Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 8 mars 2016, la SAS Eismann, représentée par Me A... C..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 14 janvier 2016 du tribunal administratif de Rouen ;
2°) d'annuler la décision du ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social du 11 juillet 2013 en tant qu'elle lui refuse l'autorisation de licencier M. D...B... ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Jean-Jacques Gauthé, premier conseiller,
- les conclusions de M. Jean-Philippe Arruebo-Mannier, rapporteur public,
- et les observations de Me A...C..., représentant la SAS Eismann.
Considérant ce qui suit :
1. La SAS Eismann commercialise et livre des produits surgelés à domicile chez les particuliers. M. D...B...y est salarié sous contrat à durée indéterminé en qualité de chauffeur-livreur depuis le 20 septembre 2004 dans son établissement de Torcy (Seine-et-Marne). Il détient les mandats de délégué syndical CGT, depuis le 13 octobre 2006. La SAS Eismann, dont le siège social est situé en Seine-Maritime, a demandé le 2 janvier 2013 à l'inspecteur du travail de la 3ème section de la Seine-Maritime l'autorisation de licencier pour faute M.B.... Elle relève appel du jugement du 14 janvier 2016 par lequel le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social du 11 juillet 2013 en tant qu'elle lui a refusé l'autorisation de licencier M.B....
2. En vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés légalement investis de fonctions représentatives, qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail. Lorsque leur licenciement est envisagé, celui-ci ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou avec leur appartenance syndicale.
3. Tout d'abord, il ressort des pièces du dossier, que, le 28 septembre 2012, le comité d'entreprise de la société Eismann a été informé de ce que " dans le cadre du renforcement des procédés de contrôle interne, demandés et validés par les commissaires aux comptes, sur la gestion des stocks, du cash, des consommations gazole et des temps de travail et de présence, ou tout bien appartenant à l'entreprise, elle s'autorise, si elle le juge nécessaire, de mettre en oeuvre des moyens de surveillance qu'elle pourra confier si nécessaire à des prestataires externes ". M. B...a, aussi, été destinataire d'une lettre du 28 septembre 2012 de son employeur, envoyée en recommandé avec accusé de réception, lui précisant " nous vous informons que nous allons mettre en place, avec votre supérieur hiérarchique, tous dispositifs utiles aux fins de contrôler votre activité pendant vos heures de travail ". M. B...n'est pas allé chercher cette lettre à la poste. Elle lui a, ensuite, été renvoyée en lettre simple, le 26 octobre 2012.
4. Si l'employeur a le droit de contrôler et de surveiller l'activité de son personnel durant le temps de travail, il ne peut mettre en oeuvre un dispositif de contrôle qui n'a pas été porté préalablement à la connaissance des salariés. Le caractère très général et très imprécis des termes des communications de la société Eismann, s'agissant d'un procédé attentatoire aux libertés publiques, ne permet pas de considérer que le comité d'entreprise et le salarié intéressé aient été informés du recours par l'employeur aux services d'un détective privé chargé de filer M B.... Le ministre chargé du travail a pu dès lors, à bon droit, considérer comme illicite un tel procédé de preuve, et écarter l'ensemble des griefs fondés sur le rapport du détective privé.
5. Ensuite, aux termes de l'article L 1121-1 du code du travail : " Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir, ni proportionnées au but recherché ". Un employeur est tenu à une obligation de loyauté envers ses salariés. Il ne saurait, par suite, fonder une sanction disciplinaire à l'encontre de l'un d'entre eux sur des pièces ou documents qu'il a obtenus en méconnaissance de cette obligation, notamment au moyen d'une filature, sauf si un intérêt majeur le justifie.
6. Il ressort des pièces du dossier que la société Eismann a fait filer M. B...par un détective privé, en permanence du 2 octobre 2012 au 9 novembre 2012 lors de ses livraisons en région parisienne. Elle soutient que M. B...n'effectuerait pas toutes les livraisons prévues auprès des clients, ne respecterait pas le planning des livraisons et effectuerait des déclarations de fausses heures supplémentaires. La société Eismann n'invoque toutefois la défense d'aucun intérêt majeur, alors que les documents qu'elle produit ne révèlent pas des réclamations nombreuses et concordantes de clients qui n'auraient pu bénéficier des livraisons de produits surgelés assurées par M.B..., ou qui signaleraient des livraisons effectuées en dehors des horaires qui leur avaient été annoncés. Le procédé de surveillance qu'elle a mis en oeuvre était, dès lors, disproportionné par rapport au but poursuivi, inadapté, et par suite illégal.
7. Enfin, il ressort aussi des pièces du dossier que M. B...avait déjà fait l'objet d'une précédente demande d'autorisation de licenciement pour les mêmes motifs disciplinaires tirés du refus de signer ses relevés horaires mensuels que ceux invoqués dans la demande d'autorisation précitée du 2 janvier 2013. L'autorisation a été refusée le 29 mai 2012 par l'inspecteur du travail, puis le 26 novembre 2012 par le ministre chargé du travail, suite à un recours hiérarchique de la SAS Eismann. M. B...est un délégué syndical très actif, qui diffuse de nombreux tracts et pétitions. Il a, également, mené et gagné plusieurs actions judiciaires contre son employeur, dont une pour discrimination syndicale. Il produit aussi une série d'attestations et de témoignages non contestés de salariés de la société Eismann établissant l'hostilité de la direction de l'entreprise envers le syndicat qu'il représente et sa mise à l'écart à diverses occasions. M. B... a de surcroît fait l'objet d'un traitement particulier par son employeur. Ainsi qu'il a été dit au point 6, celui-ci l'a fait filer illégalement pendant un mois par un détective privé. Dès lors, dans les circonstances de l'espèce, la demande d'autorisation de licenciement de M. B...doit être regardée comme n'étant pas sans lien avec les mandats détenus par l'intéressé. Par suite, le ministre chargé du travail était tenu de refuser, ainsi qu'il l'a fait par sa décision du 11 juillet 2013, l'autorisation de licencier M.B....
8. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les faits reprochés à M. B...par la SAS Eismann, que celle-ci n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement du 14 janvier 2016, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées. Il y a lieu de faire application des dispositions de ce texte et de mettre à la charge de la SAS Eismann une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. B...et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la SAS Eismann est rejetée.
Article 2 : La SAS Eismann versera à M. B...une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS Eismann et au ministre du travail.
Copie sera adressée à M. D...B...et au directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Normandie.
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N°16DA00509
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N°"Numéro"