Par une requête, enregistrée le 30 mai 2018, le préfet du Pas-de-Calais, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter l'ensemble des conclusions de première instance.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. F...Albertini, président-rapporteur, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme G...D..., ressortissante malienne, née en 1991 à Nafegué, au Mali, a été interpellée le 16 avril 2018 à l'intérieur du lien fixe transmanche à Coquelles, en possession d'une carte nationale d'identité appartenant à un tiers et d'un passeport burkinabé. Elle s'est alors présentée sous l'identité de Mme B...E..., de nationalité burkinabé. Par un arrêté du 17 avril 2018, le préfet du Pas-de-Calais lui a fait obligation de quitter le territoire français, a fixé le pays à destination duquel elle pourrait être reconduite d'office et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français, pour une durée d'un an. Le préfet du Pas-de-Calais relève appel du jugement par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a annulé son arrêté et lui a enjoint de délivrer à Mme D...une autorisation provisoire de séjour.
Sur le motif d'annulation retenu par le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille :
2. Si, aux termes de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions et organes de l'Union. / Ce droit comporte notamment : / - le droit de toute personne d'être entendue avant qu'une mesure individuelle qui l'affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre ; (...) ", il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne que cet article s'adresse non pas aux Etats membres mais uniquement aux institutions, organes et organismes de l'Union. Ainsi, le moyen tiré de leur violation par une autorité d'un Etat membre est inopérant.
3. Toutefois, ainsi que la Cour de justice de l'Union européenne l'a jugé dans ses arrêts C-166/13 et C-249/13 des 5 novembre et 11 décembre 2014, le droit d'être entendu préalablement à l'adoption d'une décision de retour implique que l'autorité administrative mette le ressortissant étranger en situation irrégulière à même de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur l'irrégularité du séjour et les motifs qui seraient susceptibles de justifier que l'autorité s'abstienne de prendre à son égard une décision de retour. Il n'implique cependant pas que l'administration ait l'obligation de mettre l'intéressé à même de présenter ses observations de façon spécifique sur la décision l'obligeant à quitter le territoire français dès lors qu'il a pu être entendu sur l'irrégularité du séjour ou la perspective de l'éloignement.
4. Il ressort des pièces du dossier, notamment du procès-verbal d'audition signé par Mme D...dans le cadre de la procédure de retenue instituée par les dispositions de l'article L. 611-1-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qu'elle a été entendue, en langue française, le 17 avril 2018, par les services de police, et qu'elle comprend parfaitement cette langue. Elle n'a pas demandé le concours d'un interprète et, au cours de cet entretien, elle a, en particulier, été interrogée sur son âge, sa nationalité, sa situation de famille, les raisons et les conditions de son départ de son pays d'origine et de son arrivée et de son séjour sur le territoire français, ainsi que sur l'éventualité d'une mesure d'éloignement, avant d'être invitée à formuler toute remarque complémentaire. Elle a ainsi clairement indiqué à la fin de l'audition, en réponse à la question qui lui avait été posée, qu'elle n'avait pas d'autre élément à porter à la connaissance du préfet. Il ressort aussi des deux ordonnances du juge des libertés et de la détention du 19 avril 2018 et du magistrat de la chambre des libertés désigné par le premier président de la cour d'appel de Douai du 21 avril 2018 que Mme D...a comparu en personne, et a encore pu s'exprimer en français, langue officielle du Mali, pays dont elle revendique la nationalité, sans le concours d'un interprète. Elle a, au demeurant, suivi des études au Mali dans une école de techniciens socio-sanitaires, jusqu'en 2013, pour obtenir une qualification de sage-femme, ce qui est établi par la carte d'étudiante qu'elle a versée au dossier. Mme D...a eu ainsi la possibilité de faire valoir utilement les éléments pertinents dans une langue qu'elle comprend, susceptibles d'influencer la décision du préfet du Pas-de-Calais sur son éloignement. Il ne ressort pas davantage des pièces du dossier qu'elle aurait été empêchée de présenter des observations écrites. Enfin, et en tout état de cause, il ne ressort pas du dossier qu'elle disposait d'informations tenant à sa situation qu'elle aurait été empêchée de porter à la connaissance de l'administration avant que ne soit prise la mesure qu'elle conteste et qui, si elles avaient pu être communiquées à temps, auraient été de nature à faire obstacle à l'édiction de cette décision Elle n'est, dès lors, pas fondée à soutenir que l'obligation de quitter le territoire français a été prise à son encontre en violation du droit de toute personne d'être entendue préalablement à toute mesure individuelle qui l'affecterait défavorablement, principe général du droit de l'Union européenne. Par suite, c'est à tort que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille s'est fondé sur ce motif pour annuler les décisions contestées.
5. Toutefois, il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, de statuer sur l'ensemble des moyens présentés par Mme D...devant le tribunal administratif de Lille.
Sur le moyen commun aux décisions attaquées :
6. Eu égard au caractère réglementaire des arrêtés de délégation de signature, soumis à la formalité de publication, le juge peut, sans méconnaître le principe du caractère contradictoire de la procédure, se fonder sur l'existence de ces arrêtés alors même que ceux-ci ne sont pas versés au dossier. Par un arrêté n° 2017-10-151 du 18 décembre 2017, publié le même jour au recueil spécial n° 121 des actes administratifs de la préfecture, le préfet du Pas-de-Calais a donné délégation à M. C...A..., signataire de l'arrêté en litige, à l'effet de signer, notamment, les décisions attaquées. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire des décisions contestées doit être écarté.
Sur la légalité de l'obligation de quitter le territoire français :
7. La décision attaquée comporte les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation doit être écarté.
8. Il ne résulte ni de la motivation de l'arrêté en litige, ni d'aucune autre pièce du dossier, que le préfet du Pas-de-Calais n'aurait pas procédé à un examen particulier de la situation de Mme D...avant de prendre la décision contestée. Dès lors, le moyen tiré du défaut d'examen de la situation particulière de l'intéressée doit être écarté.
9. Le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation qu'aurait commis le préfet quant aux conséquences de sa décision sur la situation personnelle de l'intéressée en raison des risques qu'elle encourrait en cas de retour au Mali est inopérant à l'encontre de la décision attaquée, qui ne fixe pas le pays à destination duquel elle serait renvoyée.
10. Il ressort des pièces du dossier que Mme D...est dépourvue de charge de famille en France et a déclaré vouloir se rendre en Grande Bretagne. Elle est dépourvue de domicile fixe et d'attaches familiales en France, où elle circulait en transit à destination de la Grande-Bretagne sous couvert d'une carte nationale d'identité appartenant à un tiers, en faisant usage d'une identité usurpée. Elle avance en outre que son conjoint réside en Grande Bretagne, pays dont il a nationalité, avec deux de ses enfants. Compte tenu de ces éléments comme de la durée et des conditions du séjour de la requérante en France, le préfet du Pas-de-Calais, en lui faisant obligation de quitter le territoire français, ne s'est pas fondé sur des faits inexacts et n'a pas porté au droit de l'intéressée au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des buts dans lesquels a été prise cette décision. Le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit, dès lors, être écarté. Pour les mêmes motifs, le moyen tiré de ce que la décision obligeant Mme D...à quitter le territoire français serait entachée d'une erreur manifeste commis par le préfet du Pas-de-Calais dans l'appréciation des conséquences de cette mesure sur sa situation personnelle doit aussi être écarté.
Sur la légalité de la décision relative au délai de départ volontaire :
11. La décision contestée comporte les considérations de fait et de droit sur lesquelles elle se fonde. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation doit être écarté.
12. Aux termes des dispositions du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) l'autorité administrative peut, par une décision motivée, décider que l'étranger est obligé de quitter sans délai le territoire français : / (...) / 3° S'il existe un risque que l'étranger se soustraie à cette obligation. Ce risque peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : / a) Si l'étranger, qui ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, n'a pas sollicité la délivrance d'un titre de séjour ; / (...) ".
13. Il ressort des pièces du dossier que Mme D...ne peut justifier être entrée régulièrement sur le territoire français et n'a pas sollicité la délivrance d'un titre de séjour. Dès lors, elle entre dans le champ des dispositions citées au point précédent qui permettent au préfet du Pas-de-Calais de l'obliger à quitter le territoire français sans délai. Elle ne se prévaut par ailleurs d'aucune circonstance particulière qui aurait justifié de lui octroyer un délai de départ volontaire. Par suite, le préfet n'a pas méconnu les dispositions du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Sur la décision fixant le pays de destination :
14. L'arrêté attaquée vise le dernier alinéa du I de l'article L. 511-1 et l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par ailleurs, cet arrêté mentionne la nationalité de Mme D...et précise que la décision ne méconnaît pas les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en cas de retour dans son pays d'origine. Elle est, ainsi, suffisamment motivée au regard des exigences de l'article L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration.
15. Il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet du Pas-de-Calais aurait insuffisamment examiné les éléments portés à sa connaissance par Mme D...relatifs à sa situation personnelle et pour faire valoir qu'elle serait exposé en cas de retour dans son pays d'origine à des risques pour sa liberté, pour sa sécurité ou à des traitements inhumains ou dégradants.
16. Il résulte de ce qui a été dit au point 2 que les moyens tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, invoqué par Mme D...à l'encontre de la décision en litige qui fixe le pays de destination de l'éloignement vers le pays dont elle revendique la nationalité ou de tout autre pays où elle établirait être légalement admissible, et de l'erreur manifeste d'appréciation commise par le préfet sur les conséquences qu'aurait pour l'intéressée l'exécution de sa décision, doivent être écartés.
Sur la légalité de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an :
17. Aux termes du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative, par une décision motivée, assortit l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français, d'une durée maximale de trois ans à compter de sa notification, lorsque aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger ou lorsque l'étranger n'a pas satisfait à cette obligation dans le délai imparti. / Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative ne prononce pas d'interdiction de retour. / (...) / La durée de l'interdiction de retour mentionnée au premier alinéa du présent III ainsi que le prononcé et la durée de l'interdiction de retour mentionnée au quatrième alinéa sont décidés par l'autorité administrative en tenant compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français (...) ".
18. Il ressort des termes mêmes de ces dispositions que l'autorité compétente doit, pour décider de prononcer à l'encontre de l'étranger soumis à l'obligation de quitter le territoire français une interdiction de retour et en fixer la durée, tenir compte, dans le respect des principes constitutionnels, des principes généraux du droit et des règles résultant des engagements internationaux de la France, des quatre critères qu'elles énumèrent, sans pouvoir se limiter à ne prendre en compte que l'un ou plusieurs d'entre eux. La décision d'interdiction de retour doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement, de sorte que son destinataire puisse à sa seule lecture en connaître les motifs. Si cette motivation doit attester de la prise en compte par l'autorité compétente, au vu de la situation de l'intéressé, de l'ensemble des critères prévus par la loi, aucune règle n'impose que le principe et la durée de l'interdiction de retour fassent l'objet de motivations distinctes, ni que soit indiquée l'importance accordée à chaque critère.
19. Il incombe ainsi à l'autorité compétente qui prend une décision d'interdiction de retour d'indiquer dans quel cas susceptible de justifier une telle mesure se trouve l'étranger. Elle doit par ailleurs faire état des éléments de la situation de l'intéressé au vu desquels elle a arrêté, dans son principe et dans sa durée, sa décision, eu égard notamment à la durée de la présence de l'étranger sur le territoire français, à la nature et à l'ancienneté de ses liens avec la France et, le cas échéant, aux précédentes mesures d'éloignement dont il a fait l'objet. Elle doit aussi, si elle estime que figure au nombre des motifs qui justifient sa décision une menace pour l'ordre public, indiquer les raisons pour lesquelles la présence de l'intéressé sur le territoire français doit, selon elle, être regardée comme une telle menace. En revanche, si, après prise en compte de ce critère, elle ne retient pas cette circonstance au nombre des motifs de sa décision, elle n'est pas tenue, à peine d'irrégularité, de le préciser expressément.
20. La décision par laquelle le préfet du Pas-de-Calais a fait interdiction à Mme D...de revenir sur le territoire français, pour une durée d'un an, mentionne le III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. La décision fait, également, état de son entrée irrégulière sur le territoire français, de la brièveté de son séjour alors qu'elle se rendait en Grande-Bretagne ainsi que de l'absence de liens privés et familiaux en France. Par suite, la décision attaquée qui comporte l'ensemble des considérations de fait et de droit sur lesquelles elle se fonde et répond aux exigences rappelées au point précédent, est ainsi suffisamment motivée.
21. Il ressort des pièces du dossier que Mme D...est entrée irrégulièrement sur le territoire français et y était seulement en transit, selon ses déclarations lors de son audition par les services de police, lorsqu'elle a été interpellée. Elle se prévaut d'aucune attache privée et familiale en France et indique que son objectif était de gagner le Royaume-Uni. Par suite, en prononçant à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an, le préfet du Pas-de-Calais n'a pas commis d'erreur d'appréciation au regard des dispositions citées au point 17.
22. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet du Pas-de-Calais est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a annulé l'arrêté du 17 avril 2018 par lequel il a fait obligation à Mme D... alias E...de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel elle pourrait être reconduite d'office et lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée d'un an et lui a enjoint de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du 25 avril 2018 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille est annulé.
Article 2 : La demande présentée par MmeD..., aliasE..., devant le tribunal administratif de Lille est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme G...D...alias B...E...et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée pour information au préfet du Pas-de-Calais.
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N°18DA01088
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