Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 22 février 2016 et le 16 mai 2017, M. A..., représenté par Me D...C..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Lille du 17 décembre 2015 ;
2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, les arrêtés des 7 octobre 2011 et 26 avril 2013 en litige ;
3°) d'enjoindre à la garde des sceaux, ministre de la justice, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à l'expiration d'un délai de quinze jours à compter de la date de notification de l'arrêt à intervenir, de procéder à une reconstitution de sa carrière et de le réintégrer effectivement dans les fonctions de directeur des services de la protection judiciaire de la jeunesse.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le décret n° 82-451 du 28 mai 1982 ;
- le décret n° 84-961 du 25 octobre 1984 ;
- le décret n° 2005-850 du 27 juillet 2005 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Jean-François Papin, premier conseiller,
- les conclusions de M. Jean-Philippe Arruebo-Mannier, rapporteur public,
- et les observations de Me D...C..., représentant M.A....
1. Considérant que M.A..., recruté en tant qu'éducateur de la protection judiciaire de la jeunesse en 2000, a été affecté, en cette qualité, au centre d'action éducative d'insertion de Villeneuve-d'Ascq (Nord) ; qu'ayant été déclaré admis à l'issue des épreuves du concours interne de directeur de la protection judiciaire de la jeunesse, il a été affecté temporairement, à l'issue de sa scolarité en 2003, au service territorial d'éducation en milieu ouvert de Dunkerque, puis au foyer d'action éducative de Douai ; qu'il a été titularisé dans ses fonctions en 2004 ; qu'ayant rejoint, en 2006, la direction régionale Centre-Limousin-Poitou-Charente, où il a exercé des fonctions de directeur conseiller technique, il a été muté, l'année suivante, à sa demande, sur un poste de directeur de service du foyer d'action éducative de Bures-sur-Yvette (Essonne) ; qu'il a, enfin, rejoint, à compter du 1er septembre 2009, le service territorial d'éducation en milieu ouvert de Béthune (Pas-de-Calais) ; qu'ayant rencontré, notamment dans cette dernière affectation, des difficultés dans l'exercice de ses fonctions, M. A...a fait l'objet, le 27 juillet 2011, d'un rapport en vue de l'engagement d'une procédure de licenciement pour insuffisance professionnelle ; qu'après consultation de la commission administrative paritaire, qui, le 9 septembre 2011, a émis un avis défavorable à ce projet, le garde des sceaux, ministre de la justice a néanmoins décidé de prononcer ce licenciement, par un arrêté du 7 octobre 2011 ; que, M. A...ayant formé un recours gracieux devant la commission de recours du conseil supérieur de la fonction publique, qui, le 12 février 2013, a été d'avis que les manquements reprochés à l'intéressé n'étaient pas de nature à établir une insuffisance professionnelle, le ministre a expressément maintenu, par un arrêté du 26 avril 2013, sa précédente décision ; que M. A...relève appel du jugement du 17 décembre 2015, par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté ses demandes tendant à l'annulation, pour excès de pouvoir, de ces deux arrêtés et à ce qu'il soit enjoint, sous astreinte, au garde des sceaux, ministre de la justice, de le réintégrer dans ses fonctions et de reconstituer sa carrière ;
Sur la régularité de la procédure préalable au licenciement :
2. Considérant qu'il y a lieu d'écarter, par adoption des motifs retenus à bon droit par les premiers juges et en tout état de cause, le moyen tiré de ce que le signataire du rapport de saisine de la commission administrative appelée à se prononcer sur le projet de licenciement de M. A...pour insuffisance professionnelle n'aurait pas été compétent pour ce faire ;
3. Considérant que, si le directeur de la protection judiciaire de la jeunesse du ministère de la justice, autorité investie du pouvoir hiérarchique à l'égard des personnels des services territoriaux de la protection judiciaire de la jeunesse, a présidé, conformément aux dispositions de l'article 27 du décret du 28 mai 1982 relatif aux commissions administratives paritaires, la commission paritaire chargée de donner un avis sur le projet de licenciement de M. A...pour insuffisance professionnelle, puis, en signant l'arrêté contesté du 7 octobre 2011 pour le garde des sceaux, ministre de la justice, a prononcé, au vu de cet avis, la décision de licencier l'intéressé, cette situation résultant de l'application même d'une disposition réglementaire régissant le fonctionnement des commissions administratives paritaires ne saurait, par elle-même, caractériser, au détriment de M. A..., un manque d'impartialité de la commission ; que, si l'intéressé soutient, en outre, que le directeur de la protection judiciaire de la jeunesse aurait eu à arbitrer un différend qui l'aurait opposé à sa hiérarchie directe au sujet de l'attribution d'un logement de fonction, cette seule circonstance, qui concerne des faits anciens, intervenus sept ans auparavant, à l'occasion de sa prise de fonctions comme directeur du foyer d'action éducative de Douai et qui sont dépourvus de lien avec l'appréciation de sa valeur professionnelle, ne saurait suffire, à supposer même la réalité de cette situation établie, à mettre en doute l'impartialité de cette autorité, à la date à laquelle elle a été amenée à présider la commission ; qu'il n'est, au demeurant, pas allégué que le directeur de la protection judiciaire de la jeunesse aurait fait preuve, dans la conduite des débats de la commission, d'une animosité particulière à l'égard de M.A... ; que, dès lors, le moyen tiré de ce que le président de la commission administrative paritaire n'aurait pas présenté des garanties suffisantes d'impartialité doit être écarté ;
Sur le bien-fondé du licenciement contesté :
4. Considérant que, pour prononcer, par l'arrêté du 7 octobre 2011 en litige, le licenciement de M.A..., le garde des sceaux, ministre de la justice a notamment relevé que l'intéressé avait fait montre d'un manque d'organisation et de rigueur dans la gestion administrative de son service, en particulier en ce qui concerne la tenue de son agenda et le respect des délais impartis, qu'il ne parvenait pas non plus à communiquer avec les agents placés sous son autorité, ainsi qu'avec les partenaires institutionnels de son service, que ces dysfonctionnements avaient donné lieu à des réclamations de la part de la juridiction pour enfants de Béthune et ont nui à l'image du service, que des absences injustifiées ou tardivement justifiées de M. A...étaient aussi à déplorer et que ces divers manquements, qui avaient déjà été relevés dans de précédentes affectations de l'intéressé, à Douai et à Bures-sur-Yvette, présentaient un caractère récurrent ;
5. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier et notamment d'un rapport d'audit établi le 17 mai 2011 par la direction interrégionale de la protection judiciaire de la jeunesse Grand Nord au sujet de dysfonctionnements relevés au niveau de l'unité éducative en milieu ouvert de Béthune, laquelle relève du service territorial d'éducation en milieu ouvert placé sous la responsabilité de M.A..., que l'ensemble des professionnels affectés dans cette unité s'accordaient pour relever des carences dans le pilotage de celle-ci ; qu'ainsi, alors qu'un protocole de travail relatif à la mise en oeuvre des mesures judiciaires d'investigation éducative avait été élaboré de concert par le responsable de l'unité et l'équipe éducative, en mars 2011, celui-ci demeurait, depuis lors, en attente, faute d'avoir été validé par le directeur du service territorial d'éducation ; que les professionnels rencontrés n'avaient qu'une connaissance très partielle des dispositions de la circulaire du 25 février 2009 relative à l'action éducative structurée par les activités de jour ; que la mise en place du dispositif d'accueil-accompagnement n'était pas effective, alors même que cette unité s'était vue assigner l'objectif de rendre ce dispositif opérationnel avant la fin du premier semestre 2011 ; que la réorganisation des locaux, induite par l'aménagement d'une unité éducative d'hébergement diversifié et d'une permanence éducative auprès du tribunal, a dû être assumée en urgence par le responsable de l'unité éducative ; que ce dernier a dû, en outre, organiser depuis lors ces permanences, alors même que des professionnels d'autres unités relevant du service territorial d'éducation y prenaient part, et a mis au point les outils de pilotage mis en oeuvre au sein de l'unité ; qu'il est apparu aux auditeurs que M.A..., à qui ces missions incombaient, n'avait pas une connaissance précise de l'activité de cette unité, alors pourtant que son bureau y était installé, et qu'il n'était pas, contrairement à ce qu'un exercice normal de ses missions exigeait, un interlocuteur pour les magistrats, qu'il n'avait rencontré qu'à deux reprises depuis sa nomination en 2009 et qui n'avaient pas perçu de suite concrètes à leurs demandes d'amélioration ; qu'en outre, il a été relevé que M. A...communiquait très peu avec les personnels affectés à l'unité, qui avaient pour seul référent le responsable de celle-ci et qui étaient incapables de définir les missions qui seraient assumées par le directeur ; que ceux-ci ont, d'ailleurs, adressé au directeur territorial de la protection de la jeunesse du Pas-de-Calais le 10 janvier 2011 une pétition collective, destinée à appeler son attention sur le manque de visibilité et de directives claires auxquelles ils étaient confrontés ;
6. Considérant qu'il ressort des autres pièces du dossier et notamment d'un courrier que lui a adressé le 28 mai 2010 le directeur territorial de la protection de la jeunesse du Pas-de-Calais, que M.A..., qui avait été alerté, à la fin mars 2010, par le responsable de l'unité territoriale de Lens, du grand nombre de mesures d'investigation et d'orientation éducative en attente au sein de cette unité, ce qui appelait des décisions de réaffectation, n'avait pris aucune décision deux mois plus tard ; que, de même, la situation de suractivité récurrente d'une assistante de service social affectée à l'unité de Béthune n'a appelé aucune mesure de sa part ; que, plus généralement, ce courrier confirme que M. A...ne rendait pas compte à la direction territoriale de l'activité de son service, qui n'était connue de celle-ci que par le biais des rapports des responsables des unités territoriales qui en relevaient ; que d'autres pièces du dossier révèlent aussi que l'intéressé n'a été en mesure de transmettre qu'avec retard les comptes-rendus d'évaluation de ses collaborateurs ; qu'en outre, il ressort de plusieurs lettres de rappel, versées au dossier, que M. A..., qui ne communiquait sur son agenda ni auprès de ses collaborateurs, ni de sa hiérarchie, a été fréquemment absent sans préavis depuis son affectation au service territorial d'éducation de Béthune, y compris à des dates où des réunions importantes étaient programmées, et qu'il avait pour habitude de ne pas justifier spontanément auprès du service des motifs de ses absences ; que, par un courrier adressé à M. A...le 8 avril 2011, le juge du tribunal pour enfants de Béthune a de surcroît fait état de graves lacunes dans le suivi d'un mineur placé deux ans auparavant sous contrôle judiciaire pour des faits de nature criminelle et qui n'avait fait l'objet d'aucun suivi ; que, compte tenu de ces difficultés, le directeur territorial a décidé d'organiser des réunions régulières afin que M. A...puisse communiquer sur la situation de son établissement, rendre compte sur les affaires en cours et faire un bilan personnel des progrès obtenus par rapport au rendez-vous précédent ; que les comptes-rendus de ces entretiens révèlent que les manquements mis précédemment en évidence ont perduré malgré cet accompagnement et que M. A...n'a pas été à même de mettre en oeuvre les actions correctives attendues, ni à améliorer son positionnement tant en interne qu'en externe ; qu'enfin, les fiches d'évaluation de l'intéressé, au titre de la période correspondant à son affectation au service territorial d'éducation en milieu ouvert de Béthune, corroborent les grandes difficultés ainsi rencontrées par M. A...pour répondre aux attentes qui étaient placées en lui ;
7. Considérant que, si M. A...soutient que les documents qu'il a réalisés étaient de bonne qualité et qu'il a satisfait à certains des objectifs qui lui avaient été assignés, il ne ressort pas de ce qui a été rappelé au point 4 que l'administration aurait entendu se fonder sur une insuffisance de ses production ou de ses résultats pour estimer qu'il faisait preuve d'insuffisance professionnelle ; que, de même, ni le fait que certains retards de transmission au tribunal pour enfants de rapports d'éducateurs sociaux ne lui seraient pas imputables, ni les quelques courriers que M. A...a adressés au juge des enfants en 2010 et au début 2011 ne sont de nature à remettre en cause l'appréciation portée par le garde des sceaux, ministre de la justice, selon laquelle M. A... n'avait pas su être l'interlocuteur privilégié de la juridiction et n'avait pas pris les mesures propres à remédier aux dysfonctionnements observés dans la mise en oeuvre de suivis de jeunes confiés à son service, le seul courrier de rappel à l'ordre qu'il a adressé le 24 février 2011 à quatre éducateurs concernés ne pouvant y suffire ; que, de même, la circonstance qu'il a organisé, sur une période de deux ans, quelques réunions avec les responsables des unités relevant de son service ne saurait lui permettre de remettre en cause le grief lié à l'insuffisance de sa communication avec les agents placés sous son autorité ; qu'en outre, les quelques emplois du temps rédigés par ses soins, qu'il verse au dossier, ne sauraient davantage constituer une contestation convaincante du grief lié à l'absence de transparence sur son agenda ; qu'enfin, par ses seules dénégations, M. A...ne conteste pas sérieusement les autres insuffisances relevées ; que, dans ces circonstances, compte tenu de ce qui a été dit aux points 5 et 6, la réalité des faits retenus par le garde des sceaux, ministre de la justice pour prononcer son licenciement au motif d'une insuffisance professionnelle doit être regardée comme établie ;
8. Considérant que les manquements ainsi constatés et décrits aux points 4 à 6, qui concernent les savoir-faire fondamentaux que requiert l'exercice de fonctions de direction, notamment en matière de communication, tant en interne qu'avec les partenaires institutionnels de la structure, d'encadrement des équipes, de compte-rendu à la hiérarchie, de respect des délais assignés et d'exemplarité, caractérisent une insuffisance professionnelle, alors même que certains de ces manquements auraient pu justifier l'engagement d'une procédure disciplinaire ; que, par suite, pour estimer que M. A...avait fait preuve d'une telle insuffisance de nature à justifier un licenciement, le garde des sceaux, ministre de la justice ne s'est pas mépris dans l'appréciation des faits de l'espèce à laquelle il s'est livré et n'a pas davantage donné à ces faits une qualification juridique erronée ;
9. Considérant que, dans ces conditions et alors, en particulier, que les éléments de l'instruction ne comportent pas d'indice de nature à révéler qu'aux dates auxquelles les décisions en litige ont été prises, l'intention véritable de l'administration aurait été de sanctionner M.A..., le détournement de pouvoir allégué n'est pas établi ;
10. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que A...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement du 17 décembre 2015, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande ; que ses conclusions à fin d'injonction assortie d'astreinte doivent, par voie de conséquence, être rejetées ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. A...est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B...E...A...et à la garde des sceaux, ministre de la justice.
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N°16DA00383
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