vie privée et familiale, une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'erreur manifeste d'appréciation de sa situation personnelle ne peuvent qu'être écartés.
Sur la légalité de la décision fixant le délai de départ volontaire :
11. Aucune disposition législative ou réglementaire n'impose au préfet de motiver spécifiquement la décision fixant le délai de départ volontaire quand celui-ci correspond à la durée légale, laquelle est fixée à un mois en vertu de II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il ne ressort d'aucune pièce du dossier que M. B... aurait présenté une demande afin d'obtenir un délai supérieur. Par suite, le moyen tiré du défaut de motivation quant à la " nécessité d'envisager un délai de départ volontaire plus important " doit être écarté.
12. Il résulte de ce qui a été dit aux points 4 à 10, que le moyen tiré, par voie d'exception, de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français à l'encontre de la décision fixant le délai de départ volontaire doit être écarté.
13. Il n'est pas établi que la préfète, en fixant à trente jours le délai dont disposait M. B... pour quitter volontairement le territoire français, aurait eu pour conséquence d'empêcher, " consciemment ou inconsciemment ", le mariage de l'intéressé, qui faisait, au demeurant l'objet d'une décision de surseoir à son prononcé. Par suite, il n'est pas établi que la préfète de la Seine-Maritime aurait, en fixant le délai de départ volontaire, entaché sa décision d'une erreur d'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle de M.B..., ni méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Sur la légalité de la décision fixant le pays de renvoi :
14. L'arrêté du 15 octobre 2018 précise dans ses motifs, sous le visa du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la nationalité de M. B... et énonce que celui-ci n'établit pas être exposé à des peines ou à des traitements contraires à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en cas de retour dans son pays d'origine. Ainsi, la décision fixant le pays de destination de la mesure d'éloignement prise à l'égard de M. B...doit être regardée comme suffisamment motivée.
15. Il résulte de ce qui a été dit aux points 4 à 10, que le moyen tiré, par voie d'exception, de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français à l'encontre de la décision fixant le pays de destination doit être écarté.
Sur la légalité de la décision lui faisant obligation de se présenter au commissariat tous les mardis :
16. Aux termes de l'article L. 513-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger auquel un délai de départ volontaire a été accordé en application du II de l'article L. 511-1 peut, dès la notification de l'obligation de quitter le territoire français, être astreint à se présenter à l'autorité administrative ou aux services de police ou aux unités de gendarmerie pour y indiquer ses diligences dans la préparation de son départ (...) ". Et aux termes de l'article R. 513-3 du même code : " L'autorité administrative désigne le service auprès duquel l'étranger doit effectuer les présentations prescrites et fixe leur fréquence qui ne peut excéder trois présentations par semaine ".
17. Si l'obligation de présentation à laquelle un étranger est susceptible d'être astreint est une décision distincte de celles l'obligeant à quitter le territoire français et lui accordant un délai de départ volontaire, elle concourt néanmoins à la mise en oeuvre de l'obligation de quitter le territoire. Dès lors, sa motivation au titre de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration peut, outre la référence à l'article L. 513-4, se confondre avec celle de l'obligation de quitter le territoire français assortie d'un délai de départ volontaire. Eu égard à ce qui a été dit au point 4 et en reproduisant l'article L. 513-4, la préfète de la Seine-Maritime a suffisamment motivé en droit et en fait l'obligation faite à M. B...de se présenter une fois par semaine à la brigade de gendarmerie du Tréport pour justifier des diligences accomplies en vue de son retour. Dès lors, le moyen tiré de l'absence de motivation doit être écarté.
18. Cette mesure, qui découle de l'obligation de quitter le territoire français et qui est appliquée dès sa notification et pendant le délai accordé au requérant pour organiser son départ volontaire, n'est, dès lors, pas entachée de détournement de pouvoir et ne revêt pas, dans les circonstances de l'espèce, de caractère excessif eu égard notamment aux conditions de séjour de M. B...et n'est pas entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
19. Il résulte de tout ce qui précède qu'aucun des moyens soulevés par M. B...devant le tribunal administratif de Rouen n'est fondé. Par voie de conséquence, la préfète de la Seine-Maritime est fondée à demander l'annulation du jugement du 15 janvier 2019 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen ainsi que le rejet de la demande de première instance de M.B.... Les conclusions présentées par M. B...au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées par voie de conséquence.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1804480 du 15 janvier 2019 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen est annulé.
Article 2 : La demande de première instance et les conclusions d'appel de M. B...sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. A...B....
Copie sera adressée au préfet de la Seine-Maritime.
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N°19DA00341