Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 18 août 2016, M. D...E..., représenté par Me C...F...qui succède à Me G...H..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 28 février 2014 par laquelle le ministre du travail a retiré la décision de l'inspectrice du travail du 4 septembre 2013 refusant l'autorisation de le licencier, et accordé cette autorisation à la société Brenntag ;
3°) de mettre à la charge de la société Brenntag la somme de 1 500 euros au profit de son avocat sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
------------------------------------------------------------------------------------------------------------
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Hervé Cassara, premier conseiller,
- les conclusions de M. Jean-Philippe Arruebo-Mannier, rapporteur public,
- et les observations de Me C...F..., représentant M. D...E..., et de Me A...B..., représentant la société Brenntag.
Considérant ce qui suit :
1. M. E...est employé en qualité de chauffeur livreur de la société Brenntag depuis le 3 septembre 2001 au sein de l'établissement Brenntag Picardie et exerce les mandats de titulaire du comité d'établissement et de titulaire du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail. A la suite d'un entretien préalable qui s'est tenu le 20 juin 2013, la société Brenntag a sollicité, le 9 juillet 2013, l'autorisation de licencier M.E.... Par une décision du 4 septembre 2013, l'inspectrice du travail a refusé de donner cette autorisation. Saisi d'un recours hiérarchique le 28 octobre 2013, le ministre chargé du travail a, par une décision du 28 février 2014, retiré la décision de l'inspectrice du travail et autorisé le licenciement de M.E.... M. E...relève appel du jugement du 31 mai 2016 par lequel le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ". Contrairement à ce que se borne à alléguer M.E..., il résulte des motifs mêmes du jugement attaqué que le tribunal administratif d'Amiens, qui n'était pas tenu de répondre à tous les arguments avancés par les parties, a répondu aux moyens utilement soulevés en première instance. Par suite, le moyen tiré de ce que le tribunal administratif aurait insuffisamment motivé sa décision ne peut qu'être écarté.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
3. En vertu des dispositions du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des salariés qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail, et le cas échéant au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi.
4. Il ressort des pièces du dossier que la société Brenntag a, le 30 mai 2013, fait dresser procès-verbal par un huissier de justice pour constater la présence, depuis le 17 avril 2013, sur la page du compte de M. E...sur le réseau social " Facebook ", d'un message la mettant directement en cause, ainsi que ses dirigeants.
5. En premier lieu, pour contester la matérialité de ces faits, M. E...soutient, d'une part, que ce procès-verbal de constat est irrégulier au motif, tout d'abord, que l'identité du représentant de la société Brenntag présent aux côtés de l'huissier de justice et qui a identifié M. E... n'est pas mentionnée. Toutefois, M. E... ne contestant pas que sa propre photographie est reproduite sur la page du compte " Facebook " en question, cette omission n'est pas de nature à remettre en cause la force probante qui s'attache au procès-verbal dont les constatations font foi jusqu'à preuve contraire. En tout état de cause, il ressort des pièces du dossier, en particulier d'un courriel adressé par l'huissier de justice à son mandant, la société Brenntag, que c'est la responsable du service juridique de la société qui était présente à ses côtés lors du constat et qui a formellement identifié M. E...sur la page du compte " Facebook ". Si M. E... allègue, ensuite, qu'un constat établi à partir d'une capture d'écran n'est pas valable, il ressort des pièces du dossier que l'huissier de justice a dressé son constat dans les règles de l'art, notamment en mentionnant l'adresse de protocole internet du matériel ayant servi au constat, en supprimant les cookies, l'historique, le contenu de la corbeille et les fichiers temporaires, et en vérifiant que le navigateur n'était pas paramétré pour utiliser un proxy au moment du constat. D'autre part, M. E... conteste être l'auteur du message litigieux en soutenant, tout d'abord, qu'il est techniquement impossible d'identifier cet auteur. Toutefois, il est constant que les comptes du réseau social " Facebook " ne peuvent être créés et administrés que par une personne qui en détermine les identifiants et le mot de passe de connexion et qui définit les paramètres de confidentialité du compte. De plus, il ressort des pièces du dossier que la société Brenntag a proposé à maintes reprises à M. E... qu'un expert analyse son ordinateur personnel afin de déterminer si le message litigieux, qui fait au demeurant état d'éléments internes à l'entreprise que des personnes extérieures à celle-ci ne pouvaient connaître, avait été posté depuis cet ordinateur, ce que M. E... a toujours catégoriquement refusé. Il est en outre constant que M. E...n'a pas non plus lui-même procédé à une quelconque démarche, notamment sur le plan technique, pour prouver que le message n'aurait pas été posté depuis son ordinateur personnel, ou démontrer la réalité du piratage de son compte " Facebook " qu'il allègue avoir subi. Ensuite, si M. E...soutient avoir effectué des démarches auprès de la police au sujet du " piratage " dont il aurait été victime, il ressort des pièces du dossier qu'il n'a déposé une main courante pour dénoncer ce " piratage " qu'à l'issue de l'entretien préalable le 20 juin 2013, lorsqu'il a été informé qu'une procédure de licenciement était engagée à son encontre. Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, la matérialité des faits reprochés à M. E... doit être regardée comme établie.
6. En second lieu, il ressort des termes du message litigieux, figurant sur la page du compte de M. E... sur le réseau social " Facebook ", qu'il met gravement en cause la société Brenntag et ses dirigeants, en dénonçant leur responsabilité supposée dans une affaire ayant eu des implications judiciaires et des retentissements médiatiques très importants, relative à la diffusion d'implants mammaires dangereux pour la santé. Il ressort en outre des pièces du dossier que ce message a été mis en ligne le 17 avril 2013, jour de l'ouverture du procès de cette affaire, et qu'il l'est demeuré au moins jusqu'à la date du constat, le 30 mai 2013. De plus, ce message était accessible à toute personne membre du réseau social " Facebook ", de portée mondiale, l'accès au compte n'ayant pas été restreint comme le permettent pourtant les conditions d'utilisation de ce réseau. Enfin, les termes du message laissent entendre qu'il est rédigé par une personne prétendant détenir des informations privilégiées, l'auteur faisant état de réunions internes, de dates et de propos prêtés aux dirigeants de la société, dans le but de rendre crédibles les allégations qu'il contient. Par suite, la publication de ce message constitue, à elle seule, une faute d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement de M.E..., sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre motif retenu par le ministre chargé du travail dans la décision en litige, au demeurant non contesté en cause d'appel par M.E....
7. Il résulte de tout ce qui précède que M. E...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande.
8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société Brenntag, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que M. E...demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens au bénéfice de son avocat, alors qu'il n'a au demeurant pas sollicité l'aide juridictionnelle. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. E...la somme réclamée par la société Brenntag au titre des mêmes dispositions.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. E...est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par la société Brenntag sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. D...E..., à la société Brenntag et à la ministre du travail.
N°16DA01503 2